Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Le département de la Savoie a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner solidairement les sociétés Signalisation France, Signaux Girod, Franche-Comté Signaux, Lacroix Signalisation et Nadia Signalisation à lui payer la somme de 2 030 000 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation du préjudice économique qu'il a subi du fait de l'entente pratiquée par ces sociétés pour fausser les conditions d'attribution de marchés portant sur des dispositifs de signalisation routière verticale.
Par un jugement n° 1503450 du 19 décembre 2019, le tribunal a partiellement fait droit à sa demande en condamnant ces sociétés à lui verser solidairement la somme de 1 106 711,60 euros, assortie des intérêts à compter du 8 juin 2015 et de leur capitalisation à compter du 8 juin 2016 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Procédures devant la cour
I- Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n° 20LY00665 le 18 février 2020 et le 25 février 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la société Signaux Girod, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande du département de la Savoie ;
3°) de rejeter la demande de garantie formée par la société Franche-Comté Signaux ;
4°) de mettre à la charge du département de la Savoie les entiers dépens et la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que la juridiction administrative n'était pas compétente ;
- le tribunal a écarté à tort les fins de non-recevoir tirées, d'une part, de l'absence d'émission préalable d'un titre exécutoire par le département, d'autre part, de la non-conformité de la demande au regard de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;
- l'action du département de la Savoie était prescrite ;
- le département de la Savoie n'a prouvé l'existence ni d'une faute, ni d'un lien de causalité ; sa responsabilité ne pouvait être recherchée dès lors que ses prix ne sont pas liés à l'entente, qu'elle n'était partie à aucun des marchés litigieux, que d'autres entreprises, non parties à l'entente, ont voulu soumissionner aux marchés ;
- les marchés nos 2006-031 et 2006-032, conclus postérieurement à la période d'entente et le marché n° 2001-065, qui concerne des produits extérieurs à l'entente, ne devaient pas être pris en considération pour la détermination du préjudice ;
- l'existence et le montant du préjudice ne sont pas suffisamment établis par le département de la Savoie ;
- c'est à bon droit que le tribunal a rejeté l'appel en garantie formé par la société Franche-Comté Signaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 décembre 2020, le département de la Savoie, représenté par la SELAS Fidal, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société Signaux Girod une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Signaux Girod ne sont pas fondés.
II- Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n° 20LY00668 le 18 février 2020 et le 25 février 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la société Signaux Girod, représentée par Me B..., demande à la cour d'ordonner, sur le fondement des articles R. 811-16 et R. 811-17 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 1503450 du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble.
Elle soutient, d'une part, que l'exécution du jugement risque de l'exposer à la perte définitive d'une somme et, d'autre part, que les moyens qu'elle soulève dans la requête au fond et qu'elle reprend expressément sont sérieux et que l'exécution de la décision de première instance attaquée risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 octobre 2020, le département de la Savoie, représenté par la SELAS Fidal, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société Signaux Girod une somme de 7 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de commerce ;
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la société Signaux Girod, celles de Me de la Ferté Sénectère, représentant la société Signalisation France, celles de Me C..., représentant le département de la Savoie et celles de Me D..., représentant la société Nadia Signalisation ;
Vu la note en délibéré présentée pour la société Signaux Girod le 5 mars 2021 ;
Considérant ce qui suit :
1. Le département de la Savoie a conclu six marchés à bons de commande pour la fourniture et la pose de panneaux de signalisation routière, dont trois avec la société Signature SA devenue la société Signalisation France, attribués en 2001 et 2003, et trois avec un groupement composé des société Signature SA et Delta TP Services, attribués en 2003 et en 2006. Par une décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010, l'Autorité de la concurrence a condamné huit entreprises, dont les sociétés Signature, Signaux Girod, Lacroix Signalisation, Franche-Comté Signaux et Nadia Signalisation pour s'être illicitement entendues entre 1997 et 2006 sur la répartition et le prix de marchés de signalisation routière verticale et une sanction pécuniaire de 6,94 millions d'euros a notamment été infligée à la société Signaux Girod. Par un arrêt du 29 mars 2012, confirmé par la cour de cassation le 28 mai 2013, la cour d'appel de Paris a rejeté son recours contre cette sanction. Le département de la Savoie a quant à lui saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à la réparation, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, du préjudice qu'il a subi du fait de la participation des sociétés Signature, Signaux Girod, Lacroix Signalisation, Franche-Comté Signaux et Nadia Signalisation à cette entente anticoncurrentielle. Par un jugement du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a condamné les sociétés Signalisation France, Signaux Girod, Lacroix Signalisation, Franche-Comté Signaux et Nadia Signalisation à verser solidairement au département de la Savoie la somme de 1 106 711,60 euros, assortie des intérêts à compter du 8 juin 2015 et de leur capitalisation à compter du 8 juin 2016 et à chaque échéance annuelle ultérieure. La société Signaux Girod relève appel de ce jugement par la requête enregistrée sous le n° 20LY00665 et demande à la cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement par la requête enregistrée sous le n° 20LY00668.
2. Ces requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur la régularité du jugement :
3. Un litige ayant pour objet l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle d'entreprises en raison d'agissements dolosifs susceptibles d'avoir conduit une personne publique à contracter avec l'une d'entre elles, à des conditions de prix désavantageuses, qui tend à la réparation d'un préjudice né du contrat lui-même et résultant de la différence éventuelle entre les termes du marché effectivement conclu et ceux auxquels il aurait dû l'être dans des conditions normales, relève de la compétence des juridictions administratives. Par suite, la société Signaux Girod n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait irrégulier au motif que le tribunal aurait statué sur un litige ne ressortissant pas à la compétence des juridictions administratives.
Sur la recevabilité de la demande présentée devant le tribunal :
4. En premier lieu, si une personne publique est, en principe, irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont elle dispose ne fait pas obstacle, lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, à ce qu'elle saisisse le juge administratif d'une demande tendant à son recouvrement. Une action de la nature de celle décrite au point 3 doit être regardée, pour l'application de ces principes, comme trouvant son origine dans le contrat, y compris lorsqu'est recherchée la responsabilité d'une société ayant participé à ces agissements dolosifs sans conclure ensuite avec la personne publique. Par suite, la société Signaux Girod n'est pas fondée à soutenir que la demande introduite par le département de la Savoie devant le tribunal administratif de Grenoble tendant à obtenir sa condamnation à l'indemniser du surcoût lié à des pratiques anticoncurrentielles lors de la passation des marchés conclus en 2001, 2003 et 2006 avec la société Signature S.A., devenue la société Signalisation France, et le groupement composé de la société Signature SA et de la société Delta TP Services, n'était pas recevable faute pour le département d'avoir préalablement émis un titre exécutoire.
5. En second lieu, aux termes du premier alinéa de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. ".
6. Il ressort des termes non équivoques sur ce point du mémoire introductif d'instance présenté devant le tribunal que s'il a été libellé au nom du " conseil général de la Savoie ", il doit nécessairement être regardé comme ayant été présenté au nom du département de la Savoie. Cette erreur purement matérielle a été rectifiée dans les écritures ultérieures du département. Ces nouvelles écritures ne peuvent, compte tenu de ce qui vient d'être indiqué, être qualifiées d'intervention du département de la Savoie au soutien d'une requête présentée par le " conseil général ". Par suite, la société Signaux Girod n'est pas fondée à soutenir que la demande introduite par le département de la Savoie devant le tribunal administratif de Grenoble le 8 juin 2015 était pour le motif avancé irrecevable.
Sur la responsabilité quasi-délictuelle :
En ce qui concerne la prescription :
7. Aux termes de l'article 2270-1 du code civil, en vigueur jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. ". Aux termes de l'article 2224 du même code, résultant de la loi du 17 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes du II de l'article 26 de cette loi : " Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ".
8. Il résulte de ces dispositions que, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle des auteurs de pratiques anticoncurrentielles se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage. Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, la prescription de telles actions est régie par les dispositions de l'article 2224 du code civil fixant une prescription de cinq ans.
9. Il résulte de l'instruction que si la presse a fait état dès 2006 d'une enquête sur des soupçons de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la signalisation routière, le département de la Savoie, qui n'a pas été à l'origine de la saisine de l'Autorité de la concurrence, n'a été en mesure de connaître de façon suffisamment certaine l'étendue des pratiques anticoncurrentielles dont il a été victime de la part des titulaires des marchés de signalisation routière verticale conclus entre 1997 et 2006, qu'à la lecture de la décision du 22 décembre 2010 de l'Autorité de la concurrence, publiée le jour même sur le site internet de cette autorité ainsi que le prévoit l'article D. 464-8-1 du code de commerce. Il en résulte que le délai de prescription commençait à courir à compter de cette date et n'était pas expiré le 8 juin 2015, date à laquelle le département de la Savoie a présenté au tribunal administratif de Grenoble sa demande tendant à la condamnation solidaire des auteurs de l'entente au titre de leur responsabilité quasi-délictuelle.
En ce qui concerne la responsabilité de la société Signaux Girod :
10. Lorsqu'une personne publique est victime, à l'occasion de la passation d'un marché public, de pratiques anticoncurrentielles, il lui est loisible de mettre en cause la responsabilité quasi-délictuelle non seulement de l'entreprise avec laquelle elle a contracté, mais aussi des entreprises dont l'implication dans de telles pratiques a affecté la procédure de passation de ce marché, et de demander au juge administratif leur condamnation solidaire.
11. Ainsi qu'il a été dit au point 1, par une décision du 22 décembre 2010, l'Autorité de la concurrence a condamné la société requérante, ainsi que sept autres, pour avoir participé entre 1997 et 2006 à une entente constituée pour se répartir au niveau national les marchés publics de signalisation routière et à en augmenter les prix. L'Autorité de la concurrence a indiqué que la société Signaux Girod, qui n'a pas contesté le grief d'entente qui lui a été notifié pour l'ensemble de cette période, faisait partie des quatre entreprises initiatrices de l'entente et constituait l'un des " majors " de l'entente. Elle a infligé à la société Signaux Girod une pénalité de 6,94 millions d'euros. Par un arrêt, devenu définitif, en date du 29 mars 2012, la cour d'appel de Paris a confirmé les sanctions prononcées dans leur principe, en limitant seulement leur montant pour certaines des entreprises concernées, mais non pour la société Signaux Girod. Ainsi, la participation de la société Signaux Girod à cette entente est constitutive d'une faute qui est à l'origine des surcoûts imposés au département de la Savoie à l'occasion de la conclusion de ses marchés de signalisation routière pendant la période de l'entente, et ce alors même que seule la société Signature SA a contracté avec le département de la Savoie au cours de la période de l'entente et que la société Signaux Girod n'a quant à elle dans le même temps que présenté au département des offres non retenues.
12. Le fait que de nombreuses entreprises extérieures à l'entente auraient retiré des dossiers de candidature aux marchés avant de renoncer à présenter une offre n'est pas de nature à établir qu'aucun surcoût n'aurait résulté de l'entente. La circonstance que le niveau le plus faible du prix de vente moyen a été constaté en 2004, au coeur de la période d'entente, tandis que le prix de vente moyen aurait atteint son plus haut niveau entre 2006 et 2008, soit postérieurement à l'entente, n'est pas de nature à démontrer l'absence de surcoût lié à l'entente, les prix de vente de l'année 2004 étant supérieurs aux prix de vente de l'année 2010 et ceux observés entre 2006 et 2008 résultant des conditions tarifaires proposées avant la fin de l'entente. Enfin, la circonstance que le taux de marge de la société Signaux Girod, après prise en compte du coût des matières premières, n'aurait pas évolué entre 2002 et 2009 n'est pas, pour les mêmes raisons, significative. Par suite, la société Signaux Girod n'est pas fondée à soutenir, notamment en se prévalant du rapport de l'expert près la Cour de cassation qu'elle a mandaté, qu'il n'existerait aucun lien de causalité entre les pratiques anticoncurrentielles sanctionnées par l'Autorité de la concurrence et un surprix effectif subi par la collectivité.
En ce qui concerne l'étendue du préjudice :
13. Le département de la Savoie a demandé à être indemnisé du préjudice subi du fait de la signature de six lots de marchés à bons de commande attribués dans le cadre de trois procédures de passation de marchés.
14. Certains de ces marchés, et notamment le marché n° 2001-065, portent sur la fourniture, outre d'équipements de signalisation verticale permanente et temporaire, d'équipements de sécurité et de balisage en plastique qui ne sont pas concernés par les pratiques anticoncurrentielles des sociétés visées par le département. Cette circonstance ne suffit pas à exclure ces marchés, dans leur ensemble, de l'appréciation du surprix subi par le département du fait des pratiques anticoncurrentielles mais justifie que ces références ne soient pas prises en compte pour la détermination de ce surprix.
15. Les candidats à l'attribution des marchés n° 2006-031 et n° 2006-032 ont remis leurs offres au cours de la période pendant laquelle l'Autorité de la concurrence a constaté les pratiques anticoncurrentielles. Le département de la Savoie est en conséquence fondé à demander réparation du préjudice résultant des surcoûts qui lui ont été imposés à l'occasion de la conclusion de ces marchés, même si leur attribution est intervenue en avril 2006, postérieurement à la cessation des pratiques anticoncurrentielles sanctionnées par l'Autorité de la concurrence. Pour le même motif, et alors, ainsi qu'il a été indiqué au point 9, que le département de la Savoie ne pouvait connaître de façon suffisamment certaine avant la décision de l'Autorité de la concurrence l'étendue des pratiques anticoncurrentielles des entreprises du secteur, il est également fondé à obtenir réparation du préjudice résultant du renouvellement annuel, jusqu'au 31 décembre 2009, de ces marchés sans qu'une quelconque imprudence ne puisse lui être imputée.
En ce qui concerne le montant du préjudice :
16. Le préjudice subi par le département de la Savoie est égal au montant des surcoûts générés par les agissements dolosifs constitués par les pratiques anticoncurrentielles des membres de l'entente.
17. Pour évaluer l'ampleur du préjudice subi par une personne publique au titre du surcoût lié à des pratiques anticoncurrentielles, il convient de se fonder sur la comparaison entre les marchés passés pendant l'entente et une estimation des prix qui auraient dû être pratiqués sans cette entente, en prenant notamment en compte la chute des prix postérieure à son démantèlement ainsi que les facteurs exogènes susceptibles d'avoir eu une incidence sur celle-ci.
18. Pour justifier du montant du préjudice qu'il estime avoir subi, le département de la Savoie se réfère aux constatations et conclusions d'un rapport d'expertise établi à sa demande par la société Microeconomix le 21 mai 2015.
19. Le respect du caractère contradictoire d'une expertise implique que les parties aient été mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer ensuite une influence sur les réponses aux questions débattues devant la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.
20. Il ressort des termes du jugement attaqué que, pour déterminer l'existence et le montant du préjudice subi par le département de la Savoie, le tribunal s'est notamment fondé sur le " Rapport d'expertise économique quantifiant le préjudice économique subi par le conseil général de la Savoie en raison des pratiques anticoncurrentielles sanctionnées par la décision n° 10-D-39 de l'autorité de la concurrence ", établi par la société Microeconomix le 21 mai 2015 à la demande du département de la Savoie. Si ce rapport, ainsi que ses annexes, ont été soumis au débat contradictoire en cours d'instance, ce qui a conduit à la production de contre-expertises ainsi que d'une réponse de la société Microeconomix le 18 septembre 2018 et à la prise en considération par le tribunal de certaines critiques formulées à son encontre, les parties n'ont pas été à même de discuter devant l'expert les choix qu'il a opérés pour mettre en oeuvre l'évaluation du préjudice selon la méthode contrefactuelle. Elles n'ont pas eu accès à tous les éléments leur permettant de proposer une évaluation alternative du préjudice fondée sur des bases autres que celles qu'a retenu l'expert pour conduire son évaluation. Dans ces conditions, la cour doit écarter ce rapport dont l'élaboration, pour établir le montant du préjudice subi par le département, n'a pas été suffisamment contradictoire et dont la prise en considération la conduirait à se fonder sur des éléments qui ne constituent pas des éléments de pur fait non contestés par les parties ou de simples éléments d'information. L'état du dossier ne permet pas à la cour de statuer sur les conclusions de la société Signaux Girod contestant le montant de l'indemnisation mise à sa charge par le tribunal administratif au titre du surprix que le département soutient avoir supporté du fait de la conclusion avec la société Signature SA ou avec le groupement qu'elle a constitué avec la société Delta TP Services des marchés nos 2001-064, 2001-065, 2003-046, 2003-047, 2006-031 et 2006-032. Il y a lieu, dans ces conditions, de surseoir à statuer sur ces conclusions et d'ordonner une expertise aux fins ci-après précisées.
Sur le sursis à exécution du jugement :
21. En premier lieu, aux termes de l'article R. 811-14 du code de justice administrative : " Sauf dispositions particulières, le recours en appel n'a pas d'effet suspensif s'il n'en est autrement ordonné par le juge d'appel (...) ". Aux termes de l'article R. 811-16 du même code : " Lorsqu'il est fait appel par une personne autre que le demandeur en première instance, la juridiction peut, à la demande de l'appelant, ordonner sous réserve des dispositions de l'article R. 541-6 qu'il soit sursis à l'exécution du jugement déféré si cette exécution risque d'exposer l'appelant à la perte définitive d'une somme qui ne devrait pas rester à sa charge dans le cas où ses conclusions d'appel seraient accueillies ".
22. Si le jugement condamne solidairement la société Signaux Girod à verser la somme de 1 106 711,60 euros au département de la Savoie, les ressources financières de cette collectivité territoriale sont par leur nature et leur montant de nature à exclure tout risque d'exposer ladite société à la perte définitive de cette somme. Par suite, la demande présentée par la société Signaux Girod sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-16 du code de justice administrative doit être rejetée.
23. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 811-17 du même code : " Dans les autres cas, le sursis peut être ordonné à la demande du requérant si l'exécution de la décision de première instance attaquée risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l'état de l'instruction ".
24. Les comptes des exercices clos en 2017, 2018 et 2019 de la société Signaux Girod font apparaître que son chiffre d'affaires est voisin de 40 millions d'euros et que sa situation présente un déficit chronique de l'ordre de 450 000 euros. Toutefois, elle a dégagé, à la suite de la cession d'actifs immobiliers, un bénéfice net de 3 136 469 euros au titre de son exercice clos au 30 septembre 2019. Dans ces conditions, il n'est pas établi que l'exécution du jugement frappé d'appel risquerait d'entrainer pour elle des conséquences difficilement réparables. Par suite, sa demande présentée sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-17 du code de justice administrative doit être rejetée.
Sur les frais liés au litige de l'instance n° 20LY00668 :
25. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande du département de la Savoie présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête n° 20LY00665 de la société Signaux Girod, procédé par un expert, désigné par le président de la cour, à une expertise avec pour mission :
* de se faire communiquer tous documents, contractuels ou non, utiles à l'accomplissement de sa mission et de procéder à toutes auditions utiles ;
* de fournir à la cour tous les éléments permettant de déterminer le montant du préjudice qu'aurait subi le département de la Savoie au titre de la conclusion des marchés nos 2001-064, 2001-065, 2003-046, 2003-047, 2006-031 et 2006-032 ; en particulier de donner son avis et de transmettre tous les éléments utiles à la cour sur un éventuel surcoût entre les prix effectivement payés par le département de la Savoie et ceux qui auraient été déterminés par le libre jeu de la concurrence, conformément aux principes énoncés au point 17 du présent arrêt ;
* d'exposer les différentes méthodes d'évaluation du préjudice qui pourraient être mises en oeuvre et d'utiliser au moins deux d'entre elles dans le but de confronter et conforter les estimations auxquelles il sera parvenu ;
* d'une manière générale, d'entendre tous sachants et de donner à la cour toutes informations ou appréciations utiles de nature à lui permettre d'évaluer les préjudices subis ;
* le cas échéant, de concilier les parties.
Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues aux articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour et en notifiera copie aux parties dans un délai de 9 mois à compter de sa désignation.
Article 3 : La charge des frais d'expertise est réservée pour y être statué en fin d'instance.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties relatifs à la requête n° 20LY00665 sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.
Article 5 : Les conclusions présentées par la société Signaux Girod dans l'instance n° 20LY00668 et celles présentées par le département de la Savoie dans cette même instance sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Signaux Girod et au département de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 4 mars 2021, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président assesseur,
Mme E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2021.
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Nos 20LY00665 - 20LY00668