Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... de la Caridad Gonzalez A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 27 mai 2019 par lequel le préfet de Saône-et-Loire a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination en cas d'éloignement forcé.
Par un jugement n° 1901775 du 11 décembre 2019, le président du tribunal administratif de Dijon a annulé l'arrêté du 27 mai 2019, sauf en ce qu'il porte refus de titre de séjour portant la mention "vie privée et familiale" et a enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme F... A... dans le délai d'un mois.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2020, le préfet de Saône-et-Loire demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du président du tribunal administratif de Dijon du 11 décembre 2019 ;
2°) de rejeter la demande de première instance de Mme F... A... ;
Il soutient que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé son arrêté pour erreur de fait dès lors que Mme F... A..., en possession d'un simple visa de court séjour, ne peut prétendre à la délivrance d'une carte de séjour temporaire autorisant l'exercice d'une activité professionnelle et qu'aucune autorisation de travail ne lui a été délivrée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2020, Mme F... A..., représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 11 décembre 2019 en ce qu'il rejette sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 27 mai 2019 portant refus de titre de séjour portant la mention "vie privée et familiale" ;
2°) d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation au regard des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- elle justifie être titulaire de contrats de travail en cours à la date de la décision en litige de sorte que c'est à bon droit que le tribunal a annulé l'arrêté du préfet de Saône-et-Loire pour erreur de fait ;
- le jugement est insuffisamment motivé au regard du moyen tiré de la méconnaissance du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- compte tenu de sa situation personnelle, elle peut prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur ce fondement ;
- la décision en litige méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par lettre du 11 juin 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen soulevé d'office tiré de l'incompétence du président du tribunal administratif de Dijon pour statuer seul sur la demande de première instance de Mme F... A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme F... A..., ressortissante cubaine née le 5 mars 1994, est entrée en France le 1er novembre 2018 sous couvert de son passeport revêtu d'un visa de court séjour, accompagnée de sa fille mineure, née en 2014. Par un arrêté du 27 mai 2019, le préfet de Saône-et-Loire a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination en cas d'éloignement forcé. Par un jugement du 11 décembre 2019, le président du tribunal administratif de Dijon a annulé cet arrêté préfectoral sauf en ce qu'il refuse à Mme F... A... la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Le préfet de Saône-et-Loire relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, Mme F... A... en demande la réformation en ce qui concerne son droit à un titre de séjour.
Sur la régularité du jugement :
2. Le I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile énumèrent les cas dans lesquels l'autorité administrative peut prononcer une obligation de quitter le territoire français. Selon ces dispositions, le préfet peut prononcer une mesure d'éloignement " (...) 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée sur le territoire sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré ; / 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ; (...)° ".
3. Les dispositions du I, du I bis et du III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile définissent des régimes contentieux distincts selon le fondement de l'obligation de quitter le territoire français et selon que cette dernière a été assortie ou non d'un délai de départ volontaire, hors les cas où l'étranger concerné est par ailleurs placé en rétention administrative ou assigné à résidence. Il résulte du I de l'article L. 512-1 que le jugement des décisions portant refus de délivrance de titre de séjour assorties d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, prise sur le fondement du 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et d'une décision fixant le pays de renvoi, relève devant le tribunal administratif, de la formation collégiale. En revanche, le jugement des décisions portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, prises sur le fondement du 2° du I de l'article L. 511-1 relève, en première instance, du président du tribunal administratif ou du magistrat qu'il désigne à cette fin.
4. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté contesté du 27 mai 2019 a été pris aux visas à la fois des 2° et 3° du I de l'article L. 511-1. Toutefois, l'obligation de quitter le territoire français, assortie d'un délai de départ volontaire, prise dans le même arrêté que la décision refusant à Mme F... A... la délivrance d'un titre de séjour, relève nécessairement des dispositions du 3° du I de l'article L. 511-1. Ainsi, en application du I de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le président du tribunal administratif de Dijon n'était pas compétent pour statuer seul sur la demande de Mme F... A.... Il s'ensuit que le jugement est irrégulier et doit être annulé.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme F... A... devant le tribunal administratif de Dijon.
Sur la légalité de l'arrêté du 27 mai 2019 :
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme F... A... a formé une première demande de titre de séjour en qualité de " salarié " et de "membre de famille d'un ressortissant de l'U.E. ". Ainsi qu'il en résulte des visas de l'arrêté en litige et, contrairement à ce que soutient la requérante, le préfet de Saône-et-Loire a réinterprété sa demande et y a statué au regard des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour temporaire, d'une durée maximale d'un an, autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée à l'étranger : (...) 2° Pour l'exercice d'une activité salariée sous contrat de travail à durée déterminée ou dans les cas prévus aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2 du même code, dans les conditions prévues à l'article L. 5221-2 dudit code. (...) " Selon l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. " L'article L. 313-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la première délivrance d'une carte de séjour temporaire est subordonnée, sauf exception expressément prévue, à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 311-1.
8. Il ressort des énonciations de la décision en litige que le préfet de Saône-et-Loire a refusé de délivrer à Mme F... A... un titre de séjour sur le fondement du 2° de l'article L. 313-10 précité aux motifs, d'une part, que l'intéressée n'a présenté " aucun contrat de travail actuel ou à venir " et, d'autre part, qu'elle ne remplit aucune des conditions de l'article L. 5221-2 du code du travail. Si le préfet a entaché sa décision d'une erreur de fait, dès lors que Mme F... A... bénéficiait à la date de son édiction d'un contrat de travail à durée déterminée à temps partiel en tant qu'agent de service, il aurait pris la même décision en se fondant sur le seul motif tiré de l'absence de visa de long séjour et de contrat de travail visé par l'autorité administrative.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) " Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " Selon l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent des enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur des enfants doit être une considération primordiale. "
10. Mme F... A... fait valoir qu'elle a quitté Cuba, avec sa fille mineure, pour rejoindre en France sa mère, naturalisée française. Elle soutient ne plus avoir aucune attache dans son pays d'origine ni aucun lien avec le père de son enfant et qu'elle s'est efforcée, depuis son arrivée en France, de s'insérer en particulier par le travail et en scolarisant sa fille à l'école maternelle. Toutefois, l'intéressée, entrée en France depuis moins d'un an à la date de la décision attaquée, a vécu jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans dans son pays d'origine, où elle a donné naissance et a élevé son enfant en bas âge. Mme F... A... n'établit pas que la cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer à Cuba ni que sa fille, de nationalité cubaine comme elle, ne pourrait pas y poursuivre sa scolarité. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
11. En dernier lieu, Mme F... A... soutient que le préfet de Saône-et-Loire ne l'a pas mise à même de présenter ses observations avant qu'il ne prenne la décision fixant le pays de destination en cas d'éloignement forcé. Toutefois, et en tout état de cause, aucune disposition législative, ni réglementaire, ni aucun autre principe n'imposait à l'autorité administrative de la mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur la décision fixant le pays de renvoi laquelle a été prise pour satisfaire à une obligation de quitter le territoire français faite à la suite d'un refus de délivrance du titre de séjour que Mme F... A... a elle-même sollicité. Il appartenait à cette dernière, dans le cadre de l'instruction de cette demande, de porter à la connaissance du préfet tout élément utile. Or, l'intéressée ne fait valoir aucun argument et n'apporte aucune pièce qui n'auraient pas déjà été portés à la connaissance du préfet et qui auraient été de nature à faire obstacle à l'intervention de la décision.
12. Il résulte de ce qui précède que Mme F... A... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 27 mai 2019 du préfet de Saône-et-Loire. En conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des frais du litige doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1901775 du 11 décembre 2019 du président du tribunal administratif de Dijon est annulé.
Article 2 : La demande de Mme F... A... présentée devant le tribunal administratif de Dijon ainsi que ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... de la Caridad Gonzalez A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Saône-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 2 juillet 2020, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Vaccaro-Planchet, premier conseiller,
Mme E..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 juillet 2020.
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N° 20LY00351