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03/12/2020 | FRANCE | N°19LY03655

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 03 décembre 2020, 19LY03655


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société des Autoroutes Rhône-Alpes a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la société Signalisation France, sur le fondement de son obligation in solidum, à lui verser la somme à parfaire de 15 924 918 euros, en réparation de son préjudice économique non recouvré du fait de la liquidation judiciaire des sociétés SES et Laporte Service Route, avec lesquelles elle avait constitué une entente, ainsi que toutes les autres sommes auxquelles cette société n'aurait pas été condamnée

lui verser dans l'instance n° 1307012, le tout, augmenté des intérêts au taux lég...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société des Autoroutes Rhône-Alpes a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la société Signalisation France, sur le fondement de son obligation in solidum, à lui verser la somme à parfaire de 15 924 918 euros, en réparation de son préjudice économique non recouvré du fait de la liquidation judiciaire des sociétés SES et Laporte Service Route, avec lesquelles elle avait constitué une entente, ainsi que toutes les autres sommes auxquelles cette société n'aurait pas été condamnée à lui verser dans l'instance n° 1307012, le tout, augmenté des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement n° 1702596 du 22 juillet 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 septembre 2019 et 22 octobre 2020, la société des Autoroutes Rhône-Alpes (AREA), représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lyon du 22 juillet 2019 ;

2°) de condamner la société Signalisation France à lui verser la somme actualisée de 19 269 150,78 euros, à parfaire, ainsi que toutes les autres sommes auxquelles cette société n'aurait pas déjà été condamnée dans l'instance n° 1307012 devant le tribunal administratif de Lyon, le tout, avec intérêts au taux légal et capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de la société Signalisation France une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon lui a opposé la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil ;

- son préjudice est imputable à une action concertée de tous les membres de l'entente et lui ouvre droit à l'exercice d'une action in solidum pour obtenir la réparation intégrale de son préjudice ;

- ni le défaut de déclaration de ses créances auprès des mandataires judiciaires des sociétés SES et Laporte Service Route ni son désistement dans l'instance l'opposant à la société Laporte Service Route ne sauraient faire obstacle à son action ;

- le dol imputable aux sociétés Signalisation France, SES et Laporte Service Route est établi ; les marchés conclus avec ces sociétés pendant la période d'entente ont entraîné pour elle le paiement d'un surprix de 30 % et un préjudice actualisé de 19 269 150,78 euros, auquel il y a lieu d'ajouter toutes les sommes auxquelles la société Signalisation France n'a pas été condamnée par le tribunal administratif dans l'instance n° 1307012.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 février 2020, la société Signalisation France, représentée par l'AARPI Buès et associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros hors taxe, majorée de la taxe sur la valeur ajoutée, soit mise à la charge de la société AREA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont opposé la prescription quinquennale à l'action de la société AREA ;

- en tout état de cause, son action n'est pas fondée ; elle impliquerait de faire d'elle le débiteur principal d'une éventuelle condamnation ce qui va à l'encontre du principe de la solidarité ; par ailleurs aucune expertise n'a été ordonnée au titre des marchés conclus avec les sociétés Laporte Service Route et SES ; les marchés conclus avec ces sociétés sont incomplets ; l'évaluation de son préjudice doit être rejetée dans la mesure où l'intégralité des surcoûts a été nécessairement répercutée sur les tarifs des usagers ; la société AREA ne peut prétendre à l'actualisation de son préjudice.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de commerce ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- l'ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... ;

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;

- et les observations de Me B..., représentant la société Autoroutes Paris Rhin Rhône et celles de Me de la Ferté-Senectère, représentant la société Signalisation France.

Considérant ce qui suit :

1. La société des Autoroutes Rhône-Alpes (AREA) a conclu, entre 1997 et 2006, des marchés publics avec les sociétés Signature SA devenue Signalisation France, SES et Laporte Service Route, portant sur la fourniture et la pose de dispositifs de signalisation routière verticale. Par une décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010, l'Autorité de la concurrence a infligé à ces sociétés, ainsi qu'à cinq autres, une sanction pécuniaire pour s'être entendues sur la répartition et le prix des marchés de signalisation routière verticale entre 1997 et 2006. Par un arrêt du 29 mars 2012, la cour d'appel de Paris a confirmé cette décision en diminuant le montant des sanctions infligées. La Cour de cassation a rejeté, le 28 mai 2013, les pourvois dirigés contre cet arrêt. La société AREA a alors saisi le tribunal administratif de Lyon de deux demandes distinctes, enregistrées sous les n° 1307012 et 1307026, dirigées respectivement contre les sociétés Signalisation France et Laporte Service Route, et tendant à la réparation du préjudice subi par elle du fait des pratiques anticoncurrentielles de ces sociétés. Par jugements avant-dire droit du 13 juillet 2016, le tribunal administratif de Lyon a ordonné, dans chacune des affaires, une expertise. Par une ordonnance du 13 octobre 2016, la présidente de la 3ème chambre de ce tribunal a donné acte du désistement de la demande de la société AREA dirigée contre la société Laporte Service Route. Puis par un jugement du 22 juillet 2019 dont il est par ailleurs fait appel, le tribunal administratif, après avoir ordonné, le 12 juillet 2018, une nouvelle expertise sur l'évaluation du préjudice subi par la société AREA du fait de l'entente à laquelle la société Signalisation France avait participé, a condamné cette dernière, sur le fondement de sa responsabilité quasi-délictuelle, au paiement d'une somme de 350 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2013 et de leur capitalisation à compter de l'année suivante. Par un jugement du même jour, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de la société AREA tendant à ce que cette même société soit condamnée, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, au titre de son obligation in solidum, à l'indemniser du préjudice subi du fait de la conclusion de marchés de signalisation routière verticale pendant la période d'entente anticoncurrentielle, avec les sociétés SES et Laporte Service Route, placées en liquidation judiciaire ainsi que de toutes les autres sommes auxquelles la société Signalisation France n'aurait pas été condamnée dans l'instance n° 1307012. La société AREA relève appel de ce jugement.

2. Aux termes de l'article 2270-1 du code civil, en vigueur jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. " Aux termes de l'article 2224 du même code, résultant de la loi du 17 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes du II de l'article 26 de cette loi : " Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ". Enfin, aux termes de l'article L. 4811 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles : " Toute personne physique ou morale formant une entreprise (...) est responsable du dommage qu'elle a causé du fait de la commission d'une pratique anticoncurrentielle (...) ". Aux termes de l'article L. 482-1 du même code : " L'action en dommages et intérêts fondée sur l'article L. 481-1 se prescrit à l'expiration d'un délai de cinq ans. Ce délai commence à courir du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaître de façon cumulative : / 1° Les actes ou faits imputés à l'une des personnes physiques ou morales mentionnées à l'article L. 481-1 et le fait qu'ils constituent une pratique anticoncurrentielle ; / 2° Le fait que cette pratique lui cause un dommage ; / 3° L'identité de l'un des auteurs de cette pratique (...) ". Aux termes de l'article 12 de cette ordonnance : " I. Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le lendemain de sa publication (...). II. Les dispositions de la présente ordonnance qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé ".

3. Il résulte de ces dispositions que, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle des auteurs de pratiques anticoncurrentielles se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage. Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, la prescription de telles actions est régie par les dispositions de l'article 2224 du code civil fixant une prescription de cinq ans. Les dispositions de l'article L. 482-1 du code de commerce instituant une même prescription s'appliquent depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommage et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles.

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction et ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Lyon, que la société AREA était mesure de connaître de façon suffisamment certaine l'étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime de la part des titulaires des marchés de signalisation routière verticale conclus entre 1997 et 2006, à la lecture de la décision du 22 décembre 2010 de l'Autorité de la concurrence, publiée le jour même sur le site Internet de cette Autorité ainsi que le prévoit l'article D. 464-8-1 du code de commerce, et ce, même si cette décision a fait l'objet de recours contentieux. Il en résulte que le délai de prescription commençait à courir à compter de cette date et était expiré le 29 mars 2017, date à laquelle la société AREA a présenté au tribunal administratif de Lyon sa demande tendant à la condamnation de la société Signalisation France, sur le fondement de sa responsabilité quasi-délictuelle, au titre de son obligation in solidum.

5. En second lieu, la société AREA ne peut utilement se prévaloir de la cause d'interruption de la prescription quinquennale prévue par les dispositions de l'article L. 462-7 du code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, puis dans celle issue de l'ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles. D'une part, l'introduction de procédure devant l'Autorité de la concurrence, ouverte antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 17 mars 2014, ne pouvait avoir pour effet d'interrompre le délai de prescription jusqu'à ce que cette décision soit devenue définitive, au demeurant antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, soit le 28 mai 2013, date à laquelle la cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 mars 2012. D'autre part, l'ordonnance du 9 mars 2017 n'a pu avoir pour effet de rouvrir un délai de prescription déjà expiré. Ainsi, l'action engagée par la société AREA le 29 mars 2017 devant le tribunal administratif de Lyon, était prescrite et pouvait être rejetée pour ce motif.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société AREA n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

7. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions des parties présentées au titre des frais du litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société AREA est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Signalisation France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société des Autoroutes Rhône-Alpes et à la société Signalisation France.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

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N° 19LY03655


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY03655
Date de la décision : 03/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Commerce - industrie - intervention économique de la puissance publique - Défense de la concurrence - Pratiques anticoncurrentielles.

Marchés et contrats administratifs - Notion de contrat administratif - Diverses sortes de contrats.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Sophie LESIEUX
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : KGA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-12-03;19ly03655 ?
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