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07/01/2021 | FRANCE | N°20LY01616

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 07 janvier 2021, 20LY01616


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2019 par lequel le préfet de Saône-et-Loire lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, fait obligation de quitter le territoire français sans délai, fixé un pays de destination et interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, d'enjoindre à ce préfet de lui délivrer une carte de séjour ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois et de mettre

à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2019 par lequel le préfet de Saône-et-Loire lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, fait obligation de quitter le territoire français sans délai, fixé un pays de destination et interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, d'enjoindre à ce préfet de lui délivrer une carte de séjour ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois et de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1903025 du 23 mars 2020, le tribunal administratif de Dijon a annulé l'arrêté du 18 octobre 2019 du préfet de Saône-et-Loire en tant qu'il a fixé l'Algérie comme pays de renvoi, a enjoint au préfet de réexaminer sa situation au regard de son pays de renvoi dans un délai de deux mois et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 17 juin 2020, le préfet de Saône-et-Loire demande à la cour d'annuler le jugement n° 1903025 du 23 mars 2020 du tribunal administratif de Dijon et de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Dijon.

Il soutient que le tribunal administratif de Dijon a subordonné à tort la légalité de la décision fixant le pays de renvoi à la procédure d'extradition dont l'intéressé faisait l'objet de la part des autorités algériennes en estimant que l'avis défavorable de la cour d'appel de Dijon impliquait une méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides puis la Cour nationale du droit d'asile avaient rejeté sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Par un mémoire, enregistré le 22 septembre 2020, M. B... C..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de confirmer le jugement attaqué et d'annuler l'arrêté du préfet de Saône-et-Loire du 18 octobre 2019, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois et de condamner l'Etat à verser à son conseil la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la décision portant refus de séjour viole l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il vit avec une ressortissante française depuis plus d'un an ;

- la décision fixant le pays de renvoi est illégale par application de l'article 696-17 du code de procédure pénale ;

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 octobre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention entre la France et l'Algérie, relative à l'exequatur et à l'extradition, signée le 27 août 1964 ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gayrard, président assesseur,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., né le 8 janvier 1990 en Algérie, a fait l'objet le 15 janvier 2018 d'une obligation de quitter le territoire français avec assignation à résidence prononcée à son encontre par le préfet des Alpes-Maritimes, peu de temps après son entrée irrégulière en France. Le 29 janvier suivant, il a sollicité la reconnaissance de la qualité de réfugié qui lui a été refusée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 27 mars 2019, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 28 juin 2019, notifiée le 10 juillet suivant. Le 22 août 2019, M. C... a présenté une demande de titre de séjour au préfet de Saône-et-Loire qui a pris à son encontre un arrêté du 18 octobre 2019 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français sans délai en fixant le pays de renvoi et lui interdisant de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Par jugement du 23 mars 2020, le tribunal administratif de Dijon a annulé cet arrêté en tant qu'il a fixé l'Algérie comme pays de renvoi et rejeté le surplus des conclusions de M. C.... Par sa requête enregistrée le 17 juin 2020, le préfet doit être regardé comme demandant l'annulation de ce jugement, en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de destination, et le rejet des conclusions de M. C..., alors que, par un mémoire présenté dans le délai d'appel, ce dernier doit être regardé comme demandant à la cour, d'une part, la confirmation du jugement attaqué en tant qu'il a annulé la décision lui fixant un pays de destination et, d'autre part, l'annulation de l'ensemble des décisions contenues dans cet arrêté du 18 octobre 2019.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne les décisions portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour :

2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an, portant la mention vie privée et familiale, est délivré de plein droit : (...) 5° Au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autorisation de séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

3. Il est constant que M. C..., ressortissant algérien né le 8 janvier 1990, est entré irrégulièrement en France début 2018, soit à l'âge de vingt-huit ans, et qu'il s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français après le rejet de sa demande d'asile par une décision du 28 juin 2019, devenue définitive, de la Cour nationale du droit d'asile. S'il fait valoir qu'il vit auprès d'une ressortissante française et de sa famille, leur relation est très récente à la date de la décision attaquée alors que l'intéressé n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. S'il soutient vouloir s'intégrer en France, il ne justifie pas d'une intégration effective alors qu'il ressort des pièces du dossier que, poursuivi en Algérie pour trafic de migrants, il a déjà fait l'objet d'un signalement au procureur de la République pour usage d'une fausse carte nationale d'identité italienne. Par suite, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, l'arrêté querellé n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport à ses motifs et n'a, ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, M. C..., qui ne formule aucun moyen relatif aux décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté les conclusions de sa demande relatives aux décisions portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

4. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : 1° à destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Cet article 3 énonce que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".

5. Si en vertu de l'article 696-17 du code de procédure pénale, un avis motivé défavorable de la chambre de l'instruction de la cour d'appel territorialement compétente fait obstacle, lorsqu'il est devenu définitif, à ce que l'extradition d'un étranger soit accordée à un Etat la demandant, les dispositions de cet article, concernant la procédure d'extradition, ne font pas obstacle, à elles seules et en l'absence de détournement de procédure, à ce que, pour l'exécution d'une décision faisant obligation à l'étranger concerné de quitter le territoire français, l'autorité administrative désigne à cet étranger cet Etat comme pays de destination. Cependant, l'autorité administrative, qui n'est pas liée pour la désignation d'un pays de destination par l'avis défavorable émis par le juge judiciaire sur la demande d'extradition, doit toujours s'assurer, notamment au vu des motifs retenus par le juge judiciaire, que sa décision n'expose pas l'étranger concerné à des risques pour sa vie ou sa liberté ou à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Par ailleurs, dès lors qu'il n'est pas établi que l'intéressé risque d'être exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne font pas obstacle à ce qu'un étranger qui fait l'objet de poursuites judiciaires dans son pays d'origine soit éloigné vers ce pays, qu'il ait fait l'objet ou non d'une demande d'extradition auprès des autorités françaises.

7. En l'espèce, il résulte de l'instruction que M. C... a fait l'objet le 21 septembre 2018 d'une demande d'extradition des autorités algériennes aux fins d'exécution d'un mandat d'arrêt du 15 mars 2018 pour des faits de trafic de migrants. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Dijon a émis un avis défavorable à cette extradition le 2 janvier 2019 pour méconnaissance de l'article 17 de la convention d'extradition du 27 août 1964 aux motifs, d'une part, que les autorités algériennes ne fournissaient pas un exposé circonstancié des faits, ne permettant pas à la cour de se prononcer sur la prescription des faits et de conférer une réelle portée au principe de spécialité, d'autre part, que le mandat produit ne constituait ni un original ni une expédition authentique de celui-ci, dans la mesure où il s'agissait d'une simple photocopie, et enfin que le mandat d'arrêt international était adressé aux autorités judiciaires tunisiennes, même si ultérieurement ce mandat a fait l'objet d'une note rouge d'Interpol le 29 mai 2018, comportant un exposé des faits tout aussi lacunaire que le mandat lui-même. Le tribunal administratif de Dijon, saisi par M. C... d'une demande d'annulation de l'arrêté du 18 octobre 2019 par lequel le préfet de Saône-et-Loire lui a notamment fait obligation de quitter le territoire français et fixé un pays de destination, a considéré qu'en raison du refus d'extradition découlant de l'avis défavorable de la chambre d'instruction de la cour d'appel de Dijon du 2 janvier 2019, le préfet de Saône-et-Loire ne pouvait désigner l'Algérie comme pays de destination sans méconnaitre les dispositions visées au point 4.

8. Les motifs de l'avis défavorable de la chambre d'instruction de cour d'appel de Dijon n'indiquent nullement que M. C... serait exposé à des risques graves en cas de renvoi en Algérie, quand bien même il ferait l'objet de poursuites pénales pour trafic de migrants dans son pays d'origine, et il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... serait effectivement exposé à de tels risques. Par suite, le préfet de Saône-et-Loire est fondé à soutenir que le tribunal administratif de Dijon n'était pas fondé à retenir une méconnaissance des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Il appartient toutefois à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. C..., tant devant le tribunal administratif que devant la cour, et tiré d'un détournement de procédure qu'aurait commis le préfet. Eu égard aux conditions d'entrée et de séjour M. C... en France, un tel détournement de procédure n'est pas établi.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Saône-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé sa décision fixant le pays de destination et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. C... au regard du pays de renvoi dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et que les conclusions de M. C... tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de Saône-et-Loire du 18 octobre 2019 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français sans délai en fixant le pays de renvoi et lui interdisant de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans ne peuvent qu'être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, celles à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1903025 du tribunal administratif de Dijon du 23 mars 2020 sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de la demande de M. C... sur lesquelles le tribunal administratif de Dijon avait statué par les articles 1er et 2 de son jugement n° 1903025 du 23 mars 2020 et les conclusions présentées pour M. C... devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... C... et à Me A.... Copie en sera adressée au préfet de Saône-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 10 décembre 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 janvier 2021.

2

N° 20LY01616


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe GAYRARD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SCP DU PARC CURTIL et ASSOCIES

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 07/01/2021
Date de l'import : 27/01/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 20LY01616
Numéro NOR : CETATEXT000042991809 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-01-07;20ly01616 ?
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