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18/03/2021 | FRANCE | N°19LY00501

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 18 mars 2021, 19LY00501


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures

I - La société à responsabilité limitée (SARL) Les Anges d'Eux a demandé au tribunal administratif de Lyon de la décharger des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des intérêts de retard correspondants, mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1700629 du 6 novembre 2018, le tribunal administratif de

Lyon a déchargé la SARL Les Anges d'Eux des rappels de taxe sur la valeur ajoutée,...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures

I - La société à responsabilité limitée (SARL) Les Anges d'Eux a demandé au tribunal administratif de Lyon de la décharger des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des intérêts de retard correspondants, mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1700629 du 6 novembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a déchargé la SARL Les Anges d'Eux des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des intérêts de retard correspondants, mis à sa charge pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 (article 1er) et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2).

II - La SARL Echo 5 a demandé au tribunal administratif de Lyon de la décharger des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des intérêts de retard correspondants, mis à sa charge pour les périodes du 1er janvier au 31 décembre 2014 et de novembre 2015, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1704851 du 20 novembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a déchargé la SARL Echo 5 des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des intérêts de retard correspondants, mis à sa charge pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2014 (article 1er), a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2) et a rejeté le surplus des demandes (article 3).

III - La société par actions simplifiée (SAS) Cletimmo a demandé au tribunal administratif de Lyon de la décharger des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des intérêts de retard correspondants mis à sa charge pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2014, et de mettre à la charge de l'Etat les dépens ainsi qu'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1700978 du 11 décembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a déchargé la société Cletimmo des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ainsi que des intérêts de retard correspondants mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2014 (article 1er) et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2).

Procédures devant la cour

I - Par une requête enregistrée sous le n° 19LY00501 le 7 février 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1700629 du 6 novembre 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de remettre à la charge de la SARL Les Anges d'Eux les rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que les pénalités correspondantes, pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, à hauteur de 19 748 euros en droits et de 316 euros en pénalités.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la mise en oeuvre du régime de taxe sur la valeur ajoutée prévu à l'article 268 du code général des impôts suppose nécessairement que le bien revendu ait une qualification juridique identique à celle du bien acquis, la notion d'achat-revente de terrains à bâtir ou de bâtiments devant s'entendre comme excluant toutes les opérations de transformation ;

- ainsi, l'opération consistant en l'espèce en la vente comme terrain à bâtir, après division parcellaire d'un terrain initialement acquis comme terrain d'assiette d'un immeuble bâti ne peut bénéficier de ce régime dérogatoire d'interprétation stricte, mais doit être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée sur le prix total de cession.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juin 2019, la SARL Les Anges d'Eux, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat les dépens de l'instance ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'application de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge aux livraisons de terrains à bâtir est, comme celle sur la revente de biens d'occasion notamment, conditionnée au seul fait que l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction lors de l'acquisition, en raison de la qualité de non assujetti du vendeur, afin d'éviter tout risque de double imposition à la taxe sur la valeur ajoutée résultant d'une rémanence de cette taxe ;

- en exigeant une identité de qualification juridique entre le bien acquis et le bien revendu, l'administration fiscale ajoute une condition non prévue par la loi fiscale, et qui ne ressort pas davantage de la volonté du législateur, l'article 268 du code général des impôts ne comportant pas de référence aux caractéristiques juridiques ou physiques du bien acquis puis revendu.

II - Par une requête, enregistrée sous le n° 19LY00541 le 11 février 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement n° 1704851 du 20 novembre 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de remettre à la charge de la SARL Echo 5 les rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que les pénalités correspondantes, pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2014, à hauteur de 43 054 euros en droits et de 2 411 euros en pénalités.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la mise en oeuvre du régime de taxe sur la valeur ajoutée prévu à l'article 268 du code général des impôts suppose nécessairement que le bien revendu ait une qualification juridique identique à celle du bien acquis, la notion d'achat-revente de terrains à bâtir ou de bâtiments devant s'entendre comme excluant toutes les opérations de transformation ;

- ainsi, l'opération consistant en l'espèce en la vente comme terrains à bâtir, après division parcellaire d'un terrain initialement acquis comme terrain d'assiette d'un immeuble bâti ne peut bénéficier de ce régime dérogatoire d'interprétation stricte, mais doit être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée sur le prix total de cession.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 juin 2019 et le 4 février 2021, la SARL Echo 5, représentée par la Selas Bret Bremens, conclut au sursis à statuer dans l'attente d'un avis de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi qu'au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la Cour de justice de l'Union européenne a été saisie de la question de droit posée par ce litige ;

- en application de l'article 268 du code général des impôts, sont éligibles à l'option pour la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge les cessions de terrains à bâtir qui n'ont pas ouvert droit à la déduction au jour de l'acquisition ; en l'espèce, les terrains vendus, qui étaient constructibles lors de leur acquisition, étaient des terrains à bâtir, au sens de l'article 257 du code général des impôts, à la date des cessions intervenues, et n'avaient pas ouvert de droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée à l'occasion de leur achat, caractérisant une rupture dans la chaîne de déduction de la taxe ;

- la condition d'identité de qualification juridique entre l'achat et la revente ne résulte ni de l'article 392 de la directive 2006/112/CE ni de l'article 268 du code général des impôts qui en effectue la transposition, l'administration fiscale ajoutant une condition à la loi ;

- le changement de qualification juridique résultant d'une division parcellaire n'est pas incompatible avec la notion d'acquisition visée par l'article 268 du code général des impôts et ne fausse pas l'exactitude du calcul de la marge, un prix de revient étant comptablement affecté à chaque lot.

III - Par une requête enregistrée sous le n° 19LY01240 le 3 avril 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1700978 du 11 décembre 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de remettre à la charge de la SAS Cletimmo les rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que les pénalités correspondantes, pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2014, à hauteur de 18 333 euros en droits et de 660 euros en intérêts de retard.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la mise en oeuvre du régime de taxe sur la valeur ajoutée prévu à l'article 268 du code général des impôts suppose nécessairement que le bien revendu ait une qualification juridique identique à celle du bien acquis, la notion d'achat-revente de terrains à bâtir ou de bâtiments devant s'entendre comme excluant toutes les opérations de transformation ;

- ainsi, l'opération consistant en l'espèce en la vente comme terrains à bâtir, après division parcellaire d'un terrain initialement acquis comme terrain d'assiette d'un immeuble bâti ne peut bénéficier de ce régime dérogatoire d'interprétation stricte, mais doit être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée sur le prix total de cession ;

- le litige ne soulevant qu'une question de droit, le moyen invoqué en première instance tiré du défaut de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires n'est pas fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juillet 2019, la SAS Cletimmo, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat les dépens ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'article 268 du code général des impôts et l'article 392 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 conditionnent l'application de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge aux livraisons de terrains à bâtir au seul fait que l'acquisition par le cédant n'ait pas ouvert de droit à déduction, la circonstance que les caractéristiques physiques et la qualification juridique du bien acheté aient été modifiées avant la cession étant sans incidence ;

- le refus de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires entache la procédure d'irrégularité.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E..., premier conseiller,

- et les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes précédemment visées sous les nos 19LY00501, 19LY00541 et 19LY01240, présentées par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, présentent en l'état de l'instruction à juger une même question. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. La SARL Les Anges d'Eux, qui exerce une activité de marchand de biens, a acquis par acte notarié du 15 mars 2013 une parcelle bâtie à Aurec-sur-Loire (43) composée d'une maison d'habitation avec terrain attenant et dépendances. Après avoir procédé à une division parcellaire, la société a cédé quatre terrains à bâtir entre septembre et décembre 2013 et un terrain à bâtir en avril 2014, en assujettissant chacune de ces opérations à la taxe sur la valeur ajoutée selon le régime de la marge prévu par l'article 268 du code général des impôts. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2012 au 30 septembre 2015, l'administration fiscale, selon proposition de rectification du 19 janvier 2016, a remis en cause l'application de ce régime et procédé à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, assis sur l'intégralité du prix de vente des terrains cédés et mis en recouvrement le 8 août 2016, pour un montant de 19 748 euros en droits, assorti de 316 euros d'intérêts de retard. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour d'annuler le jugement du 6 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a prononcé la décharge totale de ces rappels ainsi que des intérêts de retard correspondants.

3. La SARL Echo 5, qui exerce la même activité de marchand de biens, a acquis par acte notarié du 29 septembre 2011 une propriété bâtie à Reyrieux (01), comprenant une maison d'habitation avec cour et jardin, des dépendances, une source et un terrain boisé. Après avoir procédé à plusieurs redécoupages parcellaires des terrains, elle a notamment revendu quatre lots comme terrains à bâtir à différents acquéreurs au cours de l'année 2014, en assujettissant également chacune de ces opérations à la taxe sur la valeur ajoutée selon le régime de la marge. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014, l'administration fiscale, selon proposition de rectification du 25 février 2016, a remis en cause l'application de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge à l'opération et procédé à des rappels pour la période de l'année 2014, assis sur l'intégralité du prix de vente des terrains cédés et mis en recouvrement le 17 octobre 2016, pour un montant de 43 054 euros en droits, assorti de 2 411 euros d'intérêts de retard. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour d'annuler l'article 1er du jugement du 20 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a prononcé la décharge totale de ces rappels ainsi que des intérêts de retard correspondants.

4. La SAS Cletimmo, qui exerce la même activité, a acquis par acte notarié du 4 juin 2013 une parcelle bâtie à Bonson (42) composée d'une maison d'habitation avec terrain attenant et dépendances. Après avoir procédé à une division parcellaire, la société a notamment procédé à deux cessions de terrains à bâtir au cours de l'année 2014, en assujettissant chacune de ces opérations à la taxe sur la valeur ajoutée selon le régime de la marge. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2012 au 30 juin 2015, l'administration fiscale, selon proposition de rectification du 13 octobre 2015, a remis en cause l'application de ce régime et procédé à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2014, assis sur l'intégralité du prix de vente des terrains cédés, pour un montant de 18 333 euros en droits, assorti de 660 euros d'intérêts de retard. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour d'annuler le jugement du 11 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a prononcé la décharge totale de ces rappels ainsi que des intérêts de retard correspondants.

5. Aux termes de l'article 12 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " 1. Les Etats membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l'article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, et notamment une seule des opérations suivantes : (...) / b) la livraison d'un terrain à bâtir (...) ". Le I de l'article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige, prévoit ainsi que les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du 2 du b de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.

6. L'article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". L'article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction applicable, que : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir (...), si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / - soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain (...); / - soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués ".

7. Les sociétés intimées, dans le cadre de leur activité de marchands de biens, ont procédé auprès de particuliers à des acquisitions, placées hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, de terrains bâtis constitués de vastes parcelles supportant une construction puis ont détaché et divisé les terrains nus attenants aux constructions d'origine en vue de les revendre en qualité de terrains à bâtir. Elles soutiennent, en se prévalant notamment par analogie du régime applicable aux biens d'occasion, que leurs opérations de revente sont soumises au régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge, en dépit des évolutions, notamment juridiques, des biens depuis leur acquisition en vue de la revente, alors que l'appelant fait valoir que la dérogation prévue à l'article 268 du code général des impôts n'est susceptible de s'appliquer qu'aux biens achetés puis revendus sans transformation ni modification intermédiaire entre les deux étapes de l'opération.

8. Les dispositions de droit interne précitées de l'article 268 du code général des impôts ont été interprétées en ce sens que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elles prévoient s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, notamment quand le bâtiment qui y était édifié a fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur ou quand le bien acquis a fait l'objet d'une division parcellaire en vue d'en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d'assiette du bâtiment (Conseil d'Etat, 27 mars 2020, Ministre de l'action et des comptes publics c/ SARL Promialp, 428234 ; voir aussi notamment Conseil d'Etat, 16 juillet 2020, Ministre de l'action et des comptes publics c/ M. C..., 435464).

9. La Cour de justice a cependant été saisie par une décision du Conseil d'Etat du 25 juin 2020, dans l'hypothèse d'un lotisseur ayant fait l'acquisition d'un terrain non bâti revendu en qualité de terrain à bâtir, après avoir effectué des travaux de viabilisation et division en lots, d'une question préjudicielle, enregistrée sous le n° C-299/20, portant notamment sur le point de savoir si l'article 392 de la directive du 28 novembre 2006, d'application stricte en tant que dérogation, doit être interprété comme excluant l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dans les deux hypothèses suivantes : soit lorsque ces terrains, acquis non bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir ; soit lorsqu'ils ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots ou la réalisation de travaux permettant leur desserte par divers réseaux (voirie, eau potable, électricité, gaz, assainissement, télécommunications).

10. Le marchand de biens comme le lotisseur, agissant en qualité d'acheteurs-revendeurs, réalisent une opération de livraison d'un terrain à bâtir effectuée après avoir opéré certaines transformations d'un terrain acquis alors qu'il n'avait pas la qualification de terrain à bâtir. Les deux types d'opération diffèrent en revanche en ce que, dans un cas, le terrain a initialement été acquis bâti alors que, dans l'autre cas, il a été acquis non bâti.

11. La réponse aux moyens présentés dans le présent litige, lequel pose des questions complémentaires à celles dont la Cour a été saisie sous le n° C-299/20, dépend ainsi du point de savoir si l'article 392 de la directive du 28 novembre 2006, qui est d'application stricte en tant que dérogation, doit être interprété comme excluant l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dans les deux hypothèses suivantes : soit lorsque ces terrains, acquis bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir ; soit lorsqu'ils ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots.

12. Cette question est déterminante pour la solution du litige et présente des difficultés sérieuses d'interprétation, en l'absence de jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne éclairant l'objet et la portée des dispositions en cause. Il y a lieu, par suite, d'en saisir cette Cour en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur les requêtes du ministre de l'économie, des finances et de la relance.

DÉCIDE :

Article 1er : Il est sursis à statuer sur les requêtes présentées par le ministre de l'économie, des finances et de la relance jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante :

L'article 392 de la directive du 28 novembre 2006 doit-il être interprété comme excluant l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dans les deux hypothèses suivantes :

- lorsque ces terrains, acquis bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir ;

- lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots '

Article 2 : Tous droits et moyens des parties sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la relance, à la SARL Les Anges d'Eux, à la SARL Echo 5, à la SAS Cletimmo, et au greffier de la Cour de justice de l'Union européenne.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

Délibéré après l'audience du 25 février 2021, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme B..., présidente assesseure,

Mme E..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mars 2021.

2

N°s 19LY00501-19LY00541-19LY01240

lc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY00501
Date de la décision : 18/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

Communautés européennes et Union européenne - Application du droit de l'Union européenne par le juge administratif français - Renvoi préjudiciel à la Cour de justice.

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée - Liquidation de la taxe - Base d'imposition.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Mathilde LE FRAPPER
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : AUBIN EMMANUEL

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-03-18;19ly00501 ?
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