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09/07/2020 | FRANCE | N°18LY02733

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 09 juillet 2020, 18LY02733


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le préfet de l'Isère a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision révélée de la commune de Grenoble d'instituer une procédure d'interpellation et de "votation citoyenne" ou, à titre subsidiaire, de l'annuler en tant, d'une part, qu'elle impose la mise en oeuvre des décisions ayant recueilli 20 000 votes, et, d'autre part, qu'elle permet de passer outre les décisions relevant de la compétence exclusive du conseil municipal.

Par un jugement n° 1701663 du 24 mai 2018, le trib

unal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

Procédure devant la cour...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le préfet de l'Isère a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision révélée de la commune de Grenoble d'instituer une procédure d'interpellation et de "votation citoyenne" ou, à titre subsidiaire, de l'annuler en tant, d'une part, qu'elle impose la mise en oeuvre des décisions ayant recueilli 20 000 votes, et, d'autre part, qu'elle permet de passer outre les décisions relevant de la compétence exclusive du conseil municipal.

Par un jugement n° 1701663 du 24 mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 19 juillet 2018, la ville de Grenoble, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 24 mai 2018 ;

2°) de rejeter le déféré du préfet de l'Isère.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'une contradiction de motifs ;

- le processus en litige d'interpellation et de votation citoyenne ne présente pas de caractère décisionnel et la décision en litige institue une procédure d'association du public au sens de l'article L. 131-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle n'a pas instauré un droit de pétition et de votation concurrent à celui des articles LO. 1112-1 et L. 1112-15 du code général des collectivités territoriales ;

- le dispositif de participation des habitants à la décision en litige se réfère aux principes généraux fixés par les dispositions de l'article L. 2141-1 du code général des collectivités territoriales.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 octobre 2018, le préfet de l'Isère conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la ville de Grenoble ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme B...,

- et les observations de Me A..., représentant la commune de Grenoble ;

Considérant ce qui suit :

1. La ville de Grenoble a mis en place au mois de mars 2016 une "procédure d'interpellation et de votation citoyenne" en publiant les schémas explicatifs de ce dispositif sur son site internet et en diffusant un dossier de presse. La ville de Grenoble relève appel du jugement du 24 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a, sur déféré du préfet de l'Isère, annulé la décision instituant cette procédure, que ces publications révélaient.

Sur la régularité du jugement :

2. En estimant que le système d'interpellation et de votation citoyenne déféré ne pouvait être mis en place en dehors du cadre constitutionnel et législatif existant, tout en précisant que ce cadre ne fait pas obstacle à ce que les collectivités territoriales mettent en place d'autres formes d'association du public à l'exercice de leurs compétences, dont la consultation, les premiers juges se sont bornés à constater que la procédure en litige ne constituait pas une simple forme d'association du public à la prise de décision. Ainsi, contrairement à ce que soutient la ville de Grenoble, ils n'ont pas entaché le jugement attaqué d'une contradiction de motifs.

Sur la recevabilité du déféré préfectoral :

3. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la publication sur le site internet de la commune de Grenoble de schémas explicatifs de la procédure mise en place, les articles de presse s'y rapportant, la présentation de ce dispositif lors du conseil municipal du 29 février 2016 et la mise au vote de la première pétition citoyenne relative aux tarifs de stationnement révèlent l'existence de la décision par laquelle la commune de Grenoble a institué une procédure d'interpellation et de votation citoyenne.

4. Alors en outre qu'un déféré préfectoral est recevable même contre une simple déclaration d'intention ou une mesure préparatoire, le recours à cette procédure d'interpellation et de votation citoyenne, qui comporte par lui-même des effets juridiques, pouvait faire l'objet d'un déféré, qui pour les raisons ainsi exposées était recevable.

Sur la légalité de la "procédure d'interpellation et de votation citoyenne" :

5. Pour annuler la décision déférée, le tribunal a retenu que la procédure qu'elle instituait, qui peut se poursuivre sans qu'y fasse obstacle le refus du projet par le conseil municipal, ne constitue pas une simple décision d'association du public destinée à éclairer la commune sur l'élaboration d'un projet ou sur une décision en préparation au sens des dispositions de l'article L. 131-1 du code des relations entre le public et l'administration. Le jugement constate également qu'elle avait pour effet de conférer ces droits à diverses catégories de personnes n'ayant pas la qualité d'électeur au sens du code électoral, en méconnaissance des dispositions de l'article 72-1 de la Constitution, et qu'elle excédait les possibilités des électeurs de la commune de s'exprimer par la voie du référendum et d'exercer un droit de pétition en vue de demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de la collectivité l'organisation d'une consultation sur toute affaire relevant de la décision de cette assemblée.

6. Il ressort des pièces du dossier que, dans l'éditorial du dossier de presse qui lui est consacré, le maire de la ville présente la procédure "d'interpellation et de votation citoyenne" comme donnant "la possibilité aux grenoblois d'être à l'initiative de projets, d'intervenir au conseil municipal pour interpeller les élus sur une opinion ou des idées, et de décider directement, par la votation citoyenne, les choix budgétaires pour les réorienter au plus près de leurs besoins". Selon les schémas explicatifs figurant sur le site internet de la commune, l'interpellation citoyenne ouvre la faculté aux habitants de la ville de Grenoble âgés de plus de 16 ans de signer un projet de pétition sur les matières relevant de la compétence du conseil municipal qui, s'il recueille 2 000 signatures, entraîne son inscription à l'ordre du jour du conseil municipal. Dans l'hypothèse où le conseil municipal n'adopte pas ce projet, il est soumis, après l'organisation d'une campagne, au vote des habitants de la ville âgés de plus de 16 ans et si la proposition recueille 20 000 voix, elle sera "mise en oeuvre" dans un délai de deux ans, le maire s'engageant à "suivre le résultat de la votation".

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 131-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsque l'administration décide, en dehors des cas régis par des dispositions législatives ou réglementaires, d'associer le public à la conception d'une réforme ou à l'élaboration d'un projet ou d'un acte, elle rend publiques les modalités de cette procédure, met à disposition des personnes concernées les informations utiles, leur assure un délai raisonnable pour y participer et veille à ce que les résultats ou les suites envisagées soient, au moment approprié, rendus publics. ".

8. Si la commune soutient que la procédure en litige ne s'accompagne d'aucun effet juridique contraignant et permet seulement d'associer le public à ses décisions, en application des dispositions précitées de l'article L. 131-1 du code des relations entre le public et l'administration, il résulte des documents présentant le dispositif, ainsi qu'il a été dit au point 6, que dans l'hypothèse où le conseil municipal n'adopte pas le projet approuvé par la pétition, ce projet est ensuite soumis, après l'organisation d'une campagne, au vote des habitants de la ville âgés de plus de 16 ans et s'il atteint 20 000 voix, doit être mis en oeuvre dans un délai de deux ans, le maire s'engageant à suivre le résultat de la votation. Contrairement à ce que fait valoir la commune, l'engagement du maire à mettre en oeuvre le projet dans les deux ans ne saurait, compte tenu de la description de la procédure dans laquelle il s'insère, être entendu comme étant une simple déclaration d'opportunité dépourvue de toute portée juridique. Dès lors, le public n'est pas seulement consulté mais participe à la prise de décision et en détermine le sens. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la décision déférée ne constituait pas une simple décision d'association du public destinée à éclairer la commune sur l'élaboration d'un projet ou sur une décision en préparation au sens des dispositions de l'article L. 131-1 du code des relations entre le public et l'administration.

9. En second lieu, aux termes de l'article 72 de la Constitution : " Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. ". Aux termes de l'article 72-1 de la Constitution : " La loi fixe les conditions dans lesquelles les électeurs de chaque collectivité territoriale peuvent, par l'exercice du droit de pétition, demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de cette collectivité d'une question relevant de sa compétence. Dans les conditions prévues par la loi organique, les projets de délibération ou d'acte relevant de la compétence d'une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité (...) ".

10. Aux termes de l'article LO. 1112-1 du code général des collectivités territoriales : " L'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale peut soumettre à référendum local tout projet de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de cette collectivité. ". Aux termes de l'article L. 1112-16 du même code : " Dans une commune, un cinquième des électeurs inscrits sur les listes électorales (...) peuvent demander à ce que soit inscrite à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de la collectivité l'organisation d'une consultation sur toute affaire relevant de la décision de cette assemblée (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 2141-1 de ce code : " Le droit des habitants de la commune à être informés des affaires de celle-ci et à être consultés sur les décisions qui les concernent, indissociable de la libre administration des collectivités territoriales, est un principe essentiel de la démocratie locale. (...) ".

11. Les dispositions des articles LO. 1112-1 et L. 1112-16 du code général des collectivités territoriales permettent aux collectivités territoriales de soumettre une question relevant de leur compétence à référendum local ou d'organiser une consultation des électeurs sur un projet de décision, sans avoir ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que les collectivités territoriales puissent associer le public à la conception d'une réforme ou à l'élaboration d'un projet ou d'un acte en procédant à une consultation du public selon des modalités qu'elles fixent. Si les dispositions de l'article L. 2141-1 du même code consacrent le droit des habitants de la commune, et non des seuls électeurs, à être informés des affaires de celle-ci et à être consultés sur les décisions qui les concernent, elles ne sauraient permettre au maire ou au conseil municipal de se dessaisir de leurs compétences au profit de ces mêmes habitants.

12. Ainsi qu'il a été dit précédemment le dispositif procédural en litige instaure la faculté pour les habitants de la ville de Grenoble âgés de plus de 16 ans de signer une pétition et prévoit que le projet est soumis au vote des habitants de la ville âgés de plus de 16 ans et que s'il atteint 20 000 voix, il sera mis en oeuvre dans un délai de deux ans. Dès lors, à supposer que la commune ait entendu définir ce mécanisme en application des dispositions précitées de l'article 72-1 de la Constitution et des articles LO. 1211-1 et L. 1211-16 du code général des collectivités territoriales, cette initiative permet cependant au public, y compris à des habitants de la commune qui n'ont pas la qualité d'électeur, de prendre directement part à la décision et de déterminer son sens. Les dispositions précitées de l'article L. 2141-1 du code général des collectivités territoriales n'autorisent pas davantage l'instauration d'une procédure permettant aux habitants d'une commune de prendre des décisions relevant de la compétence du maire ou du conseil municipal. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la décision déférée méconnaissait les dispositions précitées de l'article 72-1 de la Constitution qui réservent le droit de pétition aux seuls électeurs de la collectivité territoriale ainsi que les conditions dans lesquelles les électeurs de la commune peuvent s'exprimer par la voie du référendum et exercer un droit de pétition en vue de demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de la collectivité l'organisation d'une consultation sur toute affaire relevant de la décision de cette assemblée.

13. Il résulte de ce qui précède que la ville de Grenoble n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé sa décision d'instituer une procédure d'interpellation et de votation citoyenne.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la ville de Grenoble est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Grenoble et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président,

Mme C..., premier conseiller,

Mme Lesieux, premier conseiller.

Lu en audience publique le 9 juillet 2020.

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N° 18LY02733

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY02733
Date de la décision : 09/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Véronique VACCARO-PLANCHET
Rapporteur public ?: Mme GONDOUIN
Avocat(s) : Aude EVIN et Florian BORG,Avocats associés

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-07-09;18ly02733 ?
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