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28/01/2021 | FRANCE | N°19LY00620

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 28 janvier 2021, 19LY00620


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner solidairement les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles à lui verser la somme totale de 650 183,09 euros à raison des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite d'une infection nosocomiale contractée lors de son hospitalisation, subsidiairement, d'ordonner une nouvelle expertise médicale et de mettre à la charge des hospices civils de Lyon et de la société hospitalière d'assurances mutuelle

s la somme de 4 196 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner solidairement les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles à lui verser la somme totale de 650 183,09 euros à raison des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite d'une infection nosocomiale contractée lors de son hospitalisation, subsidiairement, d'ordonner une nouvelle expertise médicale et de mettre à la charge des hospices civils de Lyon et de la société hospitalière d'assurances mutuelles la somme de 4 196 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Orange a, dans la même instance, demandé au tribunal administratif de Lyon, dans le dernier état de ses écritures, de condamner solidairement les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles à lui verser la somme totale de 122 890,18 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2010 et de mettre à la charge des hospices civils de Lyon et de la société hospitalière d'assurances mutuelles la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, représentant la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie, a, dans la même instance, demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles à lui verser la somme de 221 816,11 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement, au titre des débours qu'elle a exposés au profit de son assurée ainsi que la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par un jugement n° 1510239 du 11 décembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a condamné les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles à verser à Mme A... une somme de 27 420 euros, sous déduction de la provision qui lui a déjà été versée en application de l'ordonnance n° 1409773 du 26 avril 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Lyon, a condamné les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire une somme de 221 816,11 euros ainsi qu'une somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, a mis à la charge des hospices civils de Lyon et de la société hospitalière d'assurances mutuelles une somme de 1 200 euros à verser à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 février 2019 et un mémoire enregistré le 7 septembre 2020, la société Orange, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1510239 du 11 décembre 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner solidairement les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles à lui verser la somme de 122 890,18 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2010 ;

3°) de mettre à la charge des hospices civils de Lyon une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce que les premiers juges auraient dû demander aux experts désignés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de Rhône-Alpes de se prononcer de manière plus précise sur le lien de causalité entre les préjudices permanents de Mme A... et l'infection qu'elle a contractée lors de sa prise en charge au sein des hospices civils de Lyon ;

- les préjudices subis par Mme A... et décrits par les rapports d'expertise, en particulier les préjudices permanents, sont en lien direct et certain avec l'infection nosocomiale qu'elle a contractée ;

- en sa qualité d'employeur de Mme A..., elle a subi un préjudice du fait des prestations qui lui ont été versées au cours de l'arrêt de travail consécutif à l'opération chirurgicale et à l'infection nosocomiale ; le préjudice subi, pour la période du 29 mai 2007 au 15 juin 2011, s'élève à la somme totale de 122 890,18 euros et comprend la rémunération brute maintenue, les cotisations patronales, les congés payés acquis durant l'absence de Mme A..., les cotisations patronales sur ces congés, l'intéressement et la participation acquis durant la période d'arrêt de travail ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par des mémoires, enregistrés le 31 juillet 2019 et le 7 septembre 2020, Mme A..., représentée par Me B..., conclut :

1°) à l'annulation du jugement n° 1510239 du 11 décembre 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) par la voie de l'appel provoqué, à la condamnation solidaire des hospices civils de Lyon et de la société hospitalière d'assurances mutuelles à lui verser la somme de 650 183,09 euros à raison des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite d'une infection nosocomiale contractée lors de son hospitalisation ;

3°) subsidiairement, à ce qu'une nouvelle expertise médicale soit ordonnée ;

4°) à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge solidaire des hospices civils de Lyon et de la société hospitalière d'assurances mutuelles en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés en première instance et en appel.

Elle soutient que :

- ses conclusions sont recevables en raison du lien étroit avec celles de l'appel principal présenté par la société Orange ;

- le jugement attaqué est irrégulier en ce que les premiers juges auraient dû demander aux experts désignés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de Rhône-Alpes de se prononcer de manière plus précise sur le lien de causalité entre les préjudices permanents de Mme A... et l'infection qu'elle a contractée lors de sa prise en charge au sein des hospices civils de Lyon ;

- l'ensemble des préjudices qu'elle a subis et décrits par les rapports d'expertise, en particulier les préjudices permanents, sont en lien direct et certain avec l'infection nosocomiale contractée lors de son hospitalisation aux hospices civils de Lyon ;

- elle a droit à :

* la somme de 17 030,35 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire qu'elle a subi du 22 juin 2007 au 15 juin 2011, déduction faite de la provision qui lui a été accordée pour ce chef de préjudice ;

* la somme de 10 000 euros au titre des souffrances endurées, évaluées par les experts à 4 sur une échelle de 7, déduction faite de la provision qui lui a été accordée pour ce chef de préjudice ;

* la somme de 6 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire subi, évalué par les experts à 3,5 sur une échelle de 7, déduction faite de la provision qui lui a été accordée pour ce chef de préjudice ;

* la somme de 34 600 euros au titre de l'assistance par une tierce personne ;

* la somme de 74 192,86 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels ;

* la somme de 1 338 euros au titre des dépenses de santé actuelles ;

* la somme de 91,63 euros au titre des frais de transport ;

* la somme de 27 500 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent ;

* la somme de 3 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent, évalué à 2 sur une échelle de 7 ;

* la somme de 20 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

* la somme de 10 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

* la somme de 100 407 euros au titre des frais de véhicule adapté ;

* la somme de 306 285,28 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs.

Par un mémoire enregistré le 8 août 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie, ayant pour mandataire de gestion la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, représentée par la SELARL Traverso E... et associés, agissant par Me E..., conclut à la confirmation du jugement n° 1510239 du 11 décembre 2018 du tribunal administratif de Lyon, à ce que la somme due au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale soit portée à la somme de 1 080 euros et à ce que, outre les entiers dépens, la somme de 3 000 euros soit mise à la charge des hospices civils de Lyon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle a droit au remboursement des prestations versées en rapport avec les soins liés à l'infection dont a souffert Mme A... et qui s'élèvent à la somme de 221 816,11 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 mai 2020, les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par Me C..., concluent au rejet de la requête ainsi que des conclusions présentées par Mme A... et par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie.

Ils soutiennent que :

- à titre principal, le litige soulevé par Mme A... étant distinct de celui de la société Orange, Mme A... n'est pas recevable à contester, par la voie de l'appel incident, les motifs par lesquels le tribunal administratif de Lyon a statué sur ses propres préjudices ; pour ce motif, Mme A... est également irrecevable à présenter, par la voie de l'appel provoqué, des conclusions indemnitaires ; en outre, quel que soit le sort réservé aux conclusions de l'appel principal présenté par la société Orange visant à obtenir la réparation d'un préjudice qui lui est propre, il n'aura aucune conséquence sur les préjudices personnels de Mme A... ;

- les moyens soulevés par la société Orange et, à titre subsidiaire, ceux soulevés par Mme A... ne sont pas fondés ;

- si une condamnation venait à être prononcée à leur encontre, la provision de 15 090 euros accordée à Mme A... devrait venir en déduction des sommes allouées.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de soulever d'office l'irrégularité du jugement attaqué, dès lors que le tribunal administratif a méconnu la portée de l'article 1er de l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 modifiée en omettant de communiquer au ministre de l'action et des comptes publics, en charge des pensions, la demande de Mme A..., qui a conservé la qualité de fonctionnaire de l'Etat exerçant des fonctions au sein de la société Orange.

La société Orange a présenté ses observations en réponse au moyen par un mémoire enregistré le 4 décembre 2020.

Mme A... a présenté ses observations en réponse au moyen par un mémoire enregistré le 4 décembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- l'arrêté du 4 décembre 2020 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a subi, le 29 mai 2007, à l'hôpital neurologique Pierre Wertheimer, dépendant des hospices civils de Lyon, une intervention chirurgicale d'exérèse d'un méningiome para-sagittal. Les suites de l'opération ont été marquées par l'apparition d'un hématome sous-cutané au niveau de la voie d'abord crânienne. Le 25 juin 2007, l'analyse d'un prélèvement de plaie du cuir chevelu a mis en évidence de nombreuses colonies du germe Staphylococcus aureus. Un bilan bactériologique effectué le 2 juillet 2007 a confirmé la présence de rares colonies de ce germe ainsi que du germe Serratia marcescens. Mme A... a présenté, par la suite, plusieurs épisodes infectieux se manifestant par un écoulement purulent au niveau de la cicatrice, qui ont nécessité, le 26 octobre 2017, une reprise de la cicatrice et une ablation du volet osseux puis, le 16 juin 2010, une nouvelle reprise de la cicatrice et un curetage osseux. Le 30 mai 2010, Mme A... a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de Rhône-Alpes qui a désigné le docteur Franck, neurochirurgien, et le docteur Le Coq, infectiologue, en qualité d'experts. Le rapport d'expertise du 17 avril 2011, complété le 7 avril 2013 après la consolidation de l'état de santé de l'intéressée, a permis à la commission de considérer, dans un avis du 12 juin 2013, que Mme A... avait été victime d'une infection nosocomiale à l'origine de préjudices indépendants de la pathologie initiale, et qu'en l'absence d'une cause étrangère et d'un déficit fonctionnel permanent supérieur à 25 %, la réparation devait incomber à l'assureur des hospices civils de Lyon. Par une lettre du 17 octobre 2013, la société hospitalière d'assurances mutuelles, assureur des hospices civils de Lyon, a adressé une offre d'indemnisation à Mme A.... Celle-ci a refusé cette offre et a saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande indemnitaire tendant à la condamnation solidaire des hospices civils de Lyon et de son assureur à lui verser la somme de 650 183,09 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite d'une infection nosocomiale contractée lors de son hospitalisation. Dans la même instance, la société Orange, employeur de Mme A..., fonctionnaire de l'Etat, titulaire du grade de collaborateur de second niveau exerçant ses fonctions au sein de cette société, a demandé au tribunal administratif de condamner solidairement les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles à lui verser la somme totale de 122 890,18 euros correspondant aux traitements et autres sommes qu'elle a versés à raison de l'infection contractée par Mme A.... La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie a demandé le remboursement de ses débours.

2. Par un jugement du 11 décembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a condamné les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles à verser à Mme A... une somme de 27 420 euros, sous déduction de la provision qui lui a déjà été versée en application de l'ordonnance n° 1409773 du 26 avril 2016 du juge des référés de ce tribunal, a condamné les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire une somme de 221 816,11 euros ainsi qu'une somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et a rejeté le surplus des demandes. La société Orange relève appel de ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à sa demande indemnitaire. Par la voie de l'appel provoqué, Mme A... conclut à la réformation à l'annulation de ce jugement et à la condamnation solidaire des hospices civils de Lyon et de la société hospitalière d'assurances mutuelles à lui verser la somme de 650 183,09 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. D'une part, aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques, les agents de l'Etat ou d'une personne publique mentionnée à l'article 7 de cette ordonnance ou leurs ayants droit qui demandent en justice la réparation d'un préjudice qu'ils imputent à un tiers " doivent appeler en déclaration de jugement commun la personne publique intéressée et indiquer la qualité qui leur ouvre droit aux prestations de celle-ci ". Cette obligation, dont la méconnaissance est sanctionnée par la possibilité reconnue à toute personne intéressée de demander pendant deux ans l'annulation du jugement, a pour objet de permettre la mise en cause, à laquelle le juge administratif doit procéder d'office, des personnes publiques susceptibles d'avoir versé ou de devoir verser des prestations à la victime ou à ses ayants droit.

4. D'autre part, aux termes de l'article 30 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la Poste et des Télécommunications : " (...) La liquidation et le service des pensions allouées, en application du code des pensions civiles et militaires de retraite, aux fonctionnaires de (...) France Télécom sont effectués par l'Etat. (...) ". Aux termes de l'article 43 de cette même loi : " Les dispositions de l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 (...) sont applicables aux recours exercés par (...) France Télécom en ce qui concerne leur personnel fonctionnaire ".

5. Devant le tribunal administratif de Lyon, Mme A... avait produit, à l'appui de sa demande, des pièces desquelles il résultait qu'elle était employée par la société Orange, anciennement France Telecom, et avait la qualité de fonctionnaire de l'Etat. En ne communiquant pas sa demande au ministre chargé des pensions, le tribunal administratif a entaché son jugement d'irrégularité. Ce dernier doit, par suite, être annulé.

6. La procédure ayant été communiquée au ministre de l'action et des comptes publics, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Lyon.

Sur la responsabilité des hospices civils de Lyon :

7. Aux termes du second alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissement, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins " sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ". Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.

8. Il résulte de l'instruction et, notamment du rapport des experts mandatés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de Rhône-Alpes, que l'infection de Mme A... par la bactérie Serratia marcescens, présente en milieu hospitalier, est apparue au niveau du volet osseux et du pourtour de la zone de craniectomie, à l'endroit où était initialement survenu un hématome postopératoire propice à la surinfection, et que le délai d'apparition de cette infection, diagnostiquée trente-trois jours après l'intervention du 29 mai 2007 d'exérèse d'un méningiome, s'explique par la faible vascularisation de la zone d'infection. Les hospices civils de Lyon et leur assureur, qui ne contestent pas les conclusions des experts, ne font état d'aucune cause étrangère propre à expliquer la survenance de l'infection. Par suite, les hospices civils de Lyon doivent, en application des dispositions précitées du second alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, être déclarés responsables des conséquences dommageables de l'infection nosocomiale par le germe Serratia marcescens contractée par Mme A... dans les suites de l'intervention chirurgicale réalisée le 29 mai 2007. Cependant, les hospices civils de Lyon et leur assureur n'ont l'obligation d'indemniser que les préjudices résultant directement et certainement de cette infection nosocomiale, à l'exclusion de ceux qui peuvent être imputés à l'évolution de la pathologie initiale de la patiente.

Sur les préjudices subis par Mme A... :

9. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que l'état de santé de Mme A... en lien de causalité direct avec l'infection nosocomiale dont elle a été atteinte était stabilisé à la date des opérations d'expertise, de sorte que les experts ont retenu une date de consolidation au 15 juin 2011.

En ce qui concerne les préjudices temporaires :

Quant aux préjudices patrimoniaux :

S'agissant des dépenses de santé :

10. Si Mme A... présente une demande d'indemnisation à ce titre, à hauteur de 1 338 euros, correspondant à des frais liés à deux séjours au sein d'un centre de réadaptation fonctionnelle effectués en 2007 et 2010, au coût d'une cure thermale avec une orientation neurologique, effectuée du 19 septembre 2012 au 9 octobre 2012, et à l'achat d'une ceinture et d'un collier thermiques, il ne résulte pas de l'instruction que ces dépenses de santé, à supposer même qu'elles soient effectivement restées à la charge de l'intéressée, seraient en lien direct et certain avec les conséquences dommageables de l'infection nosocomiale. Par suite, la demande indemnitaire présentée au titre de ce chef de préjudice ne peut qu'être rejetée.

S'agissant de l'assistance par une tierce personne :

11. Mme A... fait valoir que son état de santé a nécessité l'aide d'une tierce personne, à raison de deux heures par jour, du 2 novembre 2010 jusqu'au 16 juin 2011. Toutefois, alors qu'au cours de cette période le déficit fonctionnel temporaire de Mme A... en lien avec l'infection nosocomiale a été évalué par les experts à seulement 12 %, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise complété le 7 avril 2013, que l'état de santé de l'intéressée résultant de la seule infection nosocomiale aurait nécessité l'assistance d'une tierce personne.

S'agissant de la perte de gains professionnels avant consolidation :

12. Mme A... fait valoir qu'elle a subi une perte de revenus à hauteur de 80 %, entre le 29 mai 2007 et le 15 juin 2011, soit la somme totale de 74 192,96 euros. Toutefois, si les experts ont indiqué, sans autre précision, que 80 % de la perte de gains professionnels subie par Mme A... avant le 15 juin 2011 était liée à l'infection nosocomiale, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise et des compléments apportés par les experts, que, d'une part, les séquelles dont demeurait affectée Mme A... et constatées lors des opérations d'expertise du 11 février 2011, consistant en un retentissement thymique, des troubles moteurs et une épilepsie sensitivomotrice, qui constituent des troubles connus dans les suites d'une chirurgie d'exérèse d'un méningiome, étaient liées à la seule lésion tumorale et sans lien direct, même partiellement, avec les épisodes infectieux et que, d'autre part, les experts ont émis des doutes sur le point de savoir si ces mêmes séquelles résultant de l'intervention liée à sa pathologie initiale lui auraient permis de reprendre son emploi ou même de bénéficier d'un reclassement professionnel. Mme A... n'apporte aucun élément de nature à établir qu'en l'absence d'infection nosocomiale elle aurait pu, compte tenu des troubles liés à sa pathologie initiale, reprendre son activité de conseiller d'assistance aux clients par téléphone ou bénéficier d'un reclassement sur un autre poste. Par suite, en l'absence de lien de causalité entre l'infection nosocomiale dont elle a été atteinte et l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de reprendre le travail, la demande indemnitaire formulée par Mme A... au titre de la perte de revenus ne peut être accueillie.

S'agissant des frais divers :

13. Il résulte de l'instruction que Mme A..., domiciliée à Seynod, a été contrainte, compte tenu l'infection nosocomiale dont elle a été victime, de se rendre à l'hôpital Pierre Wertheimer à Bron, le 22 décembre 2010 pour subi un examen par scintigraphie. Elle justifie de frais de péage et de repas en lien avec ce déplacement à hauteur de 32,87 euros. En outre, compte tenu de la distance de 122 kilomètres séparant le domicile de Mme A... de l'hôpital, ainsi qu'il résulte des mentions portées sur les tickets de péage, et sur la base du barème kilométrique de l'administration fiscale applicable au cours de l'année 2010 pour les distances inférieures à 5 000 kilomètres, lequel prévoit un montant de 0,387 euros par kilomètre parcouru pour un véhicule de trois chevaux, ces frais doivent être fixés à la somme de 94,43 euros. Par suite, il y a lieu d'accorder à Mme A..., au titre de ces frais, la somme globale de 127,30 euros.

Quant aux préjudices extrapatrimoniaux :

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

14. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise diligentée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de Rhône-Alpes, que Mme A... a subi une période de déficit fonctionnel temporaire total en lien avec l'infection nosocomiale du 26 juin 2007 au 7 décembre 2007, du 19 juin 2008 au 14 novembre 2008 et du 15 juin 2010 au 27 octobre 2010, ainsi qu'une période de déficit fonctionnel temporaire, évaluée à 50 % du 8 décembre 2007 au 18 juin 2008, à 25 % du 15 novembre 2008 au 14 juin 2010 et à 12 % du 28 octobre 2010 au 15 juin 2011, date à laquelle les experts ont fixé la consolidation de son état de santé au regard de l'infection nosocomiale. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi au titre du déficit fonctionnel temporaire total et partiel en l'estimant à 11 500 euros.

S'agissant des souffrances endurées :

15. Il résulte de l'instruction que les experts ont évalué les souffrances endurées en lien avec l'infection, laquelle a nécessité plusieurs reprises chirurgicales, à 4 sur une échelle de 7. Le préjudice subi à ce titre peut être évalué à la somme de 7 200 euros.

S'agissant du préjudice esthétique temporaire :

16. Le préjudice esthétique temporaire de Mme A... en lien avec l'infection nosocomiale, du fait notamment de la purulence de la plaie et la mise en place d'une prothèse capillaire, qui a été estimé par les experts à 3,5 sur une échelle de 7, peut être évalué à la somme de 5 500 euros.

En ce qui concerne les préjudices permanents :

17. En premier lieu, il résulte de l'instruction, en particulier de l'expertise, que, depuis fin novembre 2010 et l'arrêt de l'antibiothérapie, aucun signe clinique de l'infection ni aucun point d'appel infectieux n'a été constaté, ce que corroborent les examens d'imagerie médicale. En outre, ainsi qu'il a été dit au point 12, les experts ont estimé que les séquelles dont Mme A... demeure affectée après la consolidation de son état de santé en lien avec l'infection, consistant en des troubles dépressifs, moteurs, cognitifs et épileptiques, étaient en rapport avec l'intervention d'exérèse du méningiome dont ils constituent des suites connues. Cette analyse est corroborée à la fois par le neurologue qui suit Mme A... et qui a estimé, le 10 juillet 2012, que les troubles épileptiques dont souffre l'intéressée constituent des séquelles du méningiome opéré le 29 mai 2007 et par le médecin traitant de l'intéressée qui a relevé, le 28 juillet 2014, que l'état anxio-réactionnel de Mme A... était consécutif à la réapparition de ses troubles moteurs. De même, le rapport médical critique du 15 mars 2017 produit par les Hospices civils de Lyon, émanant d'un neurochirurgien, confirme qu'à la date du 15 juin 2011, la plaie infectée était guérie et qu'à compter de cette date, les seules séquelles étaient directement liées à l'exérèse tumorale. Dans ces conditions, l'indication fournie par les experts, en réponse à une demande de précision formulée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de Rhône-Alpes, selon laquelle il est probable que les séquelles permanentes dont souffre Mme A... soient partiellement liées à l'infection, n'est pas de nature, à elle seule et au vu de l'ensemble des éléments précités et extraits notamment du rapport d'expertise, à établir un lien de causalité direct et certain entre ces troubles et l'infection nosocomiale. Il ne résulte pas de l'instruction que cette infection nosocomiale aurait privé Mme A... de chances de guérison ou d'amélioration de son état de santé. Il suit de là qu'à l'exception du préjudice esthétique permanent, les autres préjudices permanents invoqués par Mme A... trouvent leur origine exclusive dans les séquelles décrites ci-dessus et sont dépourvus de lien direct avec l'infection. Ils ne sauraient, dès lors, être pris en charge par les hospices civils de Lyon et leur assureur.

18. En second lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise et du rapport médical critique, que Mme A... a, du fait des reprises de la cicatrice rendues nécessaires par l'infection, subi un préjudice esthétique permanent évalué par les experts à 2 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à Mme A... une somme de 2 000 euros.

Sur les préjudices invoqués par la société Orange :

19. Il résulte de l'instruction que, si Mme A... a été empêchée de reprendre son activité professionnelle au sein de la société Orange et de bénéficier d'un reclassement à raison des troubles dont elle demeure affectée, ceux-ci, ainsi qu'il a été dit aux points 12 et 17, trouvent leur origine dans l'intervention liée à l'exérèse tumorale et non dans les complications survenues à raison de l'infection nosocomiale. Dès lors, le préjudice économique invoqué par la société Orange et tenant aux sommes qu'elle a versées à Mme A... durant ses périodes d'arrêt de travail, ne présentent pas de lien de causalité direct avec cette infection nosocomiale. Par suite, les conclusions présentées par la société Orange devant le tribunal administratif de Lyon et devant la cour doivent être rejetées.

Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie :

20. D'autre part, il résulte des écritures de la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, du relevé de ses débours et de l'attestation d'imputabilité établie par le médecin conseil de l'assurance maladie, que la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie justifie avoir déboursé des dépenses de santé imputables exclusivement à l'infection nosocomiale de Mme A... constituées des frais d'hospitalisation, entre le 25 juin 2007, date du diagnostic de l'infection et de la mise en route d'un traitement, et le 26 octobre 2010, de frais médicaux, de frais pharmaceutiques, de frais d'appareillage et de frais de transport, pour des montants respectifs de 209 373,48 euros, 5 266,58 euros, 2 497,43 euros, 259,78 euros et 4 418,84 euros, soit un montant total de 221 816,11 euros. Par suite, et alors, ainsi qu'il a été dit au point 10, qu'il ne résulte pas de l'instruction que des dépenses de santé en lien avec l'infection nosocomiale qu'elle a contractée seraient restées à la charge de Mme A..., il y a lieu, de condamner les hospices civils de Lyon à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie la somme de 221 816,11 euros au titre de ses débours.

21. La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie a droit à l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, pour le montant de 1 098 euros auquel elle est fixée, à la date du présent arrêt, par l'arrêté du 4 décembre 2020 visé ci-dessus.

22. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise médicale ni de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des conclusions présentées devant la cour par Mme A..., que cette dernière est seulement fondée à demander la condamnation solidaire des hospices civils de Lyon et de la société hospitalière d'assurances mutuelles à lui verser la somme totale de 26 327,30 euros, sous déduction de la provision de 15 900 euros accordée par le tribunal administratif de Lyon par l'ordonnance du 26 avril 2016. La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie est fondée à demander la condamnation des hospices civils de Lyon à verser à la somme de 221 816,11 euros au titre de ses débours et la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Les conclusions indemnitaires présentées par la société Orange en première instance et en appel doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

23. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire du des hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées à ce titre par la société Orange soient mises à la charge des hospices civils de Lyon et de la société hospitalière d'assurances mutuelles, qui ne sont pas la partie perdante à son égard.

25. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande présentée au même titre par la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1510239 du tribunal administratif de Lyon du 11 décembre 2018 est annulé.

Article 2 : Les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles sont condamnés à verser solidairement à Mme A... la somme de 26 327,30 euros en réparation des conséquences dommageables ayant résulté pour elle de l'infection nosocomiale qu'elle a contractée dans les suites de l'intervention du 29 mai 2007, sous déduction de la provision de 15 900 euros accordée par le tribunal administratif de Lyon par une ordonnance du 26 avril 2016.

Article 3 : Les hospices civils de Lyon sont condamnés à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie la somme de 221 816,11 euros au titre de ses débours ainsi que la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Article 4 : Les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles verseront solidairement à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties présentées devant le tribunal administratif de Lyon et devant la cour est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Orange, aux hospices civils de Lyon, à la société hospitalière d'assurances mutuelles, à Mme D... A..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, à la mutuelle générale et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 7 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2021.

2

N° 19LY00620


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY00620
Date de la décision : 28/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité sans faute. Actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. François-Xavier PIN
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : BARRIERE

Origine de la décision
Date de l'import : 13/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-01-28;19ly00620 ?
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