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29/04/2021 | FRANCE | N°19LY00742

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 29 avril 2021, 19LY00742


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département de la Haute-Savoie a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner in solidum les sociétés Eurotoiture et M'G... à lui verser la somme de 157 294,78 euros HT, après déduction de la somme provisionnelle de 118 190,22 euros accordée par une ordonnance du 1er février 2018 du juge des référés de la cour, pour l'indemnisation du sinistre survenu le 7 décembre 2011 au cours du chantier de réhabilitation de l'abbaye de Sixt-Fer-à-Cheval.

Par un jugement n° 1603716 du 11 d

écembre 2018, le tribunal a rejeté sa demande comme irrecevable.

Procédure devant l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département de la Haute-Savoie a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner in solidum les sociétés Eurotoiture et M'G... à lui verser la somme de 157 294,78 euros HT, après déduction de la somme provisionnelle de 118 190,22 euros accordée par une ordonnance du 1er février 2018 du juge des référés de la cour, pour l'indemnisation du sinistre survenu le 7 décembre 2011 au cours du chantier de réhabilitation de l'abbaye de Sixt-Fer-à-Cheval.

Par un jugement n° 1603716 du 11 décembre 2018, le tribunal a rejeté sa demande comme irrecevable.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 février 2019, le département de la Haute-Savoie, représenté par Me H..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner in solidum les sociétés Eurotoiture et M'G... à lui verser la somme de 147 737,78 euros HT assortie des intérêts légaux pour l'indemnisation du sinistre, la somme de 11 222,56 euros au titre des frais d'expertise, la somme de 9 557 euros au titre des frais d'huissier et la somme de 4 000 euros au titre des frais du litige.

Il soutient que :

- il appartenait à la société Eurotoiture d'établir qu'il n'avait pas été indemnisé par son assureur ; les premiers juges ont inversé la charge de la preuve ;

- son préjudice, qui a été évalué par l'expert judiciaire à la somme de 147 737,78 euros HT, n'a pas été indemnisé par son assureur ;

- quoi qu'il en soit, l'expert judiciaire ayant retenu qu'il était responsable à hauteur de 20 % du sinistre, son assureur l'aurait indemnisé dans cette limite, de sorte qu'il aurait conservé un intérêt pour agir ;

- le jugement attaqué est donc irrégulier ;

- il est fondé à rechercher la responsabilité contractuelle de la société Eurotoiture, qui avait la garde des ouvrages avant la réception des travaux et à laquelle l'effondrement du parapluie est essentiellement imputable selon l'expert judiciaire, et de la société M'G..., qui a manqué à ses obligations de surveillance du chantier et de conseil ;

- il ne peut lui être reproché l'absence d'anticipation des chutes de neige et leurs conséquences sur la structure du parapluie ;

- le coût du constat d'huissier qu'il a fait dresser pour les besoins de l'expertise judiciaire entre dans la catégorie des dépens.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 août 2019, la société M'G..., représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête ou, subsidiairement, à ce que sa part de responsabilité et celle du département soient fixées à 10 % sans condamnation in solidum, à ce que l'indemnisation du sinistre soit limitée à 14 771,77 euros et à la condamnation de la société Eurotoiture à la relever et garantir intégralement de toutes les condamnations qui seraient prononcées contre elle.

Elle fait valoir que :

- le département a été rempli de ses droits par l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du 1er février 2018 ;

- elle n'a pas manqué à ses obligations de surveillance du chantier et de conseil ;

- le département n'a pas été diligent puisqu'il a attendu trois mois pour commander le renforcement de la structure qu'elle avait préconisé ;

- les travaux de reprise envisagés apportent une plus-value à l'ouvrage ;

- l'expert judiciaire ne s'est pas prononcé sur la nécessité du constat d'huissier.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 février 2021, la société Eurotoiture, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge du département de la Haute-Savoie au titre des frais du litige ou, subsidiairement, à la condamnation in solidum des sociétés MLS et M'G... à la relever et garantir des condamnations qui seraient prononcées contre elle et à lui verser la somme de 4 000 euros au titre des frais du litige.

Elle fait valoir que :

- le département a été rempli de ses droits par l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du 1er février 2018 ;

- l'expert judiciaire qui s'est fondé sur les conclusions de son sapiteur qui n'a pas pris connaissance de ses dires, en méconnaissance du principe du contradictoire, s'est mépris sur l'étendue de ses obligations contractuelles ;

- elle n'a commis aucune faute à l'origine du sinistre ;

- l'échafaudage qui a été endommagé n'entrait pas dans les prestations de son marché ; l'article 1788 du code civil est dès lors inapplicable puisque la chose détruite n'est pas celle qu'avait fournie l'entrepreneur ;

- la société MLS n'a pas pris en compte les contraintes liées à la présence de neige dans le dimensionnement de son ouvrage ;

- elle avait la garde de l'échafaudage ;

- le département a tardé à demander le renforcement du parapluie ;

- il incombait à la société M'G... de procéder à une vérification journalière de l'échafaudage.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- la code des assurances ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., pour le département de la Haute-Savoie, de Me A..., pour la société Eurotoiture, et de Me D..., pour la société M'G....

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement signé le 15 juin 2009, le département de la Haute-Savoie a confié la maîtrise d'oeuvre du chantier de réfection de la toiture de l'abbaye de Sixt-Fer-à-Cheval à un groupement conjoint comprenant notamment la société Guerzou Architectes, aux droits de laquelle est venue la société M'G..., mandataire. En 2011, le lot A " échafaudage " a été confié à la société Matériel Location Services (MLS) et le lot B " Charpente Couverture " à la société Eurotoiture. Le 7 décembre 2011, le parapluie monté sur échafaudage au cours de l'été 2011 par la société MLS s'est effondré. Le département de la Haute-Savoie a interrompu le chantier et sollicité une expertise, ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble et dont le rapport a été rendu le 10 juillet 2014. Par une ordonnance du 17 mars 2017, le juge des référés de ce tribunal a condamné la société Eurotoiture à verser au département la provision de 112 730,64 euros pour l'indemnisation du sinistre survenu le 7 décembre 2011. Par une ordonnance du 1er février 2018, le juge des référés de la cour a porté cette somme à 118 190,22 euros. Le département de la Haute-Savoie relève appel du jugement du 11 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté comme irrecevable, en l'absence de créance, sa demande tendant à la condamnation in solidum des sociétés Eurotoiture et M'G... à lui verser la somme de 157 294,78 euros HT, après déduction de la somme provisionnelle de 118 190,22 euros, et mis définitivement à sa charge les frais d'expertise.

Sur la régularité du jugement :

2. Un requérant peut justifier à tout moment de la procédure devant les juges du fond, y compris pour la première fois en appel, de la qualité qui lui donnait intérêt pour agir. Le département de la Haute-Savoie a versé aux débats de première instance une attestation de son assureur, la société MMA, datée du 29 novembre 2018, dont il ressort qu'elle n'avait pas indemnisé le département du sinistre survenu le 7 décembre 2011. Cette attestation n'a été produite devant le tribunal administratif de Grenoble que par une note en délibéré. Le défaut d'intérêt pour agir avait été soulevé par la société Eurotoiture dans un mémoire enregistré le 29 janvier 2018. Si le département qui ne fait état d'aucun obstacle à sa production avant la clôture de l'instruction, n'est pas fondé à soutenir que les premiers juges étaient tenus de prendre en compte cette attestation en dépit de sa production après la clôture de l'instruction, son action dirigée contre les sociétés Eurotoiture et M'G... est recevable. Il est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande comme étant irrecevable en l'absence de créance à l'égard des sociétés Eurotoiture et M'G... et, par suite, à demander l'annulation de ce jugement. Il y a donc lieu pour la cour d'évoquer et de statuer sur la demande présentée par le département de la Haute-Savoie devant le tribunal administratif de Grenoble.

Sur la fin de non-recevoir opposée par les sociétés Eurotoiture et M'G... :

3. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ". Aux termes de l'article R. 541-1 du même code : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Et aux termes de l'article R. 541-4 de ce code : " Si le créancier n'a pas introduit de demande au fond dans les conditions de droit commun, la personne condamnée au paiement d'une provision peut saisir le juge du fond d'une requête tendant à la fixation définitive du montant de sa dette, dans un délai de deux mois à partir de la notification de la décision de provision rendue en première instance ou en appel ".

4. Le département de la Haute-Savoie a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lyon d'une demande de provision sur le fondement des dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance du 17 mars 2017, confirmée par une ordonnance du juge des référés de la cour du 1er février 2018, le juge des référés a fait droit à la requête dont il était saisi et condamné la société Eurotoiture à verser au département de la Haute-Savoie la somme de 112 730,64 euros.

5. La condamnation prononcée sur le fondement des dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative présentait un caractère provisoire, dès lors que le département de la Haute-Savoie avait saisi le juge du fond d'une requête, sur laquelle le jugement attaqué avait pour objet de statuer. La fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir du département de la Haute-Savoie ne peut être accueillie.

Sur l'expertise :

6. L'article R. 621-7 du code de justice administrative dispose que : " Les observations faites par les parties, dans le cours des opérations, sont consignées dans le rapport ".

7. Si le sapiteur désigné par une ordonnance du 22 mars 2012 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble ne fait pas mention dans son rapport des interventions de la société Eurotoiture, les trois dires de son conseil sont énumérés dans le préambule du rapport de l'expert judiciaire avec leurs pièces jointes et dans l'annexe de ce rapport. L'exposé des dires, communiqués aux autres parties par leurs auteurs, n'est pas annexé au rapport. Il y est cependant précisé que l'expert judiciaire les tient à la disposition des parties. La société Eurotoiture n'est donc pas fondée à soutenir que le principe du contradictoire a été méconnu. Sa critique relative au bien-fondé des conclusions de l'expert n'est pas susceptible d'affecter la régularité des opérations d'expertise.

Sur la responsabilité :

8. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise judiciaire et des comptes rendus de chantier des 6 et 8 décembre 2011, que le sinistre s'est produit alors que la société Eurotoiture avait déplacé un entrait pesant 400 kg à l'intérieur de la charpente en réfection. L'expert judiciaire, s'appuyant sur des constats d'huissier et des témoignages, a constaté que certaines parties de l'échafaudage avaient été démontées, qu'un appareil portatif de levage et de traction à câble, des sangles et des cordages étaient présents sur le chantier et l'absence de grue, alors que la veille du sinistre le remplacement de l'entrait était en cours. Les constatations de l'expert établissent que des membrures de l'échafaudage avaient été démontées par la société Eurotoiture pour permettre le passage de l'entrait à l'aide du matériel trouvé sur place, avec arrimage sur la structure métallique voisine, avant la réunion de chantier du 6 décembre. L'expert a exclu l'imputabilité de l'effondrement du parapluie aux faibles chutes de neige du 6 décembre. La société Eurotoiture, qui n'établit pas que le parapluie aurait été alourdi par un mélange de pluie et de neige incessant, ne peut utilement se prévaloir, pour s'exonérer de sa responsabilité, de l'absence de prise en compte par la société MLS des contraintes liées à la présence de neige dans le dimensionnement de son ouvrage, ni de la circonstance que le département n'a pas demandé le renforcement du parapluie alors que le chantier, qui avait été retardé, se poursuivait en période hivernale. Il ne peut davantage être reproché à la société M'G... de ne pas avoir anticipé des chutes de neige qui ne sont pas à l'origine du sinistre, ni un manquement à une obligation de surveillance quotidienne de l'échafaudage, qui incombait à ses utilisateurs, la société Eurotoiture et la société Glénat, à laquelle la société Eurotoiture avait sous-traité la réalisation des travaux de maçonnerie. Dans ces conditions, la société Eurotoiture est entièrement responsable des conséquences de l'effondrement du parapluie, à raison de son manquement aux règles de l'art.

Sur les préjudices :

9. Compte tenu de l'entière responsabilité de la société Eurotoiture dans la réalisation de ses préjudices, le département de la Haute-Savoie est fondé à demander sa condamnation à lui verser une indemnité de 29 547,56 euros HT après déduction de la provision de 118 190,22 euros HT.

Sur les intérêts :

10. Le département de la Haute-Savoie a droit sur la somme allouée aux intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2016, date de sa demande devant le tribunal.

Sur les dépens :

11. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat (...). ".

12. Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, taxés et liquidés à la somme de 11 222,56 euros TTC, sont mis à la charge définitive de la société Eurotoiture.

13. Les frais résultant pour l'une des parties de la production d'un constat d'huissier ne sont pas compris dans les dépens. Par suite, les conclusions du département de la Haute-Savoie tendant au remboursement, sur le fondement de ces dispositions, de la somme de 9 557 euros correspondant aux frais de constats d'huissier qu'il a engagés de sa propre initiative doivent être rejetées.

Sur les appels en garantie :

14. En l'absence de condamnation prononcée à l'encontre de la société M'G..., ses conclusions d'appel en garantie sont sans objet.

15. Compte tenu de ce qui précède, les conclusions d'appel en garantie de la société Eurotoiture dirigées contre les sociétés MLS et M'G... ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais du litige :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Eurotoiture la somme de 2 000 euros à verser au département de la Haute-Savoie au titre des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative. En revanche, les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du département de la Haute-Savoie et des sociétés MLS et M'G..., qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1603716 du tribunal administratif de Grenoble du 11 décembre 2018 est annulé.

Article 2 : La société Eurotoiture est condamnée à verser au département de la Haute-Savoie la somme de 29 547,56 euros HT après déduction de la provision de 118 190,22 euros HT. Cette somme portera intérêts légaux à compter du 27 juin 2016.

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 11 222,56 euros TTC, sont mis à la charge de la société Eurotoiture.

Article 4 : La société Eurotoiture versera au département de la Haute-Savoie la somme de 2 000 euros au titre des frais du litige.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Haute-Savoie et aux sociétés Eurotoiture et M'G....

Délibéré après l'audience du 1er avril 2021, à laquelle siégeaient :

Mme E..., président,

Mme Duguit-Larcher, assesseur le plus ancien,

M. Rivière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2021.

2

N° 19LY00742


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY00742
Date de la décision : 29/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01 Marchés et contrats administratifs. Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : Mme MICHEL
Rapporteur ?: Mme Céline MICHEL
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : SARL CABINET LAURENT FAVET

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-04-29;19ly00742 ?
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