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29/09/2020 | FRANCE | N°20LY01579

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 29 septembre 2020, 20LY01579


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler les arrêtés du 24 février 2020, par lesquels le préfet du Doubs a respectivement, décidé son transfert vers l'Autriche et l'a assigné à résidence dans le département de la Côte d'Or pour une durée de quarante-cinq jours avec obligation de présentation aux services de police une fois par semaine.

Par un jugement n° 2000530 du 6 mars 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa de

mande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 11 juin 2020, M. A.....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler les arrêtés du 24 février 2020, par lesquels le préfet du Doubs a respectivement, décidé son transfert vers l'Autriche et l'a assigné à résidence dans le département de la Côte d'Or pour une durée de quarante-cinq jours avec obligation de présentation aux services de police une fois par semaine.

Par un jugement n° 2000530 du 6 mars 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 11 juin 2020, M. A..., représenté par Me Rothdiener, avocat, demande à la cour, le cas échéant après avoir saisi d'une question préjudicielle la Cour de justice de l'Union Européenne ou le Conseil d'État d'une demande d'avis sur l'application de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et la conformité au règlement (CE) n° 767/2008 du 9 juillet 2008 de l'obligation faite à l'étranger de démontrer que l'agent qui a consulté ce fichier ne serait pas habilité à le faire au sens des dispositions des articles R. 611-8 et R. 611-12 du code de l'entrée et du séjour des étranger et du droit d'asile :

1°) d'annuler ce jugement n° 2000530 du 6 mars 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susmentionnées ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours, à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros, au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Il soutient que :

- le préfet ne justifie pas que l'entretien individuel a été effectué par une personne qualifiée au sens de l'article 5 du règlement 604/203 du 26 juin 2013, ou même par un agent de la préfecture ;

- il n'est pas établi que l'agent qui a consulté le fichier Eurodac aurait été spécialement habilité et désigné pour le faire ;

- il a été débouté de l'asile en Autriche et il fait également l'objet d'une mesure d'expulsion vers l'Afghanistan particulièrement affectée par les conflits ; dès lors, la décision de transfert méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 4 de la charte des droits fondamentaux et l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- il a déposé sa première demande d'asile en Hongrie et l'arrêté qui désigne des autorités autrichiennes comme responsables méconnaît l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté portant assignation à résidence doit être annulé par voie de conséquence de l'illégalité de l'arrêté portant transfert aux autorités autrichiennes.

Par un mémoire enregistré le 2 septembre 2020, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les dispositions de l'article 5 du règlement 604/203 du 26 juin 2013 ont été respectées ;

- les autorités autrichiennes qui sont compétentes pour se prononcer sur la demande d'asile examineront les risques encourus par l'intéressé dans son pays d'origine ;

- l'exception d'illégalité de la décision de transfert soulevée à l'encontre de la décision d'assignation à résidence doit être écartée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme B..., présidente assesseure, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant afghan, a présenté une demande d'asile le 16 décembre 2019. Ayant relevé ses empreintes digitales, le préfet du Doubs a constaté en consultant le fichier Eurodac que l'intéressé avait auparavant sollicité l'asile auprès des autorités autrichiennes. Celles-ci, saisies sur le fondement du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013, ont accepté expressément la reprise en charge de l'intéressé le 18 décembre 2019. A la suite de cette procédure, par arrêtés du 24 février 2020, le préfet du Doubs a décidé son transfert aux autorités autrichiennes et l'a assigné à résidence dans le département de la Côte d'Or pour une durée de quarante-cinq jours avec obligation de présentation aux services de police une fois par semaine. M. A... relève appel du jugement du 6 mars 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. "

3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié d'un entretien individuel avec un agent du service chargé de l'asile à la préfecture de police de Paris le 16 décembre 2019. Cet entretien, ayant été mené par une personne du service, l'a été par une personne qualifiée au sens du 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et il ressort du résumé dudit entretien, que M. A... a signé, qu'il a pu faire valoir à cette occasion toutes observations utiles. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que ce dernier a demandé en vain la remise d'une copie dudit résumé. En tout état de cause, l'intéressé n'apporte aucun élément permettant de faire naître un doute sur l'habilitation de l'agent qui a instruit son dossier ni à justifier que la cour saisisse la Cour de justice de l'Union Européenne d'une question préjudicielle ou le Conseil d'Etat d'une demande d'avis.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er du règlement (UE) n°603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n°604/2013 : " 1. Il est créé un système, appelé "Eurodac", dont l'objet est de contribuer à déterminer l'Etat membre qui, en vertu du règlement (UE) no 604/2013, est responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et de faciliter à d'autres égards l'application du règlement (UE) no 604/2013 dans les conditions prévues par le présent règlement. / 2. Le présent règlement définit également les conditions dans lesquelles les autorités désignées des Etats membres et l'Office européen de police (Europol) peuvent demander la comparaison de données dactyloscopiques avec celles conservées dans le système central à des fins répressives. (...) ". L'article 5 prévoit les modalités par lesquelles les Etats membres désignent les autorités autorisées à demander des comparaisons avec les données d'Eurodac à fins répressives et l'article 6 du même règlement prévoit la désignation d'une autorité nationale unique exerçant " les fonctions d'autorité chargée de la vérification " aux mêmes fins répressives. Ces deux articles ne concernent ainsi que les conditions mentionnées au 2 de l'article 1er précité du même règlement, dans lesquelles les autorités désignées des Etats membres et l'Office européen de police (Europol) peuvent demander la comparaison de données dactyloscopiques avec celles conservées dans le système central à des fins répressives, et non les dispositions du 1 du même article 1er dans le champ duquel entre la décision en litige. Dès lors, M. A... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions des articles 5 et 6 du règlement (UE) n°603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. En tout état de cause, l'intéressé n'apporte aucun élément permettant de faire naître un doute sur l'habilitation de l'agent qui a instruit son dossier ni à justifier que la cour saisisse la Cour de justice de l'Union Européenne d'une question préjudicielle ou le Conseil d'Etat d'une demande d'avis.

5. En troisième lieu, d'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par le 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

6. D'autre part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

7. M. A... fait valoir que les autorités autrichiennes ont rejeté sa demande d'asile et qu'en cas de transfert vers l'Autriche, il sera reconduit en Afghanistan où il encourt des risques pour sa vie, notamment eu égard à la violence extrême qui sévit dans ce pays. Toutefois, le document qu'il produit émanant du " Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl " (BFA) ne permet pas d'établir le caractère définitif de la décision prise par cette instance et qu'il ne serait pas à même d'exercer un recours effectif contre une éventuelle mesure d'éloignement prise par les autorités autrichiennes.

8. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le préfet du Doubs aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit également être écarté.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 7 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " (...) 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre. (...) ".

10. Le requérant fait valoir qu'il a présenté une première demande d'asile en Hongrie avant d'en présenter une seconde en Autriche ainsi que le mentionne le relevé de ses empreintes du fichier Eurodac. Toutefois, il est constant que les autorités autrichiennes n'ont pas saisi la Hongrie, en sa qualité d'Etat membre responsable, d'une requête aux fins de reprise en charge de M. A.... En renonçant à faire usage d'une telle faculté, l'Autriche doit être regardée comme ayant nécessairement mis en oeuvre les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 et est devenue, par suite, l'État membre responsable de la demande d'asile de l'intéressé. Par suite et en tout état de cause, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du paragraphe 2 de l'article 7 du règlement précité ne peut qu'être écarté.

11. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit que M. A... n'est pas fondé à exciper, au soutien de ses conclusions dirigées contre la décision portant assignation à résidence, de l'illégalité de la décision ordonnant son transfert aux autorités autrichiennes.

12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme B..., présidente,

Mme C..., première conseillère,

Mme F..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 29 septembre 2020.

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N° 20LY01579


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY01579
Date de la décision : 29/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : Mme DECHE
Rapporteur ?: Mme Pascale DECHE
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : ROTHDIENER

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-09-29;20ly01579 ?
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