Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société anonyme (SA) Agate Invest a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2012 ainsi que des pénalités correspondantes, et d'ordonner le remboursement de ces sommes assorti des intérêts moratoires.
Par un jugement n° 1703909 du 6 novembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 décembre 2018 et le 17 juillet 2019, la SAS Agate Invest, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2012, et d'ordonner le remboursement des sommes versées assorti des intérêts moratoires ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'article 221 du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, énonce un principe de neutralité fiscale sans condition en excluant du périmètre de la cessation d'entreprise, et donc de l'application de l'article 201 du même code, les entreprises qui quittent la France en transférant leur siège social vers un pays de l'Union européenne, empêchant l'imposition des bénéfices non encore imposés au titre de l'exercice au cours duquel intervient le transfert de siège ; aucune exception à ce principe de neutralité fiscale en cas de transfert de siège social au sein de l'Union européenne n'est prévue lorsque ce transfert s'accompagne d'un transfert des actifs de la société ; le transfert de siège social ne met pas fin à son assujettissement à l'impôt sur les sociétés, au sens du 2ème alinéa du 2 de l'article 221 du code général des impôts et ne permet donc pas l'imposition de ses bénéfices réalisés jusqu'à la date du transfert ;
- une imposition des bénéfices à la sortie est incompatible avec le principe de liberté d'établissement consacré par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- dans des dossiers similaires, les services fiscaux ont d'ailleurs retenu la même position que celle dont se prévaut la société Agate Invest en l'espèce ;
- aucune imposition immédiate n'est possible non plus en application des dispositions combinées du 2ème alinéa du 2 de l'article 221 et de l'article 221 bis du code général des impôts, en l'absence de création d'une nouvelle personne morale ainsi que de modification apportée aux écritures comptables, et alors que l'imposition de ses bénéfices demeure possible, fût-ce au Luxembourg.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 juin 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- par le transfert total de ses actifs financiers, une société holding cesse toute activité en France, circonstance qui entraîne la cessation de l'entreprise au sens du deuxième alinéa du 2 de l'article 221 du code général des impôts, puisqu'elle cesse d'être soumise à l'impôt sur les sociétés en France, générant ainsi une perte définitive de matière imposable et une imposition immédiate de l'impôt sur les sociétés dans les conditions prévues au 1 et au 3 de l'article 201 du même code ;
- la société Agate Invest ne peut se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80B du livre des procédures fiscales, de l'appréciation d'une situation de fait concernant d'autres contribuables ;
- le transfert de siège social entraîne la création d'une personne morale nouvelle lorsqu'il emporte, comme en l'espèce, changement de la nationalité de la société, et l'atténuation conditionnelle apportée par l'article 221 bis du code général des impôts aux conséquences de la cessation d'entreprise ne concerne pas l'ensemble des bénéfices non encore imposés, de sorte que la société Agate Invest n'établit pas remplir toutes les conditions posées par ces dispositions.
En application de l'article R. 613-2 du code de justice administrative, la clôture de l'instruction est intervenue trois jours francs avant l'audience.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C..., premier conseiller,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Selon proposition de rectification contradictoire du 14 décembre 2015 résultant d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 mai 2012, l'administration fiscale, après avoir rehaussé le résultat bénéficiaire déclaré en réintégrant une provision, a assujetti la société anonyme (SA) Agate Invest à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, assorties d'intérêts de retard et d'une majoration de 5%, au titre de l'année 2012, à raison du résultat réalisé en France par cette holding du 1er janvier au 31 mai 2012, date de transfert de son siège social au Luxembourg. La SA Agate Invest demande à la cour d'annuler le jugement du 6 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes tendant à la décharge, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie ainsi qu'au remboursement, avec intérêts moratoires, des sommes versées.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 201 du code général des impôts, dans sa version applicable au litige : " 1. Dans le cas de cession ou de cessation, en totalité ou en partie, d'une entreprise industrielle, commerciale, artisanale, minière ou agricole, l'impôt sur le revenu dû en raison des bénéfices réalisés dans cette entreprise ou exploitation et qui n'ont pas encore été imposés est immédiatement établi (...) ". Aux termes de l'article 221 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " 2. En cas de dissolution, de transformation entraînant la création d'une personne morale nouvelle, d'apport en société, de fusion, de transfert du siège ou d'un établissement à l'étranger, l'impôt sur les sociétés est établi dans les conditions prévues aux 1 et 3 de l'article 201. / Il en est de même, sous réserve des dispositions de l'article 221 bis, lorsque les sociétés ou organismes mentionnés aux articles 206 à 208 quinquies, 239, 239 bis AA et 239 bis AB cessent totalement ou partiellement d'être soumis à l'impôt sur les sociétés au taux prévu au deuxième alinéa du I de l'article 219. / Toutefois, le transfert de siège dans un autre Etat membre de la Communauté européenne, qu'il s'accompagne ou non de la perte de la personnalité juridique en France, n'emporte pas les conséquences de la cessation d'entreprise ".
3. Il résulte de ces dispositions, éclairées par leurs travaux préparatoires, que si le transfert du siège social d'une entreprise dans un Etat membre de l'Union européenne n'emporte pas, par lui-même, la mise en oeuvre de la procédure d'imposition immédiate des bénéfices réalisés de l'entreprise qui n'ont pas encore été imposés, tel n'est pas le cas lorsque ce transfert a pour effet la cessation totale ou partielle de son assujettissement à l'impôt sur les sociétés en France.
4. Il est constant que le transfert au Luxembourg du siège social de la SA Agate Invest à compter du 31 mai 2012 s'est accompagné du transfert comptable de l'ensemble de ses actifs et de la cessation de toute exploitation en France de son activité, de sorte qu'elle cessait d'être soumise à l'impôt sur les sociétés. Dès lors, par l'application combinée des dispositions de l'article 201 et du deuxième alinéa du 2 de l'article 221 du code général des impôts, elle était soumise à la procédure d'imposition immédiate de ses bénéfices qui n'avaient pas encore été imposés, le troisième alinéa du 2 de l'article 221 ne dérogeant qu'à son premier alinéa, et non au deuxième.
5. En deuxième lieu, l'article 221 bis du code général des impôts dispose que : " En l'absence de création d'une personne morale nouvelle, lorsqu'une société ou un autre organisme cesse totalement ou partiellement d'être soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal, les bénéfices en sursis d'imposition, les plus-values latentes incluses dans l'actif social et les profits non encore imposés sur les stocks ne font pas l'objet d'une imposition immédiate, à la double condition qu'aucune modification ne soit apportée aux écritures comptables et que l'imposition desdits bénéfices, plus-values et profits demeure possible sous le nouveau régime fiscal applicable à la société ou à l'organisme concerné ".
6. La société Agate Invest, qui avait cessé d'être imposable à l'impôt sur les sociétés en France, ne peut utilement invoquer le bénéfice de ces dispositions, qui ne trouvent à s'appliquer que lorsque l'imposition des bénéfices non encore imposés demeure possible sous le nouveau régime fiscal applicable à la société. Ni la circonstance que les bénéfices réalisés à compter du transfert sont imposables au Luxembourg, ni l'absence de création d'une personne morale nouvelle, ni l'intervention du transfert au cours, et non au terme de l'exercice social, ne pouvaient ainsi faire obstacle à l'imposition immédiate, en vertu du deuxième alinéa du 2 de l'article 221 du code général des impôts, des bénéfices réalisés en France et non encore imposés.
7. En troisième lieu, si la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne font obstacle, eu égard au désavantage de trésorerie par rapport à une société similaire qui maintiendrait son siège et ses actifs sur place, à l'imposition immédiate des plus-values latentes en cas de transfert dans un autre Etat de l'Union, elles ne s'opposent pas à l'imposition immédiate des bénéfices dans l'Etat où ils ont été réalisés. Il en résulte que le 2 de l'article 221 du code général des impôts, en tant qu'il permet l'imposition immédiate des bénéfices d'exploitation dégagés depuis la date d'ouverture de l'exercice par une société qui cesse d'être assujettie à l'impôt sur les sociétés en France, ne contrevient pas à la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en l'absence de toute disparité de traitement.
8. En quatrième lieu, la société requérante se prévaut à nouveau en appel des dégrèvements obtenus par d'autres contribuables qui se trouveraient dans la même situation ainsi que des dégrèvements que lui avait d'abord accordés l'administration fiscale pour la période en litige. Il y a lieu pour la cour d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
9. Il résulte de ce qui précède que la SA Agate Invest n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SA Agate Invest, qui n'a d'ailleurs pas chiffré sa demande, une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SA Agate Invest est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Agate Invest et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme A..., présidente assesseure,
Mme C..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2021.
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N° 18LY04713