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29/04/2021 | FRANCE | N°19LY00872

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 29 avril 2021, 19LY00872


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société par actions simplifiée (SAS) Calsun Holding a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2012, 2013, et 2014 du fait des dividendes distribués à sa société mère au cours des exercices clos les 30 septembre, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1704793 du 6 novembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a déchargé la SAS Calsun Holding des impositions li

tigieuses ainsi que des pénalités correspondantes (article 1er) et mis à la charge de l'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société par actions simplifiée (SAS) Calsun Holding a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2012, 2013, et 2014 du fait des dividendes distribués à sa société mère au cours des exercices clos les 30 septembre, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1704793 du 6 novembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a déchargé la SAS Calsun Holding des impositions litigieuses ainsi que des pénalités correspondantes (article 1er) et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2).

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 4 mars 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rétablir les impositions litigieuses, d'un montant de 478 847 euros en droits et de 81 999 euros en pénalités.

Il soutient que :

- les directives 2003/123/CE du 22 décembre 2003 et 2011/96/UE du 30 novembre 2011 permettent aux Etats de remettre en cause l'exonération de retenue à la source prévue à l'article 5 des mêmes directives, en cas de fraudes et d'abus avérés ;

- l'administration pouvait appliquer une retenue à la source sur le fondement de l'article 119 ter 3 du code général des impôts, dès lors qu'elle apporte en l'espèce la preuve que la chaîne de participations mises en place par le groupe avait comme objet principal d'obtenir l'exonération de retenue à la source, la SAS Calsun Holding étant intégralement détenue par une société de droit luxembourgeois, créée concomitamment au transfert en Suisse du domicile fiscal de ses propriétaires, antérieurement résidents fiscaux français ; la société mère n'avait par ailleurs jusqu'en 2014 aucune filiale au Luxembourg, et celles créées en 2014 ont pour activité la prise de participations ou l'acquisition de sociétés françaises, seules des raisons fiscales ayant ainsi pu dicter le choix d'une implantation au Luxembourg, qui n'est justifiée par aucune raison économique, commerciale ou stratégique ; les conventions de services conclues par la société mère avec certaines sociétés du groupe ne lui procurent que de faibles revenus au regard des dividendes perçus ;

- à titre subsidiaire, les impositions peuvent être rétablies sur le fondement de l'article 119 ter 2 du code général des impôts, dès lors que la société Calsun Holding n'a pas justifié que la SA Euro Ethnic Foods était passible au Luxembourg, au titre des exercices en litige, de l'impôt sur les sociétés, sans possibilité d'option et sans en être exonérée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2019, la SAS Calsun Holding, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la clause " anti-abus " de l'article 119 ter du code général des impôts n'est pas compatible avec le droit de l'Union européenne ;

- la demande de substitution de base légale n'est pas fondée, dès lors qu'elle justifie être assujettie à l'impôt sur les sociétés au Luxembourg, sans possibilité d'option et sans en être exonérée ;

- à titre subsidiaire, elle a une réelle implantation au Luxembourg, où elle exerce une activité effective afin d'assurer la stratégie des filiales et leur développement, alors que la notion de montage artificiel est réservée aux opérations dépourvues de toute réalité économique et que la jurisprudence communautaire ne permet pas de sanctionner des opérations non dépourvues de réalité économique dictées par des motivations fiscales, même prépondérantes.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B..., première conseillère,

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue d'un contrôle sur pièces des liasses fiscales déposées par la SAS Calsun Holding au titre des exercices respectivement clos les 30 septembre 2012, 2013 et 2014, l'administration fiscale a assujetti cette société, selon proposition de rectification contradictoire du 8 octobre 2015 et sur le fondement de l'article 119 ter 3 du code général des impôts, à une retenue à la source, au taux de 30%, assortie des pénalités correspondantes, en raison des dividendes versées en franchise d'impôt à la société anonyme de droit luxembourgeois Euro Ethnic Foods, société mère, à hauteur de 1 100 000 euros en 2012, 2 200 000 euros en 2013 et 5 800 000 euros en 2014. Les rectifications ont été ultérieurement réduites par application du taux de 5% prévu par la convention fiscale franco-luxembourgeoise, puis mises en recouvrement à hauteur, en droits et pénalités, de 560 946 euros. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour d'annuler le jugement du 6 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a déchargé la SAS Calsun Holding des cotisations litigieuses ainsi que des pénalités correspondantes et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais liés au litige.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

2. Aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre ". Aux termes de l'article 1er de la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011 précédemment visée, laquelle procède à la refonte d'une directive 90/435/CEE modifiée du 23 juillet 1990 : " 1. Chaque État membre applique la présente directive : / (...) b) aux distributions de bénéfices effectuées par des sociétés de cet État membre à des sociétés d'autres États membres dont elles sont les filiales ; / (...) 2. La présente directive ne fait pas obstacle à l'application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d'éviter les fraudes et abus ". L'article 5 de la même directive prévoit que : " Les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source ".

3. Le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts soumet à l'application d'une retenue à la source les revenus distribués par des personnes morales françaises à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. L'article 119 ter de ce code, qui transpose, dans sa rédaction applicable à l'espèce, des dispositions de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990 intégralement reprises par la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011 précitée, prévoit, sous certaines conditions, d'exonérer de cette retenue à la source la distribution de revenus à une personne morale qui justifie auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ses revenus être le bénéficiaire effectif des dividendes et remplir diverses conditions, dont celle d'être passible, dans l'Etat membre où elle a son siège de direction effective, de l'impôt sur les sociétés de cet Etat, sans possibilité d'option et sans en être exonérée. Toutefois, le 3 de l'article 119 ter prévoit que cette exonération ne s'applique pas " lorsque les dividendes distribués bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'Etats qui ne sont pas membres de l'Union, sauf si cette personne morale justifie que la chaîne de participations n'a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage " de l'exonération.

4. En premier lieu, dans l'arrêt C-6/16 du 7 septembre 2017 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, d'une part, que, dans la mesure où l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990, repris dans les mêmes termes à l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011, qui reconnaît uniquement aux Etats membres le pouvoir d'appliquer des dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d'éviter les fraudes et les abus, n'opère pas une harmonisation exhaustive, la législation nationale adoptée afin de mettre en oeuvre ces dispositions peut également être appréciée au regard des dispositions du droit primaire et, d'autre part, que l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435/CEE et l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation fiscale nationale qui subordonne l'octroi de l'avantage fiscal prévu à l'article 5, paragraphe 1, de cette directive, intégralement repris à l'article 5 de la directive du 30 novembre 2011, - à savoir l'exonération de retenue à la source des bénéfices distribués par une filiale résidente à une société mère non-résidente, lorsque cette société mère est contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'Etats tiers - à la condition que celle-ci établisse que la chaîne de participations n'a pas comme objet principal ou comme l'un de ses objets principaux de tirer avantage de cette exonération.

5. Il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que les dispositions du 3 de l'article 119 ter du code général des impôts instituent une discrimination contraire au droit de l'Union, sans que le ministre puisse utilement faire obstacle à l'inconventionnalité de la base légale des redressements en litige en offrant d'apporter la preuve mise à la charge du contribuable par les dispositions déclarées contraires au droit de l'Union, ou en se prévalant directement des dispositions précitées du 2 de l'article 1er de la directive qui n'ont pas fait l'objet d'une correcte transposition en droit interne.

6. En second lieu, si le ministre présente à titre subsidiaire une demande de substitution de base légale en soutenant que les impositions litigieuses peuvent être rétablies sur le fondement du d) du 2 de l'article 119 ter du code général des impôts, au motif que la société Calsun Holding ne justifierait pas que la SA Euro Ethnic Foods aurait été passible, au titre des exercices en litige, de l'impôt sur les sociétés du Luxembourg, sans possibilité d'option et sans en être exonérée, la société intimée a produit un certificat de résidence du 12 avril 2019 par lequel l'administration fiscale luxembourgeoise certifie qu'à sa connaissance, la SA Euro Ethnic Foods, depuis sa constitution le 26 octobre 2007, est assujettie, sans possibilité d'option et sans en être exonérée, à l'impôt sur le revenu des collectivités. La demande de substitution de base légale présentée par le ministre ne peut, en conséquence, qu'être rejetée, les autres conditions posées par le 2 de l'article 119 ter du code général des impôts pour prétendre au bénéfice de l'exonération de retenue à la source sur les dividendes versés n'étant pas contestées.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a prononcé la décharge, en droits et pénalités, des impositions mises à la charge de la SAS Calsun Holding au titre des années 2012, 2013 et 2014.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Calsun Holding et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à la SAS Calsun Holding une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Calsun Holding et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 8 avril 2021, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme B..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 avril 2021.

2

N° 19LY00872

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY00872
Date de la décision : 29/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-04-02-03-01-01-01 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. Revenus des capitaux mobiliers et assimilables. Revenus distribués. Notion de revenus distribués. Imposition de la personne morale distributrice.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Mathilde LE FRAPPER
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : MOULINIER, DULATIER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-04-29;19ly00872 ?
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