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20/04/2021 | FRANCE | N°19LY03449

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 20 avril 2021, 19LY03449


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... et M. C... E... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner solidairement le docteur Millier, le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône et la société hospitalière d'assurances mutuelles à verser la somme de 40 000 euros à Mme E... et la somme de 20 000 euros à M. E..., assorties des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'ils estiment avoir subis en raison de la prise en charge de Mme E... dans cet é

tablissement de santé le 6 février 2017 et de mettre à la charge solidaire d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... et M. C... E... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner solidairement le docteur Millier, le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône et la société hospitalière d'assurances mutuelles à verser la somme de 40 000 euros à Mme E... et la somme de 20 000 euros à M. E..., assorties des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'ils estiment avoir subis en raison de la prise en charge de Mme E... dans cet établissement de santé le 6 février 2017 et de mettre à la charge solidaire du docteur Millier, du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône et de la société hospitalière d'assurances mutuelles, outre les dépens, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1801074 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande dirigée contre le docteur Millier comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, a condamné le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône à verser une somme de 200 euros à Mme E..., assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2018, a mis à la charge du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône une somme de 1 400 euros à verser à M. et Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 septembre 2019 et un mémoire enregistré le 20 décembre 2019, M. et Mme E..., représentés par Me B..., demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1801074 du 4 juillet 2019 en ce que le tribunal administratif de Lyon n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs prétentions indemnitaires ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône à verser à Mme E... la somme de 15 000 euros et à M. E... la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'ils estiment avoir subis à l'occasion de soins dispensés à Mme E... dans cet établissement de santé le 6 février 2017, assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande d'indemnisation ;

3°) de rejeter les conclusions présentées par le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône et la société hospitalière d'assurances mutuelles ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône, outre les entiers dépens, une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- Mme E... n'a pas consenti à l'intervention de salpingectomie bilatérale qui a été pratiquée en raison d'un problème technique survenu sur le matériel nécessaire à la pose de clips de Filshie, en lieu et place d'une intervention de ligature tubaire ; elle n'a pas été informée de l'alternative pratiquée ni n'y a consenti alors qu'il n'y avait en outre aucune nécessité et aucune urgence à ce que cette intervention mutilante soit réalisée ;

- le centre hospitalier a commis une faute dans l'organisation du service du fait du problème technique survenu lors de l'intervention ;

- alors même que l'intervention pratiquée a eu le même effet escompté que celle qui était prévue, Mme E... a subi, du fait de la faute commise dans l'organisation du service et de l'absence d'information et de consentement, un préjudice à l'origine d'un retentissement psychologique avec un syndrome dépressif réactionnel ; elle a droit à la somme de 15 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'elle a subis ;

- M. E... a subi un préjudice moral et un bouleversement de ses conditions de vie, provoqué par les souffrances de son épouse, qui s'élèvent à la somme de 5 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 novembre 2019, le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône, représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'outre les entiers dépens, la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. et Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- à supposer qu'il puisse être établi un défaut d'information, les troubles dans les conditions d'existence ne sont justifiés ni dans leur existence ni dans leur ampleur ;

- la cause du préjudice retenu par le tribunal résulte exclusivement de la stérilisation définitive de Mme E... et non de la technique employée ; l'indemnisation du préjudice moral ne saurait être supérieure à la somme allouée par le tribunal administratif ;

- les préjudices allégués par M. E... ne sont pas établis.

Par un mémoire enregistré le 16 novembre 2019, la société hospitalière d'assurances mutuelles, représentée par Me D..., conclut à la confirmation du jugement n° 1801074 du 4 juillet 2019 en ce que le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de M. et Mme E... présentée à son encontre et à que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. et Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle n'est pas l'assureur du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône et que M. et Mme E... ne présentent pas, en appel, de conclusions dirigées à son encontre.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me F..., représentant le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., alors âgée de trente-neuf ans et mère de trois enfants, a demandé, lors d'une consultation le 3 mai 2016 au service de gynécologie du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône, à bénéficier d'une stérilisation à visée contraceptive. Elle a confirmé sa volonté de subir une intervention de stérilisation par ligature des trompes les 8 septembre 2016 et 23 décembre 2016. Parallèlement, Mme E... a eu recours à deux interruptions volontaires de grossesse médicamenteuses, le 8 septembre 2016 puis le 12 janvier 2017. Mme E... a été admise au centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône le 6 février 2017 en vue d'y subir une ligature tubaire par la pose de clips. En raison de l'indisponibilité d'une pince stérile nécessaire à la mise en place de ces clips, le praticien a opté, au cours de l'intervention, pour une ablation bilatérale des trompes. M. et Mme E... ont recherché la responsabilité du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône au titre d'une faute dans l'organisation du service résultant de l'indisponibilité d'un matériel et d'un défaut de consentement à l'intervention de salpingectomie bilatérale pratiquée le 6 février 2017. Par un jugement du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Lyon a partiellement fait droit à cette demande en condamnant le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône à réparer le préjudice moral subi par Mme E... du fait de son absence de consentement à la réalisation d'une ablation des trompes et à lui verser en conséquence une somme de 200 euros. M. et Mme E... sollicitent la réformation de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs demandes indemnitaires.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône :

En ce qui concerne la faute dans l'organisation et le fonctionnement du service :

2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".

3. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise ordonnée par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ainsi que du compte rendu de suivi opératoire, que l'indisponibilité d'une pince stérile nécessaire à l'intervention prévue de ligature tubaire par la pose de clips et constatée au cours du geste opératoire, révèle un défaut dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône, qui au demeurant n'est pas contestée.

En ce qui concerne le défaut de consentement à l'intervention de salpingectomie :

4. Aux termes de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son accompagnement palliatif. Le médecin a l'obligation de respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d'interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. Elle peut faire appel à un autre membre du corps médical. L'ensemble de la procédure est inscrite dans le dossier médical du patient. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l'article L. 1110-10. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. (...) Les dispositions du présent article s'appliquent sans préjudice des dispositions particulières relatives au consentement de la personne pour certaines catégories de soins ou d'interventions ". Aux termes de l'article L. 2123-1 du même code : " La ligature des trompes ou des canaux déférents à visée contraceptive (...) ne peut être pratiquée que si la personne majeure intéressée a exprimé une volonté libre, motivée et délibérée en considération d'une information claire et complète sur ses conséquences. Cet acte chirurgical ne peut être pratiqué que dans un établissement de santé et après une consultation auprès d'un médecin. Ce médecin doit au cours de la première consultation : - informer la personne des risques médicaux qu'elle encourt et des conséquences de l'intervention ; - lui remettre un dossier d'information écrit. Il ne peut être procédé à l'intervention qu'à l'issue d'un délai de réflexion de quatre mois après la première consultation médicale et après une confirmation écrite par la personne concernée de sa volonté de subir une intervention. (...) ".

5. Hors les cas d'urgence ou d'impossibilité de consentir, la réalisation d'une intervention à laquelle le patient n'a pas consenti oblige l'établissement responsable à réparer tant le préjudice moral subi de ce fait par l'intéressé que, le cas échéant, toute autre conséquence dommageable de l'intervention.

6. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de l'expert désigné par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, que le praticien a, au cours du geste opératoire et en raison de l'indisponibilité d'un matériel, décidé non pas de pratiquer une ligature des trompes, pour laquelle la patiente avait donné son consentement écrit, mais une ablation bilatérale des trompes. Il n'est pas contesté par le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône que Mme E..., qui était sous anesthésie générale lorsque le geste opératoire de stérilisation a été modifié, n'a pas consenti à la réalisation de cette intervention, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elle présentait un caractère d'urgence. Dans ces circonstances, le défaut de consentement éclairé de Mme E... à l'ablation de ses trompes est établi et constitue une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône pour l'ensemble des préjudices résultant de cet acte.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices subis par Mme E... :

7. Mme E... fait valoir que les fautes commises par le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône, énoncées aux points 3 et 6, sont à l'origine de troubles dans ses conditions d'existence, en particulier d'un état anxio-dépressif réactionnel, ainsi que d'un préjudice moral.

8. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que Mme E..., qui avait elle-même demandé une stérilisation à visée contraceptive, avait consenti, de manière éclairée après avoir reçu des informations précises, à une intervention de ligature des trompes, dont les effets, en termes de stérilisation, sont identiques à une ablation des trompes, seule une intervention chirurgicale pouvant, dans les deux cas, mettre fin à la stérilité. Il résulte également de l'expertise que l'intervention d'ablation des trompes qui a été pratiquée n'a eu aucun retentissement sur la santé de Mme E... ni sur son fonctionnement hormonal. Dans ces conditions, si Mme E... a indiqué, lors des opérations de l'expertise, que le fait d'être devenue définitivement stérile a engendré des répercussions psychiques, qui l'ont conduite à bénéficier, au cours de l'année 2018, d'un suivi psychiatrique, cette circonstance est dépourvue de lien de causalité avec les fautes commises par le centre hospitalier.

9. Au vu de l'ensemble de ces éléments, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence résultant pour Mme E... des fautes commises par le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône en lui allouant à ce titre une indemnité de 200 euros.

En ce qui concerne les préjudices subis par M. E... :

10. M. E... n'établit pas, par ses seules allégations, avoir subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence en lien direct avec la faute commise.

11. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a limité à la somme de 200 euros l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône au titre du préjudice subi par Mme E... et a assorti cette somme des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2018.

Sur les frais liés au litige :

12. D'une part, la présente instance n'ayant pas occasionné de dépens, les conclusions de M. et Mme E... tendant à ce que le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône soit condamné aux dépens ne peuvent qu'être rejetées.

13. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à ce titre à la charge du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demandent M. et Mme E.... Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme E... la somme demandée par le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône et la société hospitalière d'assurances mutuelles, au même titre.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme E... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône et la société hospitalière d'assurances mutuelles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E..., à M. C... E..., au centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône, à la société hospitalière d'assurances mutuelles et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

Délibéré après l'audience du 25 mars 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 avril 2021.

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N° 19LY03449


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