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03/12/2020 | FRANCE | N°18LY03551

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 03 décembre 2020, 18LY03551


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner in solidum les sociétés Franche Comté Signaux, Signaux Girod, Signalisation France et Lacroix Signalisation à lui verser la somme de 11 217 481 euros, à parfaire, en réparation du préjudice financier non recouvré du fait de la liquidation judiciaire des sociétés SES et Laporte service Route ainsi que toutes les autres sommes auxquelles ces sociétés n'auraient pas été condamnées à lui verser

dans les instances n°s 1301551, 1301552, 1301553 et 1301554, le tout, augmenté des...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner in solidum les sociétés Franche Comté Signaux, Signaux Girod, Signalisation France et Lacroix Signalisation à lui verser la somme de 11 217 481 euros, à parfaire, en réparation du préjudice financier non recouvré du fait de la liquidation judiciaire des sociétés SES et Laporte service Route ainsi que toutes les autres sommes auxquelles ces sociétés n'auraient pas été condamnées à lui verser dans les instances n°s 1301551, 1301552, 1301553 et 1301554, le tout, augmenté des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement n° 1700836 du 16 juillet 2018, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 septembre et 14 décembre 2018, et un nouveau mémoire enregistré le 22 octobre 2020, la société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR), représentée par Me I..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Dijon du 16 juillet 2018 ;

2°) de condamner in solidum les sociétés Franche Comté Signaux, Signaux Girod, Signalisation France et Lacroix Signalisation à lui verser la somme actualisée de 13 573 153 euros, à parfaire, ainsi que toutes les autres sommes auxquelles ces sociétés n'auraient pas été condamnées à lui verser dans les instances n°s 1301551, 1301552, 1301553 et 1301554, le tout, augmenté des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge in solidum de ces sociétés une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, sa demande n'était pas prescrite ;

- son action in solidum est recevable ; son désistement d'instance n'a pas eu pour conséquence de la priver de son action au titre des marchés conclus avec la société Laporte Service Route ; le défaut de déclaration de ses créances auprès du mandataire judiciaire chargé de procéder aux opérations de liquidation de cette société est également sans effet sur l'obligation de réparation pesant sur les sociétés défenderesses ;

- son action est bien fondée ; les défenderesses ne peuvent nier la réalité de l'entente anticoncurrentielle ni que cette infraction leur a permis de conclure des contrats de manière dolosive ;

- cette entente a entraîné un surprix des marchés conclus avec les membres du cartel de l'ordre de 30% ; son préjudice doit être actualisé pour tenir compte de l'obligation qui a pesé sur elle de se refinancer et d'en supporter les conséquences financières ;

- elle est également fondée à demander la condamnation in solidum des sociétés intimées à lui verser cette somme à laquelle doivent s'ajouter les sommes non recouvrées au titre des instances dirigées contre chacune d'entre elles ;

- les moyens invoqués par les sociétés intimées dans leur mémoire respectif ne sont pas fondés ou sont inopérants et ne peuvent qu'être écartés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2019, la société Signalisation France, représentée par l'AARPI Buès et associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros HT, à majorer de la taxe sur la valeur ajoutée, soit mise à la charge de la société APRR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande de la société APRR comme étant prescrite ;

- son action est en tout état de cause infondée ;

- aucune expertise n'a été ordonnée pour évaluer le préjudice subi par la société APRR du fait des contrats conclus avec les sociétés liquidées ; la cour ne dispose donc pas des éléments nécessaires à l'évaluation du préjudice spécifique résultant de ces contrats ; par ailleurs, la société APRR n'établit pas qu'elle n'a pas répercuté un éventuel surcoût sur les usagers ;

- dès lors que la société APRR peut, le cas échéant, prétendre au bénéfice des intérêts au taux légal, et en l'absence de démonstration d'un préjudice lié à l'indisponibilité des dommages et intérêts, sa demande d'actualisation de son indemnisation ne peut qu'être rejetée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 février 2020, la société Signaux Girod, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 12 000 euros soit mise à la charge de la société APRR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête de la société APRR est irrecevable faute de contenir des moyens d'appel ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté son action comme étant prescrite ;

- ses demandes indemnitaires ne sont pas fondées ; le montant de l'indemnisation réclamée n'est pas justifié ; elle ne peut prétendre à l'actualisation de cette somme et n'établit pas qu'elle n'aurait pas répercuté le surprix allégué sur les usagers des autoroutes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 octobre 2020, la société Franche Comté Signaux, la société AJ Partenaires et Me C... B..., représentés par la SELARL E..., concluent au rejet de la requête, le cas échéant à ce que les sociétés Signaux Girod, Lacroix Signalisation et Signalisation France la garantissent des condamnations prononcées à son encontre et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la société APRR sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande de la société APRR comme étant prescrite ;

- la requête est irrecevable dès lors que la société Franche Comté Signaux a été placée en redressement judiciaire par jugement du 6 mars 2019 ;

- en tout état de cause, les demandes indemnitaires de la société APRR ne sont pas fondées ;

- elle n'est pas à l'initiative des pratiques anticoncurrentielles et n'a participé à l'entente que sur une période de quatre ans ; son rôle causal dans la réalisation du dommage est insignifiant ; elle peut prétendre à être garantie de toute condamnation par les sociétés Signaux Girod, Lacroix Signalisation et Signalisation France.

Un nouveau mémoire présenté pour la société Signaux Girod, enregistré le 30 octobre 2020, n'a pas été communiqué.

Un mémoire présenté pour la société Lacroix Signalisation, devenue Lacroix City Saint-Herblain, par Me H..., enregistré le 1er novembre 2020, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de commerce ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- l'ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F... ;

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;

- les observations de Me G..., représentant la société Autoroutes Paris Rhin Rhône, celles de Me de la Ferté-Senectère, représentant la société Signalisation France, celles de Me E..., représentant la société Franche Comté Signaux, la société AJ Partenaires, administrateur judiciaire et Me B..., mandataire judiciaire, celles de Me A..., représentant la société Signaux Girod, et celles de Me H..., représentant la société Lacroix City Saint-Herblain.

Considérant ce qui suit :

1. La société des Autoroutes Paris Rhin-Rhône (APRR) a conclu entre 1997 et 2006, plusieurs dizaines de marchés publics avec les sociétés Franche-Comté Signaux, Signaux Girod, Signature SA devenue Signalisation France, Lacroix Signalisation devenue Lacroix City Saint-Herblain, SES et Laporte Service Route, portant sur la fourniture et la pose de dispositifs de signalisation routière verticale. Par une décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010, l'Autorité de la concurrence a infligé à ces sociétés, ainsi qu'à deux autres, une sanction pécuniaire pour s'être entendues sur la répartition et le prix des marchés de signalisation routière verticale entre 1997 et 2006. Par un arrêt du 29 mars 2012, la cour d'appel de Paris a confirmé cette décision en diminuant le montant des sanctions infligées. La Cour de cassation a rejeté, le 28 mai 2013, les pourvois dirigés contre cet arrêt. La société APRR a alors saisi le tribunal administratif de Dijon de cinq demandes distinctes, enregistrées sous les n°s 1301550, 1301551, 1301552, 1301553 et 1301554, dirigées respectivement contre les sociétés Laporte Service Route, Franche Comté Signaux, Signalisation France, Signaux Girod et Lacroix Signalisation, et tendant à la réparation du préjudice subi par elle du fait des pratiques anticoncurrentielles de ces sociétés. Par jugements avant-dire droit du 30 juillet 2015, le tribunal administratif de Dijon a ordonné, dans chacune des affaires, une expertise. Par une ordonnance du 8 août 2016, le magistrat désigné du tribunal administratif a donné acte du désistement de la demande de la société APRR dirigée contre la société Laporte Service Route. Puis par des jugements du 16 juillet 2018, dont il est par ailleurs fait appel, le tribunal a condamné, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, les sociétés Franche Comté Signaux, Signalisation France, Signaux Girod et Lacroix Signalisation à verser à la société APRR les sommes de 513 848 euros, 358 303 euros, 227 581 euros et 118 787 euros, augmentées des intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2013 et de leur capitalisation à compter de l'année suivante. Par un jugement du même jour, le tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de la société APRR tendant à ce que ces mêmes sociétés soient condamnées in solidum à l'indemniser du préjudice subi du fait de la conclusion de marchés de signalisation routière verticale pendant la période d'entente anticoncurrentielle, avec les sociétés SES et Laporte Service Route, placées en liquidation judiciaire, ainsi que de toutes les autres sommes auxquelles ces sociétés n'auraient pas été condamnées dans les instances n°s 1301551, 1301552, 1301553 et 1301554. La société APRR relève appel de ce jugement.

2. Aux termes de l'article 2270-1 du code civil, en vigueur jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. ". Aux termes de l'article 2224 du même code, résultant de la loi du 17 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes du II de l'article 26 de cette loi : " Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ". Enfin, aux termes de l'article L. 4811 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles : " Toute personne physique ou morale formant une entreprise (...) est responsable du dommage qu'elle a causé du fait de la commission d'une pratique anticoncurrentielle (...) ". Aux termes de l'article L. 482-1 du même code : " L'action en dommages et intérêts fondée sur l'article L. 481-1 se prescrit à l'expiration d'un délai de cinq ans. Ce délai commence à courir du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaître de façon cumulative : / 1° Les actes ou faits imputés à l'une des personnes physiques ou morales mentionnées à l'article L. 481-1 et le fait qu'ils constituent une pratique anticoncurrentielle ; / 2° Le fait que cette pratique lui cause un dommage ; / 3° L'identité de l'un des auteurs de cette pratique (...) ". Aux termes de l'article 12 de cette ordonnance : " I. Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le lendemain de sa publication (...). II. Les dispositions de la présente ordonnance qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé ".

3. Il résulte de ces dispositions que, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle des auteurs de pratiques anticoncurrentielles se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage. Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, la prescription de telles actions est régie par les dispositions de l'article 2224 du code civil fixant une prescription de cinq ans. Les dispositions de l'article L. 482-1 du code de commerce instituant une même prescription s'appliquent depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommage et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles.

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction et ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Dijon, que la société APRR était mesure de connaître de façon suffisamment certaine l'étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime de la part des titulaires des marchés de signalisation routière verticale conclus entre 1997 et 2006, à la lecture de la décision du 22 décembre 2010 de l'Autorité de la concurrence, publiée le jour même sur le site Internet de cette Autorité ainsi que le prévoit l'article D. 464-8-1 du code de commerce, et ce, même si cette décision a fait l'objet de recours contentieux. Il en résulte que le délai de prescription commençait à courir à compter de cette date et était expiré le 29 mars 2017, date à laquelle la société APRR a présenté au tribunal administratif de Dijon sa demande tendant à la condamnation in solidum de ses cocontractants au titre de leur responsabilité quasi-délictuelle.

5. En second lieu, la société APRR ne peut utilement se prévaloir de la cause d'interruption de la prescription quinquennale prévue par les dispositions de l'article L. 462-7 du code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, puis dans celle issue de l'ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles. D'une part, l'introduction de procédure devant l'Autorité de la concurrence, ouverte antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 17 mars 2014, ne pouvait avoir pour effet d'interrompre le délai de prescription jusqu'à ce que cette décision soit devenue définitive, au demeurant antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, soit le 28 mai 2013, date à laquelle la cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 mars 2012. D'autre part, et ainsi que l'ont jugé les premiers juges, l'ordonnance du 9 mars 2017 n'a pu avoir pour effet de rouvrir un délai de prescription déjà expiré. Ainsi, l'action engagée par la société APRR le 29 mars 2017 devant le tribunal administratif de Dijon, était prescrite et pouvait être rejetée pour ce motif.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense ni les autres moyens de la requête, que la société APRR n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées au titre des frais du litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société APRR est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Signalisation France, la société Signaux Girod, la société Lacroix City Saint-Herblain, la société Franche Comté Signaux, la société AJ Partenaires et Me C... B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, à la société Franche Comté Signaux, la société AJ Partenaires, Me C... B..., la société Signaux Girod, la société Signalisation France et la société Lacroix City Saint-Herblain.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

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N° 18LY03551


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY03551
Date de la décision : 03/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Sophie LESIEUX
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : KGA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-12-03;18ly03551 ?
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