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07/09/2020 | FRANCE | N°19LY04667

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 07 septembre 2020, 19LY04667


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme B... D... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2010, 2011 et 2012.

Par un jugement n° 1500076 du 2 février 2017, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à leur demande.

Procédure initiale devant la Cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 30 mai 2017 et le 18 septembre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics deman

de à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 2 février 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme B... D... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2010, 2011 et 2012.

Par un jugement n° 1500076 du 2 février 2017, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à leur demande.

Procédure initiale devant la Cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 30 mai 2017 et le 18 septembre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 2 février 2017 ;

2°) de remettre à la charge de M. et Mme D... ces impositions, à hauteur des sommes de 3 210 euros, 3 456 euros et 226 euros au titre respectivement des années 2010, 2011 et 2012.

Il soutient que :

- la réponse aux observations du contribuable est suffisamment motivée ;

- en application de l'article 4 B du code général des impôts, les intimés, qui sont fiscalement domiciliés en France, sont passibles de l'impôt sur le revenu à raison de l'intégralité de leurs revenus, sous réserve de l'application des conventions internationales ;

- en application de l'article 20 de la convention fiscale conclue entre la France et l'Allemagne, les intimés ont bénéficié en 2011 et 2012 d'un crédit d'impôt équivalent au montant de l'impôt français correspondant à leurs revenus fonciers de source allemande ; en revanche, dès lors qu'aux termes de cet article, seuls sont pris en compte pour le calcul de ce crédit d'impôt les bénéfices et revenus positifs, ils n'ont pas bénéficié d'un crédit d'impôt au titre de l'année 2010 au titre de laquelle leurs revenus fonciers de source allemande étaient déficitaires ;

- les modalités de calcul de ce crédit d'impôt pour les années 2011 et 2012 n'aboutissent pas à l'application d'un taux d'imposition supérieur à celui qui serait appliqué si les immeubles étaient situés en France ;

- ces modalités de calcul ne sont pas contraires à la liberté d'établissement prévue à l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne, ni à la libre circulation des capitaux prévue à l'article 56 du même traité, dès lors qu'elles résultent de la convention franco-allemande destinée à faire obstacle aux doubles impositions, qu'elles ne conduisent pas à une imposition des contribuables supérieure à celle qui aurait été la leur si les immeubles litigieux avaient été situés en France et qu'elles répondent à un objectif d'intérêt général ;

- M. et Mme D... n'ont subi aucune discrimination, leur imposition étant inférieure à ce qu'elle aurait été si leurs biens immobiliers avaient été situés en France.

Par un mémoire, enregistré le 21 juillet 2017, M. et Mme D..., représentés par Me E..., concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la réponse aux observations du contribuable est insuffisamment motivée ;

- ils pouvaient prétendre à l'imputation sur leur revenu global de leur déficit foncier, alors même qu'il est de source étrangère ;

- ils peuvent se prévaloir, sur le fonctionnement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l'instruction publiée le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-IR-BASE-10-20-30-20120912 qui énonce que : " Tout d'abord, lorsque les résultats nets, de source française ou étrangère, obtenus dans un ou plusieurs catégories de revenus font ressortir un déficit, celui-ci vient (sauf dérogation) s'imputer sur le total des résultats positifs des autres catégories et avant, le cas échéant, déduction de la fraction de contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus du patrimoine déductible (cf. BOI-IR-BASE-20-20) et des charges du revenu global. " ;

- la convention fiscale franco-allemande n'exclut pas la prise en compte, dans le calcul du crédit d'impôt, de déficits de source allemande ;

- la convention fiscale franco-allemande est contraire à l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui vise à proscrire les restrictions aux mouvements de capitaux ;

- la méthode du crédit d'impôt généralisé est moins favorable que celle du taux effectif, retenue par certaines conventions bilatérales, ce qui est également contraire à l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- l'imposition à laquelle ils ont été assujettis est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques.

Par un arrêt n° 17LY02151 du 8 janvier 2019, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté la requête.

Procédure devant le Conseil d'État

Par une décision n° 428443 du 19 décembre 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par le ministre de l'action et des comptes publics, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 8 janvier 2019 et a renvoyé l'affaire devant la même cour.

Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'État

Par des mémoires, enregistrés le 21 janvier 2020 et le 6 mars 2020, M. et Mme D..., représentés par Me E..., demandent à la cour :

1°) de confirmer le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 2 février 2017 ;

2°) de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2010, 2011 et 2012 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la réponse aux observations du contribuable est insuffisamment motivée ;

- l'article 20 de la convention fiscale franco-allemande, dans sa rédaction applicable au litige, est contraire à l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ainsi qu'en témoigne la nouvelle rédaction adoptée par l'avenant du 31 mars 2015 à cette convention.

Par un mémoire, enregistré le 29 janvier 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 2 février 2017 ;

2°) de remettre à la charge de M. et Mme D... les impositions, à hauteur des sommes de 3 210 euros, 3 456 euros et 226 euros au titre respectivement des années 2010, 2011 et 2012.

Il soutient que :

- la réponse aux observations du contribuable est suffisamment motivée ;

- les modalités de calcul du crédit d'impôt pour les années 2011 et 2012 n'aboutissent pas à l'application d'un taux d'imposition supérieur à celui qui serait appliqué si les immeubles étaient situés en France ;

- ces modalités de calcul ne sont pas contraires à la liberté d'établissement ni à la libre circulation des capitaux, dès lors qu'elles résultent de la convention franco-allemande destinée à faire obstacle aux doubles impositions, qu'elles ne conduisent pas à une imposition des contribuables supérieure à celle qui aurait été la leur si les immeubles litigieux avaient été situés en France, qu'elles répondent à un objectif d'intérêt général et que la mesure en cause n'est pas disproportionnée ;

- M. et Mme D... n'ont subi aucune discrimination, leur imposition étant inférieure à ce qu'elle aurait été si leurs biens immobiliers avaient été situés en France.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959, modifiée par les avenants des 9 juin 1969, 28 septembre 1989 et 20 décembre 2001 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C..., présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme G..., rapporteure publique,

- et les observations de Me E..., représentant M. et Mme D... ;

Une note en délibéré présentée par M. et Mme D... a été enregistrée le 9 juillet 2020.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D..., qui sont résidents de France, sont propriétaires d'immeubles situés en Allemagne dont la location a dégagé en 2010 un déficit foncier de 26 232 euros. Ils ont imputé ce déficit sur leur revenu global déclaré en France au titre de l'année 2010 à concurrence de 10 700 euros et imputé le solde, soit la somme de 15 532 euros, sur leurs revenus fonciers des années 2011 et 2012. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a remis en cause l'imputation de ce déficit sur les revenus des contribuables. Par un jugement du 2 février 2017, le tribunal administratif de Grenoble a accordé à M. et Mme D... la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2010, 2011 et 2012 à la suite de ce contrôle. La cour administrative d'appel de Lyon, par un arrêt du 8 janvier 2019, a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics à l'encontre de ce jugement. Par une décision du 19 décembre 2019 n° 428443, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi en cassation contre cet arrêt par le ministre de l'action et des comptes publics, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon et lui a renvoyé l'affaire pour qu'elle y statue de nouveau.

2. Aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. " Et aux termes de l'article 156 du même code : " L'impôt sur le revenu est établi d'après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal. Ce revenu net est déterminé [...] sous déduction : I. du déficit constaté pour une année dans une catégorie de revenus ; si le revenu global n'est pas suffisant pour que l'imputation puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté successivement sur le revenu global des années suivantes jusqu'à la sixième année inclusivement. Toutefois, n'est pas autorisée l'imputation : [...] 3° Des déficits fonciers, lesquels s'imputent exclusivement sur les revenus fonciers des dix années suivantes ; cette disposition n'est pas applicable aux propriétaires de monuments classés monuments historiques [...] L'imputation exclusive sur les revenus fonciers n'est pas non plus applicable aux déficits fonciers résultant de dépenses autres que les intérêts d'emprunt. L'imputation est limitée à 10 700 euros. La fraction du déficit supérieure à 10 700 euros et la fraction du déficit non imputable résultant des intérêts d'emprunt sont déduites dans les conditions prévues au premier alinéa. ".

3. Aux termes du 1 de l'article 3 de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 modifiée par les avenants des 9 juin 1969, 28 septembre 1989 et 20 décembre 2001 : " Les revenus provenant des biens immobiliers (y compris les accessoires ainsi que le cheptel mort ou vif des entreprises agricoles et forestières) ne sont imposables que dans l'Etat contractant où ces biens sont situés ". Aux termes du 2) de l'article 20 de cette convention : " En ce qui concerne les résidents de France, la double imposition est évitée de la façon suivante : / a) Les bénéfices et autres revenus positifs qui proviennent de la République fédérale et qui y sont imposables conformément aux dispositions de la présente Convention sont également imposables en France lorsqu'ils reviennent à un résident de France. L'impôt allemand n'est pas déductible pour le calcul du revenu imposable en France. Mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français dans la base duquel ces revenus sont compris. " Ce crédit d'impôt est égal, s'agissant de revenus provenant de biens immobiliers, au montant de l'impôt français correspondant à ces revenus.

4. Il résulte des termes mêmes des stipulations du a) du 2) de l'article 20 de la convention fiscale franco-allemande, dans leur rédaction antérieure à l'avenant du 31 mars 2015, dont l'objet est de fixer les règles permettant l'élimination de la double imposition des revenus de source allemande perçus par des résidents de France, que les parties signataires ont entendu, pour la mise en oeuvre de ces règles, limiter aux seuls revenus positifs la prise en compte des revenus de source allemande dans les revenus imposables en France des contribuables résidents de France, à l'exclusion des déficits.

5. Enfin, aux termes de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites. " Et aux termes de l'article 65 de ce traité : " 1. L'article 63 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les États membres : a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ".

6. Il résulte des stipulations précitées de la convention fiscale franco-allemande qu'un résident fiscal français ayant réalisé un déficit foncier de source allemande, qui ne peut imputer ce déficit sur son revenu global dès lors que le pouvoir d'imposer ces revenus est réservé à l'Allemagne par l'article 3 de la convention fiscale franco-allemande, est également privé de la prise en compte de ce déficit pour le calcul du crédit d'impôt imputable sur l'impôt français, alors que le résident fiscal français ayant constaté un déficit foncier de source française peut imputer ce déficit sur son revenu global jusqu'à un montant déterminé par la loi, et le reliquat sur ses revenus fonciers des années suivantes, en application du 3° du I de l'article 156 du code général des impôts.

7. Dans ces conditions, la situation fiscale d'un résident fiscal français qui constate un déficit à raison de l'exploitation de biens immobiliers situés en Allemagne est moins favorable que celle d'un résident fiscal français qui constate un déficit à raison de l'exploitation de biens immobiliers situés en France. Contrairement à ce que soutient le ministre, qui ne peut utilement faire valoir que M. et Mme D... auraient été soumis aux prélèvements sociaux si leur bien immobilier avait été situé en France dès lors que ces prélèvements constituent une imposition distincte de l'impôt sur le revenu, le crédit d'impôt imputable sur l'impôt français dont ont bénéficié les intimés au titre des années 2011 et 2012 n'est pas de nature à compenser l'avantage fiscal dont ils ont été privés compte tenu de la situation de leur biens immobiliers en Allemagne. Une telle différence de traitement en fonction du lieu où le bien immobilier est situé, qui est susceptible de dissuader un contribuable de procéder à des investissements immobiliers en Allemagne, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée, en principe, par l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

8. Toutefois, dans l'hypothèse où la législation fiscale contestée institue une différence de traitement constitutive d'une telle restriction, il résulte de l'interprétation des stipulations du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne donnée par la Cour de justice, notamment dans son arrêt du 8 novembre 2007, Amurta SGPS (affaire C-379/05, point 32), que sa conformité aux libertés fondamentales peut néanmoins être admise lorsque cette restriction concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général.

9. En premier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'en l'absence de mesures d'unification ou d'harmonisation adoptées par l'Union, les Etats membres demeurent compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur pouvoir de taxation et que la préservation de cette répartition est un objectif légitime reconnu par la Cour (arrêt du 17 septembre 2015, Miljoen, X et Société Générale C-10/14, C-14/14 et C-17/14, point 76).

10. Il résulte des stipulations de l'article 3 de la convention fiscale franco-allemande que les revenus fonciers provenant des biens immobiliers situés en Allemagne et perçus par un résident fiscal français ne sont imposables qu'en Allemagne, et non en France. Le principe de symétrie entre le droit d'imposition des bénéfices et la faculté de déduction des pertes impose ainsi que les déficits fonciers de source allemande ne puissent être imputés sur des revenus de source française. Cette exclusion répond également à la nécessité d'éviter que le contribuable ne puisse choisir librement l'État membre où la prise en compte du déficit est la plus avantageuse d'un point de vue fiscal. Par suite, l'exclusion de la prise en compte de déficits fonciers de source allemande, qui est le corollaire du défaut d'imposition des revenus fonciers de source allemande en France, doit être regardée comme justifiée par la nécessité d'assurer une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre la France et l'Allemagne.

11. En deuxième lieu, il résulte des dispositions du 3° du I de l'article 156 du code général des impôts que le déficit constaté pour une année dans la catégorie des revenus fonciers par un contribuable à raison de la location de biens immobiliers est imputable sur le revenu global de la même année, à hauteur de 10 700 euros, l'excédent éventuel du déficit étant reporté sur les revenus fonciers des années ultérieures, dans la limite de dix ans. Le bénéfice de cet avantage fiscal est toutefois subordonné, en application des dispositions des articles 14 et 29 du code général des impôts, à la condition que les biens immobiliers en cause soient productifs de revenus ou qu'ils soient susceptibles de l'être. Dans ces conditions, il existe un lien direct, s'agissant du même contribuable et du même impôt, entre, d'une part, l'avantage fiscal consenti par le 3° du I de l'article 156 du code général des impôts, et, d'autre part, l'imposition des bénéfices fonciers. Par suite, l'exclusion de la prise en compte de déficits fonciers de source allemande doit être regardée comme étant justifiée par la nécessité d'assurer la cohérence du régime fiscal français.

12. En troisième lieu, M. et Mme D... ne contestent pas que le déficit foncier de source allemande qu'ils ont réalisé au titre de l'année 2010 a été pris en compte pour l'impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis en Allemagne au titre de cette même année. Dans ces conditions, l'exclusion de la prise en compte d'un déficit foncier de source allemande dans le calcul de l'impôt sur le revenu français doit être regardée comme étant justifiée par la nécessité de prévenir la double prise en compte des pertes.

13. Il résulte de ce qui précède que les restrictions apportées par les stipulations de la convention fiscale franco-allemande en litige à la libre circulation des capitaux répondent à des raisons impérieuses d'intérêt général.

14. Il est constant qu'en application des stipulations du 2° de l'article 20 de la convention fiscale franco-allemande, M. et Mme D..., qui ont été imposés en Allemagne à raison des bénéfices fonciers de source allemande qu'ils ont réalisés en 2011 et 2012, ont bénéficié, pour le calcul de l'impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis en France au titre de ces mêmes années, d'un crédit d'impôt égal au montant de l'impôt français correspondant à ces revenus.

15. Si M. et Mme D... font valoir qu'en dépit de l'attribution de ce crédit d'impôt, le montant cumulé de leurs impositions française et allemande des années 2010, 2011 et 2012, d'un total de 58 965 euros, demeure supérieur au montant qu'atteindraient ces impositions si le bien immobilier avait été situé en France, d'un montant de 56 113 euros, il ne résulte pas de cette seule circonstance que la législation en cause irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par la convention, qui consistent à éviter que le même revenu ne soit imposé dans chacune des deux parties contractantes, et non de garantir que l'imposition à laquelle est assujetti le contribuable dans une partie contractante ne soit pas supérieure à celle à laquelle il serait assujetti dans l'autre partie contractante. Dans ces conditions, l'exclusion de la prise en compte de déficits fonciers de source allemande doit être regardée comme étant strictement proportionnée à ces objectifs.

16. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a estimé que l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'oppose à la législation d'un Etat membre relative à l'impôt sur le revenu telle que celle ici en litige.

17. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme D... devant le tribunal administratif et la cour.

18. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...) Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée. ".

19. Il résulte de l'instruction que, dans les observations qu'ils ont formulées le 13 décembre 2013 à la suite de la notification de la proposition de rectification du 6 décembre 2013, M. et Mme D... se sont bornés à indiquer qu'ils ne comprenaient pas la remise en cause de la déduction de leurs déficits fonciers de source allemande, que leur situation était similaire à celle jugée par la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt du 15 octobre 2009 C-35/08, dont ils citaient un extrait, et que, compte tenu de leur départ en congés, ils sollicitaient un délai supplémentaire de trente jours aux fins de présenter des observations supplémentaires. Les intéressés n'ont assorti ces observations d'aucune précision ni d'aucune argumentation, et se sont, notamment, abstenus d'expliciter les raisons pour lesquelles ils estimaient que la solution retenue par l'arrêt de la Cour de justice dont ils se prévalaient était transposable à leur situation. Il est en outre constant que les intéressés n'ont par la suite présenté aucune observation complémentaire. Dans ces conditions, en indiquant, le 27 février 2014, en réponse aux observations du 13 décembre 2013, que la remise en cause de la déduction des déficits fonciers de source allemande résultait de l'application de la convention fiscale conclue entre la France et l'Allemagne, que la rectification des revenus des années 2010, 2011 et 2012 était en conséquence maintenue en totalité et en relevant que les requérants bénéficiaient d'un crédit d'impôt calculé en tenant compte des revenus fonciers provenant d'Allemagne venant compenser l'absence de droit à déduction du déficit foncier de source allemande, l'administration doit être regardée comme ayant suffisamment répondu aux observations présentées. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la réponse aux observations du contribuable doit, par suite, être écarté.

20. En deuxième lieu, si, en principe, en application des dispositions des articles 4 A et 156 du code général des impôts, un contribuable ayant son domicile fiscal en France peut imputer sur son revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu les déficits fonciers réalisés hors de France, c'est sous réserve qu'aucune stipulation d'une convention fiscale internationale n'y fasse obstacle. Il résulte de ce qui précède que l'article 3 et le a du 2) de l'article 20 de la convention fiscale franco-allemande font obstacle à ce qu'un déficit foncier de source allemande soit pris en compte pour la détermination du revenu imposable à l'impôt sur le revenu en France. Par suite, M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir qu'aucune disposition de droit national ne faisait obstacle à l'imputation sur leur revenu global du déficit foncier de source allemande.

21. En troisième lieu, M. et Mme D..., qui sont uniquement propriétaires de biens immobiliers donnés en location situés en Allemagne, ne peuvent utilement soutenir que le montant de leur imposition aurait été inférieur si l'administration avait fait application de conventions fiscales conclues entre la France et des pays tiers.

22. En quatrième lieu, les impositions en litige étant légalement établies, ainsi qu'il vient d'être dit, M. et Mme D... ne peuvent utilement prétendre qu'elles sont contraires au principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques.

23. En dernier lieu, M. et Mme D... se prévalent, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l'instruction publiée le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-IR-BASE-10-20-30-20120912 qui énonce que : " Tout d'abord, lorsque les résultats nets, de source française ou étrangère, obtenus dans un ou plusieurs catégories de revenus font ressortir un déficit, celui-ci vient (sauf dérogation) s'imputer sur le total des résultats positifs des autres catégories et avant, le cas échéant, déduction de la fraction de contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus du patrimoine déductible (cf. BOI-IR-BASE-20-20) et des charges du revenu global. " Toutefois, cette instruction ne donne pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle qui résulte du présent arrêt.

24. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à la demande de M. et Mme D..., et à demander le rétablissement des compléments d'impôt sur le revenu assignés aux requérants, à hauteur des sommes de 3 210 euros, 3 456 euros et 226 euros au titre respectivement des années 2010, 2011 et 2012.

Sur les frais liés au litige :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à M. et Mme D... la somme qu'ils réclament au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 2 février 2017 est annulé.

Article 2 : M. et Mme D... sont rétablis au rôle de l'impôt sur le revenu, à hauteur des sommes de 3 210 euros, 3 456 euros et 226 euros au titre respectivement des années 2010, 2011 et 2012.

Article 3 : La demande présentée par M. et Mme D... devant le tribunal administratif de Grenoble ainsi que leurs conclusions d'appel sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à M. et Mme B... D....

Délibéré après l'audience du 7 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme C..., présidente-assesseure,

Mme H..., première conseillère.

Lu en audience publique le 7 septembre 2020.

2

N° 19LY04667

gt


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY04667
Date de la décision : 07/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-04-02-02 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. Revenus fonciers.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: Mme Aline EVRARD
Rapporteur public ?: Mme CONESA-TERRADE
Avocat(s) : ARBOR TOURNOUD PIGNIER WOLF

Origine de la décision
Date de l'import : 19/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-09-07;19ly04667 ?
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