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12/11/2020 | FRANCE | N°18LY04377

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 12 novembre 2020, 18LY04377


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'État à lui verser la somme totale de 186 389,42 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, et celle de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1600539 du 8 octobre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à lui verser une somme de 15 732 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 janvier 2016, avec ca

pitalisation, et celle de 1 200 euros au titre de ses frais exposés et non compri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'État à lui verser la somme totale de 186 389,42 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, et celle de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1600539 du 8 octobre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à lui verser une somme de 15 732 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 janvier 2016, avec capitalisation, et celle de 1 200 euros au titre de ses frais exposés et non compris dans les dépens, et au rejet du surplus de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2018, M. A..., représenté par Me Huard, avocat, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1600539 du 8 octobre 2018 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a écarté ou minoré certains de ses préjudices ;

2°) de porter le montant de la condamnation prononcée à 186 389,42 euros, outre les intérêts, avec capitalisation des intérêts à compter du dépôt de sa requête ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que le tribunal administratif de Grenoble a fait une inexacte appréciation de ses préjudices en minorant l'indemnisation de sa perte de revenus professionnels et en écartant ses demandes au titre de la perte de notoriété et de clientèle et au titre de la perte de sa place au sein d'un cabinet induisant une perte de clientèle et des frais d'établissement de son propre cabinet.

Par un mémoire, enregistré le 28 janvier 2019, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête et à l'annulation du jugement du 8 octobre 2018 en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 15 732 euros avec les intérêts au taux légal et leur capitalisation.

Il soutient que :

- la décision annulée n'a pas eu pour conséquence l'impossibilité pour le requérant d'exercer son activité de masseur-kinésithérapeute mais seulement de lui interdire d'user du titre d'ostéopathe ;

- le requérant ne justifie pas du paiement des frais de formation dont le tribunal lui a accordé l'indemnisation à hauteur d'un montant de 7 940 euros et du lien entre les formations suivies et la décision du 22 décembre 2009 ;

- les frais de déplacement liés à la formation ne sont pas justifiés et peuvent avoir fait l'objet d'une déduction fiscale ;

- l'existence d'une perte de revenus liée à la décision du 22 décembre 2020 n'est pas établie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 et notamment son article 75 ;

- les décrets n° 2007-435 et 2007-437 du 25 mars 2007 et l'arrêté du 25 mars 2007 concernant l'exercice de l'ostéopathie ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gayrard, président assesseur,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., masseur-kinésithérapeute depuis 2001, a été formé et a pratiqué l'ostéopathie en exercice libéral à compter de 2003. Par décision du 22 décembre 2009, la direction régionale des affaires sanitaires et sociales de Rhône-Alpes a refusé de l'autoriser à user du titre d'ostéopathe en application des décrets du 25 mars 2007. Par jugement du 7 juin 2013, cette décision a été annulée par le tribunal administratif de Grenoble puis, par jugement du 8 octobre 2018, le même tribunal a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 15 732 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 29 janvier 2016 et leur capitalisation, en raison de l'illégalité de la décision du 22 décembre 2009. Par sa requête enregistrée le 7 décembre 2018, M. A... demande la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas condamné l'Etat à lui verser diverses sommes d'un montant global de 170 657,42 euros. Par mémoire enregistré le 28 janvier 2019, le ministre chargé de la santé présente des conclusions incidentes tendant à la réformation du jugement en tant qu'il l'a condamné à verser la somme de 15 732 euros.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il n'est pas contesté que la décision du 22 décembre 2009 par laquelle la direction régionale des affaires sanitaires et sociales de Rhône-Alpes a refusé d'autoriser M. A... à user du titre d'ostéopathe est illégale et que l'illégalité de cette décision constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, qui doit réparer les préjudices subis en lien direct et certain avec cette faute.

3. En premier lieu, le jugement attaqué a condamné l'Etat à verser à M. A... les sommes de 7 490 et 2 792 euros au titre d'une formation d'ostéopathie, suivie de 2011 à 2013 en pure perte compte tenu de ce que M. A... attestait dès 2009 d'une expérience professionnelle d'au moins cinq années consécutives et continues au cours des huit dernières années, conformément au décret n° 2007-435 du 25 mars 2007, lui permettant l'exercice de cette discipline. Le ministre chargé de la santé conteste le principe de cette indemnisation en faisant valoir qu'en application des articles 3 et 5 du décret n° 2007-437 du 25 mars 2007, l'intéressé devait seulement passer une formation complémentaire et était dispensé de certains enseignements. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du formulaire de parcours pédagogique produit aux débats, que la formation reçue par M. A..., admis directement en quatrième année, comprendrait des enseignements dont il aurait pu être dispensé. En revanche, le ministre fait valoir une différence de montant des frais de scolarité entre le formulaire précité, qui indique la somme de 7 350 euros, et une attestation du comptable de M. A..., qui mentionne la somme de 7 940 euros, sans qu'aucune autre pièce au dossier n'explique cette différence. Dans ces conditions, en retenant ce dernier chiffre, le tribunal administratif de Grenoble n'a pas exactement évalué le préjudice subi. Il y a lieu, par suite, de retenir le montant de 7 350 euros au titre des frais de scolarité exposés en pure perte. Si le ministre conteste l'attestation du comptable sur les frais de déplacement exposés pour cet enseignement fixé à la somme de 2 792 euros et évoque des possibilités de déductions fiscales ou sociales liées à l'exercice libéral, il n'apporte aucun élément conduisant à écarter comme non probante l'attestation produite, alors que le montant indiqué est cohérent au regard de la durée de cette formation et de la distance entre le domicile de M. A... et l'établissement de formation.

4. En deuxième lieu, le jugement attaqué a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 5 000 euros au titre de la perte de revenus subis du fait de l'arrêt de son activité d'ostéopathe du 22 décembre 2009, date de la décision attaquée, au mois de juin 2013, date à laquelle il a, à la fois, obtenu l'annulation de la décision précitée et le diplôme délivré à l'issue de la formation complémentaire suivie de 2011 à 2013. Pour évaluer ce préjudice, le tribunal administratif de Grenoble a pris en compte le chiffre d'affaires annuel en 2009 de 46 346 euros dont 2 503 pour l'activité d'ostéopathie découlant d'une attestation d'un comptable, et en appliquant le ratio de 5,4 % en découlant au revenu net global de 2009 de 28 080 euros sur une période de 3 ans et demi, soit la somme de 5 307,79 euros, arrondie à 5 000 euros. Si le requérant soutient que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble n'a pas retenu la somme de 8 100 euros, dès lors que le montant de 46 346 euros serait un revenu net de charges, l'attestation du comptable distingue bien des recettes globales et des recettes nettes et ne fait état d'aucune application d'un ratio de charges comme l'allègue le requérant. Si ce dernier fait également valoir que l'activité d'ostéopathie était amenée à se développer au cours de la période de 2009 à 2013, il n'apporte aucun élément pour en justifier. Si le ministre chargé de la santé conteste à nouveau la validité de l'attestation du comptable utilisée pour l'évaluation de la perte de revenus, il n'apporte aucun élément conduisant à ne pas la prendre en compte. De même, il n'apporte aucune justification pour établir le bien-fondé de ses allégations selon lesquelles la perte d'activité d'ostéopathie aurait été compensée par celle de masseur-kinésithérapeute au vu des chiffres d'affaires pour 2010 et 2011, alors que ladite attestation indique bien une baisse du revenu net global sur cette même période. Il découle de ce qui précède que tant le requérant que le défendeur ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal administratif de Grenoble a inexactement apprécié la perte de revenus subie du fait de l'arrêt de l'activité d'ostéopathie de fin 2009 à mi 2013.

5. En troisième lieu, le jugement attaqué a rejeté la demande de M. A... tendant à être indemnisé d'une perte de notoriété pour un montant de 15 000 euros. M. A... explique d'abord qu'en 2008, il exerçait à la fois à titre libéral et à titre salarié au titre de deux journées exercées au CMPR de Valence et qu'il a dû prendre une année sabbatique pour développer son activité d'ostéopathie. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment d'une lettre de l'ADPT du 24 novembre 2009, que cette année sabbatique suivie d'une démission pure et simple a été prise avant la décision fautive et ne saurait donc ouvrir droit à réparation. M. A... soutient ensuite que la décision illégale a constitué un frein au développement de sa clientèle alors que d'autres ostéopathes se sont installés pendant la période 2009-2013 et l'a empêché de faire un enseignement en ostéopathie. Toutefois, le requérant n'apporte aucun élément pour justifier tant de l'installation de concurrents susceptibles de lui prendre une partie de sa clientèle que de la possibilité de dispenser une formation en ostéopathie, alors qu'il a repris son activité d'ostéopathe en 2013 en dégageant un chiffre d'affaires supérieur à celui de 2009.

6. En dernier lieu, le jugement attaqué a rejeté la demande de M. A... tendant à être indemnisé de l'achat et de l'aménagement de son propre cabinet, alors qu'il exerçait auparavant au sein d'un cabinet regroupant plusieurs praticiens, pour un montant de 152 557,42 euros. Toutefois, si M. A... soutient qu'il a dû quitter ce cabinet du fait qu'il ne pouvait plus exercer l'activité d'ostéopathe, il n'apporte aucun élément de nature à établir le bien fondé de ses allégations.

7. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de ramener à 15 142 euros le montant de l'indemnité due par l'Etat à M. A..., de condamner l'Etat à verser cette somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 janvier 2016, avec capitalisation des intérêts échus au 29 janvier 2017, puis à chaque échéance annuelle, et de réformer en ce sens le jugement attaqué du tribunal administratif de Grenoble du 8 octobre 2018.

Sur les conclusions de M. A... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à M. A... une somme au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 15 732 euros, majorée des intérêts à compter du 29 janvier 2016 avec capitalisation des intérêts à compter du 29 janvier 2017, que l'Etat a été condamné à verser à M. A... par le jugement du 8 octobre 2018 est ramenée à la somme de 15 142 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 janvier 2016, avec capitalisation des intérêts échus au 29 janvier 2017, puis à chaque échéance annuelle.

Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1600539 du tribunal administratif de Grenoble du 8 octobre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre chargé de la santé.

Délibéré après l'audience du 22 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président-assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 12 novembre 2020.

N° 18LY04377 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY04377
Date de la décision : 12/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-04 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité et illégalité.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe GAYRARD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : HUARD

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-11-12;18ly04377 ?
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