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16/04/2021 | FRANCE | N°20LY02650

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 16 avril 2021, 20LY02650


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 6 novembre 2017 par laquelle le préfet de l'Isère a rejeté sa demande de regroupement familial au profit de son épouse et d'enjoindre au préfet de l'Isère d'accorder à son épouse le bénéfice de regroupement familial.

Par un jugement n° 1805314 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 6 novembre 2017 et a enjoint au préfet de l'Isère d'admettre l'épouse de M. A... au

bénéfice du regroupement familial dans un délai de deux mois à compter de la notifica...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 6 novembre 2017 par laquelle le préfet de l'Isère a rejeté sa demande de regroupement familial au profit de son épouse et d'enjoindre au préfet de l'Isère d'accorder à son épouse le bénéfice de regroupement familial.

Par un jugement n° 1805314 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 6 novembre 2017 et a enjoint au préfet de l'Isère d'admettre l'épouse de M. A... au bénéfice du regroupement familial dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2020, le préfet de l'Isère demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 7 juillet 2020 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble.

Il soutient que :

- une procédure d'enquête préliminaire a été diligentée sous l'autorité du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Grenoble et laisse apparaître des faits de tentative d'obtention frauduleuse du renouvellement du titre de séjour de M. A... ;

- l'essentiel des ressources de l'intéressé émane selon ses dires de son activité de travailleur indépendant mais les bilans comptables témoignant du chiffre d'affaires n'ont été établis que sur la base de ses seules déclarations sans qu'aucun document concernant son chiffre d'affaires soit remis au comptable ; les revenus déclarés par l'intéressé, au titre de son activité d'auto-entrepreneur, relèvent de manoeuvres manifestement frauduleuses ; par suite, M. A... ne justifie pas de la suffisance de ses ressources sur la période de référence ;

- il est demandé une substitution de motifs de la décision dès lors qu'il est fondé à refuser la demande au regard des manoeuvres frauduleuses et de l'insuffisance des ressources de M. A... ; cette substitution n'a pas pour effet de le priver de garanties.

Par un mémoire, enregistré le 13 décembre 2020, M. A..., représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 800 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors que le jugement du 7 juillet 2020 a été notifié aux services de la préfecture le 9 juillet 2020 et que le préfet disposait d'un délai d'un mois pour former un appel, soit jusqu'au 9 août 2020, alors que l'appel a été formé le 9 septembre 2020 ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il justifie de la suffisance de ses ressources constituées de ses revenus salariés et de ses revenus non commerciaux ; au cours de l'année 2015, il a perçu des revenus non commerciaux de 9 900 euros auxquels se sont ajoutés des salaires de 4 523 euros, soit un total annuel de 14 423 euros nets correspondant à un salaire mensuel de 1 201 euros nets ; depuis la date du dépôt de sa demande, ses revenus ont augmenté, ainsi en 2016, il a perçu des revenus non commerciaux de 13 200 euros auxquels se sont ajoutés des salaires de 3 991 euros et son revenu mensuel net moyen pour l'année 2016 était donc de 1 432,58 euros ; pour l'année 2017, son revenu mensuel moyen était de 2 356,75 euros ;

- rien ne justifie la mise en cause des pièces produites, lesquelles doivent être admises aux débats et considérées comme ayant une valeur probante pleine et entière ; à ce stade, aucune charge n'a été retenue contre lui et aucune infraction pénale ne lui est imputable ; le préfet ne rapporte pas la preuve des manoeuvres frauduleuses dont il entend se prévaloir.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., ressortissant algérien né le 18 novembre 1985, est titulaire d'un certificat de résidence valable un an. Le 31 janvier 2017, il a demandé le regroupement familial en faveur de son épouse, Mme B... E..., ressortissante algérienne, qu'il a épousée le 5 septembre 2016. Par une décision du 6 novembre 2017, le préfet de l'Isère a rejeté sa demande au motif notamment de l'insuffisance de ses ressources. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 7 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de l'Isère a annulé la décision du 6 novembre 2017 et lui a enjoint d'admettre l'épouse de M. A... au bénéfice du regroupement familial dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Sur la fin de non-recevoir opposée par M. A... :

2. Aux termes de l'article R. 751-4-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors applicable, " Par dérogation aux articles R. 751-2, R. 751-3 et R. 751-4, la décision peut être notifiée par le moyen de l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1 aux parties qui sont inscrites dans cette application ou du téléservice mentionné à l'article R. 414-6 aux parties qui en ont accepté l'usage pour l'instance considérée. / Ces parties sont réputées avoir reçu la notification à la date de première consultation de la décision, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique, ou, à défaut de consultation dans un délai de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition de la décision dans l'application, à l'issue de ce délai. Sauf demande contraire de leur part, les parties sont alertées de la notification par un message électronique envoyé à l'adresse choisie par elles.(...) ". Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative, " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4. "

3. M. A... fait valoir que l'appel formé par le préfet de l'Isère contre le jugement du 7 juillet 2020 est tardif. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été mis à disposition du préfet de l'Isère le 7 juillet 2020 et qu'à défaut de consultation dans un délai de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition de la décision dans l'application Télérecours, le préfet de l'Isère est réputé avoir reçu notification du jugement contesté le 9 juillet 2020. Ainsi, dès lors que la requête d'appel du préfet de l'Isère a été enregistrée au greffe de la cour le 9 septembre 2020, soit dans le délai de recours contentieux, la fin de non-recevoir opposée par M. A... ne peut qu'être écartée.

Sur la légalité de la décision de refus de regroupement familial du 6 novembre 2017 :

4. Aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, " (...) Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : 1 - le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. L'insuffisance des ressources ne peut motiver un refus si cellesci sont égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance. Le demandeur ne dispose ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France. (...) ". Aux termes de l'article R. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont également applicables aux ressortissants algériens dès lors qu'elles sont compatibles avec les stipulations de l'accord francoalgérien : " (...) les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimenteront de façon stable le budget de la famille sont appréciées sur une période de douze mois par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période (...) ". L'article R. 421-4 du même code, également applicable aux ressortissants algériens, dispose : " A l'appui de sa demande de regroupement, le ressortissant étranger présente les copies intégrales des pièces énumérées au 1° et joint les copies des pièces énumérées aux 2° à 4° des pièces suivantes : (...) / 3° Les justificatifs des ressources du demandeur et, le cas échéant, de son conjoint, tels que le contrat de travail dont il est titulaire ou, à défaut, une attestation d'activité de son employeur, les bulletins de paie afférents à la période des douze mois précédant le dépôt de sa demande (...) ".

5. Il résulte de ces dispositions que le caractère suffisant des ressources du demandeur est apprécié sur la période de douze mois précédant le dépôt de la demande de regroupement familial, par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance au cours de cette même période. Néanmoins lorsque ce seuil n'est pas atteint au cours de la période considérée, il est toujours possible pour le préfet de prendre une décision favorable en tenant compte de l'évolution des ressources du demandeur, y compris après le dépôt de la demande. L'autorité administrative, qui dispose d'un pouvoir d'appréciation, n'est pas tenue par les dispositions précitées, notamment dans le cas où est portée une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale, tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Il ressort des termes de la décision du 6 novembre 2017 que le préfet de l'Isère a relevé, pour rejeter la demande de regroupement familial présenté par M. A... au bénéfice de son épouse que l'intéressé dispose d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel dont le revenu est complété par un travail d'auto-entrepreneur, que, même cumulées, les deux sources de revenus restent insuffisantes puisqu'elles atteignent un revenu mensuel de 889 euros pour 1 139,21 euros requis et que les revenus de M. A... ne sont pas conformes à la législation en vigueur.

7. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas l'intéressé d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

8. En appel, le préfet de l'Isère fait valoir que M. A... ne peut se prévaloir des bilans comptables produits dans le cadre de sa demande de regroupement familial dans la mesure où les revenus déclarés par l'intéressé, au titre de son activité d'auto-entrepreneur, relèvent de manoeuvres manifestement frauduleuses et sollicite une substitution de motif. M. A... a été mis à même de présenter ses observations sur cette demande de substitution.

9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a déclaré avoir perçu pour l'année 2015 la somme de 4 523 euros au titre des salaires et la somme de 9 900 euros au titre des bénéfices non commerciaux nets et, pour l'année 2016, la somme de 4 434 euros au titre des salaires et de 13 200 euros au titre des bénéfices non commerciaux nets. Pour établir la perception des montants susmentionnés au titre des bénéfices non commerciaux, M. A... produit les dossiers financiers de l'exercice pour les périodes du 1er janvier au 31 décembre 2016 et du 1er janvier au 31 décembre 2017 pour l'activité principale de son entreprise " accompagnement soutien domicile " établis par un expert-comptable qui fait état d'un bénéfice de 9 900 euros pour l'année 2015 et de 13 200 euros pour l'année 2016 et d'un bénéfice de 15 360 euros pour l'année 2017. Il produit également des bulletins de salaires pour son emploi au sein de la société Happy Chicken et Chicken Way pour l'année 2018.

10. En appel, le préfet de l'Isère produit les procès-verbaux du 23 janvier 2020 de l'audition de M. A... réalisée par l'antenne de police judiciaire de Grenoble, " groupe des affaires financières et économiques ", pour fraude fiscale, abus de biens sociaux, aide à l'entrée et au séjour irrégulier d'étrangers en France, faux en écriture privée. Lors de son audition, M. A... a précisé qu'il ne remettait aucun document à l'expert-comptable pour qu'il établisse le bilan d'activité de son entreprise " accompagnement soutien domicile " et que l'expert-comptable " se contente de ce qu'il lui dit " quant à son chiffre d'affaires. A la question " quels documents peuvent attester de la véracité du montant de votre chiffre d'affaires ", M. A... a répondu " il n'y a aucun document officiel. ". Par ailleurs, M. A... a déclaré qu'aucun contrat ou lettre de mission n'avait été établi avec l'expert-comptable qui était rémunéré en espèces à hauteur de 50 euros sans facture. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'une fraude commise par M. A... quant à l'établissement de ses revenus tirés de son activité d'auto-entrepreneur. Ce nouveau motif invoqué par le préfet est de nature à fonder légalement la décision contestée.

11. Il résulte de l'instruction que le préfet de l'Isère aurait pris la même décision s'il avait entendu se fonder initialement sur ce seul motif. Il y a donc lieu de faire droit à la substitution de motif demandée qui ne prive pas M. A... d'une garantie procédurale.

12. Ainsi c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur le caractère suffisant des ressources pour annuler la décision du 6 novembre 2017 par laquelle le préfet de l'Isère a refusé le regroupement familial au bénéfice de l'épouse de M. A....

13. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble et devant la cour.

14. La décision attaquée, qui comporte les éléments de fait et de droit sur lesquels elle se fonde, est suffisamment motivée.

15. En se bornant à soutenir qu'il a respecté les principes essentiels régissant la vie familiale en France, M. A... n'établit pas que le préfet de l'Isère aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation familiale.

16. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 6 novembre 2017 et lui a enjoint d'admettre l'épouse de M. A... au bénéfice du regroupement familial dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés par lui à l'occasion du présent litige.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 7 juillet 2020 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions d'appel tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 25 mars 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

Mme D..., première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2021.

2

N° 20LY02650


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY02650
Date de la décision : 16/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : BOUCHAIR

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-04-16;20ly02650 ?
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