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13/04/2021 | FRANCE | N°19LY02495

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 13 avril 2021, 19LY02495


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... et Mme C... F... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner solidairement le centre hospitalier Alpes Isère et la société hospitalière d'assurances mutuelles à leur verser la somme totale de 63 077 euros à raison des fautes commises lors de la prise en charge de leur fils, M. B... F... et la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1607370 du 30 avril 2019, le tribunal administratif de

Grenoble a rejeté la demande de M. et Mme F....

Procédure devant la Cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... et Mme C... F... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner solidairement le centre hospitalier Alpes Isère et la société hospitalière d'assurances mutuelles à leur verser la somme totale de 63 077 euros à raison des fautes commises lors de la prise en charge de leur fils, M. B... F... et la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1607370 du 30 avril 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de M. et Mme F....

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 25 juin 2019, M. et Mme F..., représentés par Me A..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1607370 du 30 avril 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) à titre principal, de condamner solidairement le centre hospitalier Alpes Isère et la société hospitalière d'assurances mutuelles, à leur verser la somme de 30 000 euros chacun en réparation de leur préjudice d'affection et la somme de 3 077 euros en réparation de leur préjudice matériel ;

3°) à titre subsidiaire, de les condamner à prendre en charge 90 % des conséquences dommageables de ce décès ;

4°) de condamner solidairement le centre hospitalier Alpes Isère et la société hospitalière d'assurances mutuelles à leur verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le centre hospitalier spécialisé Alpes Isère n'a pas pris les dispositions particulières et appropriées au risque suicidaire que présentait leur fils ; aucune consigne ciblée sur la prévention du suicide n'a été prescrite par l'équipe médicale ; aucune visite médicale n'est retranscrite dans le dossier de M. B... F... pour la période du 22 au 25 juillet 2014 ;

- le centre hospitalier spécialisé Alpes Isère a insuffisamment surveillé leur fils, M. B... F..., alors hospitalisé dans une chambre d'isolement du centre hospitalier ; le personnel soignant ne s'est pas montré suffisamment diligent dans la surveillance en se bornant à faire des rondes toutes les deux à trois heures alors que l'Association Américaine de Psychiatrie prescrit une surveillance toutes les quinze minutes pour les patients isolés ; à supposer même qu'un tel rythme de surveillance serait impossible compte tenu des moyens de la psychiatrie en France, celui ne saurait être inférieur à un rythme horaire conformément aux recommandations de la Haute Autorité de Santé ;

- enfin, le fait que M. B... F... ait pu se suicider par pendaison avec ses draps aux charnières de la porte intérieure de sa chambre d'isolement, révèle un défaut de conformité des locaux à la pathologie du patient ;

- les manquements du centre hospitalier, qui ont permis le passage à l'acte de leur fils, doivent donner lieu à une indemnisation intégrale des préjudices qu'ils ont subis ; à titre subsidiaire, la perte de chance d'échapper au suicide ne saurait être inférieure à 90 % ;

Par un mémoire enregistré le 29 juin 2020, le centre hospitalier Alpes Isère et la société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par Me E..., concluent au rejet de la requête de M. et Mme F....

Ils soutiennent que :

- aucune faute n'a été commise par le centre hospitalier Alpes Isère dès lors que M. B... F... ne présentait pas un état suicidaire justifiant une surveillance constante ; malgré une tentative de phlébotomie le 25 juillet, le patient s'était montré calme et cohérent avant son passage à l'acte ; les recommandations en vigueur n'imposent pas de rythme de surveillance ; les références de l'Association Américaine de psychiatrie ne peuvent être mises en oeuvre au regard des moyens de la psychiatrie en France ; au demeurant, et compte tenu de son agitation, le patient a été placé en chambre d'isolement avec une surveillance rapprochée ; l'équipe soignante a effectué des passages réguliers et son état a été réévalué, donnant d'ailleurs lieu à une adaptation de son traitement le 25 juillet 2014 ; des consignes ont été données par les médecins psychiatres aux équipes soignantes quant à son agitation et à la possibilité de recourir à la contention ;

- la configuration de la chambre d'isolement n'est pas constitutive d'une faute puisque la présence de draps et d'une porte permettent d'assurer au patient le respect de son intimité et contribuent à préserver un environnement humain et digne ; la chambre d'isolement était adaptée à la pathologie et au comportement du patient qui ne laissait pas craindre un passage à l'acte ;

- à titre subsidiaire, un défaut de surveillance ou de conception des locaux ne peut être à l'origine que d'une perte de chance d'éviter le décès ; cette perte de chance sera limitée compte tenu de la détermination et de la rapidité avec laquelle M. F... a agi pour mettre fin à ses jours.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gayrard, président assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- les observations de Me Hemour, avocat de M. et Mme F... ;

- et les observations de Me E..., avocat du centre hospitalier Alpes Isère.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... F..., né le 29 juin 1988, a été admis en hospitalisation complète sous contrainte au centre hospitalier spécialisé Alpes Isère où il était suivi régulièrement depuis 2008 en raison d'une schizophrénie de type paranoïde associée à des conduites addictives. Le 27 juillet 2014, entre 11 heures 30 et 13 heures, il s'est suicidé par pendaison aux charnières de la porte de sa chambre d'isolement et au moyen de ses draps. M. et Mme F..., ses parents, relèvent appel du jugement du 30 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la réparation par le centre hospitalier spécialisé Alpes Isère et par la société hospitalière d'assurances mutuelles, des conséquences dommageables du décès de M. B... F... survenu dans cet établissement.

Sur la responsabilité du centre hospitalier spécialisé Alpes Isère :

2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. "

3. Il résulte de l'instruction que M. B... F... était suivi depuis une dizaine d'années par le centre hospitalier spécialisé Alpes Isère pour une schizophrénie de type paranoïde avec comorbité addictive. Il n'est pas contesté que la prise en charge de M. F... étaient rendue complexe du fait du déni complet de ses troubles, de ses fugues répétées, de son agitation voire de son agressivité à l'égard des soignants et des autres patients. Ses troubles délirants ont donné lieu à son placement en chambre d'isolement à plusieurs reprises, à une surveillance rapprochée de son comportement et ont justifié le transfert de M. F... à l'unité de soins intensifs en psychiatrie (USIP) de la Roche sur Foron à compter du 2 juillet 2014. Le patient a toutefois été réintégré à compter du 10 juillet 2014 au centre hospitalier Alpes Isère, date à laquelle il a exprimé pour la première fois des pensées suicidaires. Le 19 juillet 2014, il a fait une tentative de fugue, renouvelée le 24 juillet 2014, et notamment justifiées par son opposition à son nouveau transfert à l'USIP prévu le 29 juillet suivant. Le 25 juillet 2014, l'état d'angoisse de M. F... s'est dégradé avec un chantage au suicide suivi d'une tentative d'autolyse par phlébotomie devant un infirmier. Face à l'expression de ses idées suicidaires, et comme le souligne l'expert, une adaptation du traitement médicamenteux a alors été mise en place pour M. F... qui a semblé donner de bons résultats. En outre, même si aucun suivi médical n'a été effectué entre le 19 juillet et le 24 juillet 2014, M. F... a bénéficié dans les jours précédant son suicide de visites régulières de l'équipe médicale dans sa chambre d'isolement. Le 27 juillet 2014, une surveillance a été effectuée toutes les deux à trois heure, à 0 heures 34, à 5 heures 34, à 9 heures et à 11 heures 30 avant que M. F... soit découvert pendu dans sa chambre lors d'une nouvelle ronde à 13 heures. Selon l'expert, même si aucun programme spécifique à la crise suicidaire n'a été formalisé, un tel rythme de surveillance, ainsi que la pose d'entraves lors des périodes d'agitation, correspondent aux bonnes pratiques professionnelles à l'égard des patients hospitalisés en milieu fermé qui recommandent une visite toutes les deux heures dans le cas général. Or, et alors que M. F... présentait une attitude calme et coopérante la veille et le matin de son passage à l'acte qui pouvait être attribuée à l'efficacité de son nouveau traitement, aucune urgence suicidaire ne justifiait que des mesures de surveillance plus strictes soient mises en oeuvre par le centre hospitalier Alpes Isère. Il suit de là qu'aucune faute dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier Alpes Isère n'a été commise en l'espèce.

4. Par ailleurs, la présence de draps et de charnières à la porte de la chambre d'isolement ne parait pas, en l'absence d'urgence suicidaire, de nature à caractériser un manquement du centre hospitalier à son obligation de sécurité à l'égard du patient.

5. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts F... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.

Sur les frais du litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier Alpes Isère, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. et Mme F... demandent au titre des frais exposés et non compris dans leurs dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme F... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme F..., à société hospitalière d'assurance mutuelles, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône et au centre hospitalier Alpes Isère.

Délibéré après l'audience du 11 mars 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2021.

N° 19LY02495 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY02495
Date de la décision : 13/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-01-06 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. Existence d'une faute. Défauts de surveillance.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe GAYRARD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-04-13;19ly02495 ?
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