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23/02/2021 | FRANCE | N°20LY01661

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre, 23 février 2021, 20LY01661


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler l'arrêté du 24 octobre 2019 par lequel la préfète du Cantal l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office.

Par un jugement n° 1902227 du 23 janvier 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une req

uête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 23 juin 2020 et le 28 janvier 2021, ce dernier mém...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler l'arrêté du 24 octobre 2019 par lequel la préfète du Cantal l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office.

Par un jugement n° 1902227 du 23 janvier 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 23 juin 2020 et le 28 janvier 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, Mme E..., représentée par Me B... H..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 23 janvier 2020 ainsi que les décisions 24 octobre 2019 de la préfète du Cantal ;

2°) d'enjoindre la préfète du Cantal de lui délivrer une carte de séjour mention " vie privée et familiale " et, à défaut de réexaminer sa demande en lui délivrant un récépissé l'autorisant à travailler dans le délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et au titre des frais restant intégralement à sa charge même en cas d'admission à l'aide juridictionnelle ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à son avocate au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en lui notifiant une obligation de quitter le territoire après l'avoir convoquée pour un entretien en préfecture le 18 octobre 2019, la préfète a entaché sa décision d'un détournement de pouvoir et de procédure ;

- l'arrêté en litige ne formule pas clairement de refus de titre de séjour sur sa demande présentée sur le fondement de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il est entaché d'un défaut de motivation, notamment sur son droit au séjour en raison de son état de santé ;

- la décision implicite lui refusant un titre de séjour est irrégulière faute pour la préfète de justifier d'un avis du collège des médecins de l'OFII et de la régularité de cet avis ;

- cette décision est entachée d'erreur d'appréciation ; son état de santé nécessite des traitements auxquels elle ne peut pas avoir accès au Kosovo ;

- la décision implicite lui refusant un titre de séjour méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision l'obligeant à quitter le territoire est insuffisamment motivée ;

- c'est à tort que la préfète s'est fondée, pour l'obliger à quitter le territoire, sur le 6° de l'article L. 511-1-I du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors qu'une demande de titre de séjour était en cours d'instruction ; la décision portant obligation de quitter le territoire constitue un détournement de procédure, une atteinte aux droits de la défense et une violation de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- cette décision méconnaît l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire ;

- cette décision méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision méconnait l'article 3 de de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire enregistré le 21 juillet 2020, la préfète du Cantal conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 26 février 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F..., première conseillère ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., née en 1975 et de nationalité kosovare, est entrée en France le 28 août 2016. Sa demande d'asile a été rejetée par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 29 septembre 2017 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 16 mai 2018. Mme E... relève appel du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 octobre 2019 de la préfète du Cantal.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I- L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger (...), lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 743-1 et L. 743-2 , à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. Lorsque, dans l'hypothèse mentionnée à l'article L. 311-6, un refus de séjour a été opposé à l'étranger, la mesure peut être prise sur le seul fondement du présent 6° ; ". L'arrêté du 24 octobre 2019 rappelle que Mme E... a demandé, le 30 mai 2018, la délivrance d'un titre de séjour en invoquant son état de santé. Qu'après instruction et avis du collège des médecins de l'OFII daté du 27 novembre 2018, il ressort que l'état de santé de Mme E... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, elle peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, qu'elle peut voyager sans risque vers son pays d'origine et qu'après examen particulier de sa situation personnelle, elle ne remplit pas les conditions de délivrance de plein droit d'un titre de séjour. Si la préfète du Cantal ne mentionne pas, à l'article 1er de l'arrêté en litige, qu'un refus de titre de séjour est opposé à Mme E..., il résulte, néanmoins des motifs de sa décision, que la préfète a entendu rejeter la demande de titre de séjour présentée par l'intéressée.

3. En deuxième lieu, l'arrêté en litige, qui rappelle le parcours de l'intéressée depuis son arrivée en France et fait notamment état du sort réservé à son admission au séjour au titre de l'asile et à sa demande de titre de séjour pour raisons de santé, comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est par suite suffisamment motivé. Par ailleurs, du fait de la motivation relative au refus de titre de séjour, la décision lui faisant obligation de quitter le territoire n'avait pas à faire l'objet d'une motivation spécifique.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lesquels disposent que " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (...). ".

5. Par avis du 27 novembre 2018 versé aux débats, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, saisi dans le cadre de la demande de titre de séjour présentée par Mme E..., a estimé que, si l'état de santé de l'intéressée nécessitait des soins dont le défaut pouvait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle peut effectivement bénéficier d'un traitement au Kosovo, pays vers lequel elle peut voyager sans risque.

6. D'une part, en se bornant à soutenir que la préfète doit justifier de la régularité de cet avis, la requérante n'assortit pas son moyen de précisions suffisantes pour qu'il puisse y être répondu.

7. D'autre part, pour contester l'appréciation de la préfète du Cantal, laquelle s'est appropriée les termes de l'avis du 27 novembre 2018 précité, Mme E..., qui souffre de syndrome anxieux-dépressif, avec agoraphobie, associé à un état de stress post-traumatique et d'une hypertension artérielle, verse aux débats plusieurs certificats médicaux attestant du suivi de sa pathologie et de son appartenance à la communauté rom au Kosovo rendant difficile dans son pays l'accès aux soins et aux hôpitaux. L'intéressée fait en outre valoir l'absence de stabilisation de son état psychologique induisant une dépendance à l'égard de ses enfants majeurs qui l'accompagnent, ainsi que l'aggravation de son état de santé depuis l'avis précité par l'apparition d'un diabète de type 2 et de problèmes gastriques et neurologiques pour lesquels elle prend un traitement médicamenteux. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment d'extraits de la base de données européenne dite "MedCOI" que le Kosovo offre des structures et des officines suffisamment achalandées pour que la requérante puisse y poursuivre l'ensemble de ses suivi et traitement médicaux. En outre, ses trois fils majeurs font l'objet de décision d'éloignement. Enfin, il n'est pas établi par les seules attestations sous seing privé versées aux débats que la requérante, du fait de ses origines roms, ne pourrait avoir accès aux structures hospitalières au Kosovo. Dans ces conditions, la préfète du Cantal n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation pour l'application des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. En quatrième lieu, Mme E... réside en France depuis un peu plus de trois années à la date de la décision litigieuse. Ses enfants, dont deux sont majeurs et qui l'assistent dans sa vie quotidienne depuis leur arrivée en France, font l'objet d'une mesure d'éloignement. L'intéressée ne justifie pas d'une insertion particulière sur le territoire national. En outre, il n'est pas établi que la vie privée et familiale de l'intéressée ne puisse se poursuivre au Kosovo du seul fait de son appartenance à la communauté rom, où elle peut continuer son suivi médical et vers lequel elle peut voyager sans risque dès lors qu'elle a pris son traitement. Dans ces conditions, la décision lui refusant un titre de séjour n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. En cinquième lieu, la requérante réitère en appel son moyen tiré de ce que l'arrêté en litige est entaché d'un détournement de pouvoir, de procédure et méconnaît l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il convient d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le magistrat désigné au point 5 du jugement.

10. En sixième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 7, la décision obligeant l'intéressée à quitter le territoire dans le délai de trente jours ne méconnaît pas l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

11. En septième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 8, la décision obligeant l'intéressée à quitter le territoire ainsi que celle fixant le pays de destination ne méconnaissent pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni ne sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation quant à leurs conséquences sur la situation de l'intéressée.

12. En huitième lieu, la décision d'éloignement n'étant pas illégale, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination de son éloignement serait illégale par la voie de l'exception d'illégalité.

13. En neuvième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la même convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ". Si l'intéressée soutient que la désignation du pays de destination l'exposerait, en l'absence de traitement disponible, à un traitement inhumain ou dégradant contraire aux stipulations précitées, il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 7 que la requérante peut être médicalement prise en charge au Kosovo et n'établit ainsi pas qu'en cas de retour dans ce pays, elle serait menacée d'y subir des traitements prohibés par ces stipulations. En outre, les seules circonstances que l'intéressée soit d'origine rom, ce qui l'empêcherait de travailler, qu'elle soit veuve, ce qui la rend vulnérable, ne démontrent pas qu'en cas de retour au Kosovo Mme E... serait exposée à des traitements prohibés par l'article 3 précité.

14. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Cantal.

Délibéré après l'audience du 2 février 2021 à laquelle siégeaient :

Mme C... A..., présidente ;

M. Thierry Besse, président-assesseur ;

Mme G... F..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2021.

La rapporteure,

Christine F... La présidente,

Danièle A...

La greffière,

Fabienne Prouteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 20LY01661


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20LY01661
Date de la décision : 23/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme DEAL
Rapporteur ?: Mme Christine PSILAKIS
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : FAURE CROMARIAS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-02-23;20ly01661 ?
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