Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. E... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) à lui verser, à titre principal, une somme de 26 075,43 euros, ou subsidiairement, une somme de 23 257,51 euros, en réparation des préjudices causés par le versement indu d'une somme de 35 539,32 euros à titre de pension.
Par une ordonnance n° 1601970 du 3 mai 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 5 juillet 2018 et un mémoire, enregistré le 30 décembre 2019, M. E..., représenté par Me H..., demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du tribunal administratif de Lyon du 3 mai 2018 ;
2°) de condamner la CNRACL à lui verser, à titre principal, une somme de 26 075,43 euros, ou subsidiairement, une somme de 23 257,51 euros, en réparation des préjudices subis en raison de fautes commises par celle-ci ;
3°) de mettre à la charge de la CNRACL la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête ne pouvait être rejetée pour irrecevabilité manifeste sur le fondement des principes mentionnés dans l'arrêt du conseil d'Etat CE Ass. 13 juillet 2016 n° 387763 ;
- il n'est pas possible de lui opposer les règles de recevabilité mentionnées dans l'arrêt CE Sect. 2 mai 1959 Lafon ;
- le tribunal administratif de Lyon a renversé la charge de la preuve en lui opposant qu'aucun élément du dossier ne permettait de conclure qu'il n'avait pas eu une connaissance de la décision litigieuse, une telle preuve incombant à l'administration ;
- il a engagé son recours indemnitaire dans un délai raisonnable ;
- la CNRACL a commis une double faute dans la gestion de son dossier en n'intégrant pas, dès l'origine, les éléments de son salaire dans le calcul de pension de retraite et en prenant deux années pour constater son erreur ;
- elle ne pouvait lui demander le remboursement des arrérages versés au titre de l'année 2008 sans méconnaître les dispositions de l'article L. 93 du Code des Pensions Civiles et Militaires de Retraites ;
- son préjudice découle de l'impôt sur le revenu supplémentaire qu'il a dû acquitter au titre de l'année 2010 et qu'il n'a pas totalement récupéré suite au reversement de la somme réclamée par la CNRACL soit une différence de 1 833 euros ; il a dû également procéder au rachat d'une assurance vie pour disposer de liquidités nécessaires et a subi un manque à gagner de 4 242,43 euros ou subsidiairement 1 424,51 euros ; il a également subi un préjudice moral qui doit être indemnisé par une indemnité de 20 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 janvier 2020, la Caisse des dépôts et consignations agissant en qualité de gestionnaire de la CNRACL représentée par Me F... conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de M. E... la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens ;
Elle soutient que :
- à titre principal, la demande de première instance n'était pas recevable ;
- subsidiairement, les préjudices invoqués ne sont pas établis.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Thierry, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Bien que M. E..., praticien hospitalier en retraite depuis début 2011, n'ait formulé aucune demande en ce sens, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) lui a versé, à partir du 4 janvier 2010, une pension ainsi que des arriérés qu'elle estimait lui devoir au titre des années 2008 et 2009. Ces versements ayant été effectués par erreur, M. E..., à la demande de la CNRACL, a dû rembourser la somme de 35 539,32 euros. M. E... relève appel de l'ordonnance rendue le 3 mai 2018 par le président de la 7ème chambre du tribunal administratif de Lyon ayant rejeté pour irrecevabilité manifeste sa demande de condamnation de la CNRACL à l'indemniser du préjudice qu'il estime avoir subi en raison du remboursement qu'il a dû effectuer.
Sur la régularité de l'ordonnance :
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'ensemble des moyens soulevés par M. E... :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 code de justice administrative : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ". L'article article R. 421-5 prévoit que " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision " (...).
3. Il résulte, par ailleurs, du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l'article L. 1142-28 du code de la santé publique.
4. Il résulte de l'instruction qu'en formant devant les premiers juges des conclusions à fin de condamnation de la CNRACL, M. E... demandait réparation de divers préjudices matériels et moraux découlant de la demande de remboursement de trop-perçu et non l'annulation de cette demande de remboursement. M. E... est par suite fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la 7ème chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande comme irrecevable.
5. Dans ces circonstances, il y a lieu pour la cour de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée devant le tribunal administratif de Lyon par M. E....
Sur le fond de la demande de condamnation de M. E... :
6. Il résulte de l'instruction que les versements à M. E... d'arriérés de pension et de pension de retraite sont le résultat d'une erreur informatique. Ceux-ci ne créant dès lors aucun droit au bénéfice de M. E..., la CNRACL pouvait légalement lui en demander le remboursement. Pour autant, ces versements, qui se sont opérés tout au long de l'année 2010 et dont le caractère indu n'a été révélé à M. E... que par un courrier du 10 décembre 2012, sont imputables à une faute de la CNRACL de nature à engager sa responsabilité.
7. En premier lieu, M. E... expose que le supplément d'impôt sur le revenu qu'il a payé au titre de l'année 2010 en raison des revenus découlant des versements indus effectués par la CNRACL au cours de cette année n'a pas été complètement compensé par la baisse de ce même impôt sur le revenu au titre de l'année 2013, année au cours de laquelle il s'est acquitté du remboursement demandé. Il résulte des pièces produites par M. E..., dont les calculs ne sont pas pertinemment contestés par la Caisse des dépôts et consignations, que ce dernier a bien été rendu débiteur d'un impôt sur le revenu pour 2010 prenant en compte les suppléments de revenus issus des versements indus opérés par la CNRACL. Ces mêmes pièces ne permettent toutefois pas d'établir avec une certitude suffisante que la diminution d'impôt dont il a bénéficié en 2013 n'a pas permis de compenser le supplément enregistré en 2010. Il en résulte que le préjudice financier invoqué par M. E... au titre de l'impôt sur le revenu n'est pas établi.
8. En deuxième lieu, M. E... expose qu'il a dû procéder, en 2013, au déblocage partiel et anticipé d'une assurance vie qu'il avait contractée afin de rembourser les versements indus et que, lorsqu'il a débloqué, en 2015, la totalité de la somme restante, il en est résulté une perte de bénéfice liée au déblocage partiel qu'il évalue à 4 242 euros. Pour établir la réalité de ce montant, M. E... produit une fiche de calcul mettant en exergue la perte de gains. La seule circonstance que ces calculs ont été effectués par M. E... n'est pas de nature à remettre en cause leur pertinence dès lors que la Caisse des dépôts et consignations n'en critique ni la méthode de calcul, ni les montants avancés par M. E..., lesquels sont corroborés par les relevés bancaires produits par ce dernier. Dans ces conditions, M. E... est fondé à se prévaloir d'un préjudice financier d'un montant de 4 242 euros.
9. En troisième lieu, compte tenu de l'importance des sommes versées de façon indue sur une période prolongée ainsi que du temps mis par la CNRACL pour constater son erreur et en tirer les conséquences, M. E... est fondé à se prévaloir d'un préjudice moral et de troubles dans les conditions d'existence dont la réparation sera assurée par une indemnisation dont il sera fait une juste évaluation en la fixant à 1 000 euros.
10. Toutefois l'importance des sommes versées sur une période d'un an et leur origine, que M. E... ne pouvait ignorer, ne pouvaient manquer d'attirer son attention et rendaient ces versements suspects, d'autant qu'il n'avait pas encore fait valoir ses droits à la retraite. En dépit de ces circonstances, M. E... a fait usage de ces fonds indûment versés sans se préoccuper de leur bien fondé et sans se rapprocher de la CNRACL. La faute ainsi commise par le requérant est de nature à décharger de sa responsabilité la CNRACL à hauteur de 50 %. Il en résulte que M. E... est seulement fondé à demander que lui soit alloué une somme de 2 621 euros, en réparation des préjudices subis du fait de la faute ainsi commise par la CNRACL.
Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative faisant obstacle à ce que soit mise à la charge de M. E..., qui n'est pas la partie perdante, une somme à ce titre, les conclusions de la Caisse des dépôts et consignations en ce sens doivent être rejetées.
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations une somme de 2 000 euros qu'elle paiera à M. E..., au titre des frais non compris dans les dépens que ce dernier a exposés.
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 1601970 du président de la 7ème chambre du tribunal administratif de Lyon du 3 mai 2018 est annulée.
Article 2 : La Caisse des dépôts et consignations est condamnée à verser à M. E... une somme de 2 621 (deux mille six-cent vingt et un) euros en réparation de son préjudice.
Article 3 : La Caisse des dépôts et consignations versera une somme de 2 000 euros à M. E... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la Caisse des dépôts et consignations relatives aux frais non compris dans les dépens sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et à la Caisse des dépôts et consignations.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme D... A..., présidente de chambre,
M. Pierre Thierry, premier conseiller.
Mme C... G..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 25 août 2020.
No 18LY024882