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08/07/2020 | FRANCE | N°18LY04287

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 08 juillet 2020, 18LY04287


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La commune de Montbrun-Les-Bains a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner in solidum les sociétés CD21, Crystal et Hervé Thermique à lui verser la somme de 427 916,55 euros assortie des intérêts légaux au titre des travaux de réparation des désordres affectant l'établissement thermal communal.

Par un jugement n° 1502773 du 1er octobre 2018, le tribunal a, d'une part, partiellement fait droit à sa demande en condamnant in solidum, sur le fondement de la garantie décennale, les

sociétés CD21, Crystal et Hervé Thermique à lui verser la somme de 184 378,60 eur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La commune de Montbrun-Les-Bains a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner in solidum les sociétés CD21, Crystal et Hervé Thermique à lui verser la somme de 427 916,55 euros assortie des intérêts légaux au titre des travaux de réparation des désordres affectant l'établissement thermal communal.

Par un jugement n° 1502773 du 1er octobre 2018, le tribunal a, d'une part, partiellement fait droit à sa demande en condamnant in solidum, sur le fondement de la garantie décennale, les sociétés CD21, Crystal et Hervé Thermique à lui verser la somme de 184 378,60 euros assortie des intérêts légaux à compter du 7 mai 2015 et, d'autre part, condamné les sociétés CD21 et Hervé Thermique à garantir la société Crystal à hauteur respectivement de 60 % et 30 % de cette somme.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 30 novembre 2018, la commune de Montbrun-Les-Bains, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement et de porter la somme mise in solidum à la charge des sociétés CD21, Crystal et Hervé Thermique à 412 341,25 euros TTC assortie des intérêts légaux à compter du 7 mai 2015 au titre des travaux restant à réaliser ;

2°) subsidiairement, d'ordonner un supplément d'expertise sur la nécessité de ces travaux ;

3°) de condamner in solidum les sociétés CD21, Crystal et Hervé Thermique aux dépens et à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des frais du litige.

Elle soutient que :

- pour rejeter sa demande d'indemnisation du coût des travaux restant à réaliser, le tribunal s'est fondé, en méconnaissance du principe du contradictoire, sur un courrier qu'elle avait adressé au président de la juridiction, ni produit par les parties dans le cadre de l'instance dont il était saisi et ni annexé au rapport de l'expert judiciaire ;

- elle n'est pas en mesure d'engager les dépenses nécessaires à la réalisation des travaux nécessaires à la parfaite résolution des désordres.

Par des mémoires enregistrés les 12 février 2019 et 3 avril 2020, la société CD21, représentée par la SCP Regord puis par la Selarl Piras et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la commune de Montbrun-Les-Bains ou de mieux qui le devra au titre des frais du litige et par la voie de l'appel provoqué à ce que sa part de responsabilité soit ramenée à hauteur de 35 %.

Elle fait valoir que :

- le jugement est régulier ;

- sa mission de maîtrise d'oeuvre était limitée aux lots n°s 17, 18 et 21 ;

- l'analyse minérale détaillée de l'eau, indiquant notamment la présence de soufre, avait été jointe en annexe aux CCTP des lots n°s17 et 21 lors de la consultation des entreprises et la société Crystal était pour sa part sachante en tant qu'installateur d'équipements de traitement d'eau ;

- la corrosion qui résulte du type d'eau choisi par le maître d'ouvrage est un facteur inévitable dont elle ne saurait être tenue responsable ;

- les chocs thermiques sont impossibles en raison des multiples bouclages réalisés qui n'étaient pas mentionnés dans les documents d'exécution qu'elle a visés ;

- elle a accompli toutes diligences utiles pour remédier aux difficultés rencontrées dans le cadre du chantier et la levée des réserves ;

- sa part de responsabilité doit donc être ramenée à hauteur de 35 %, comme l'a estimé l'expert judiciaire qui a pris en compte l'importance financière de chacun des lots.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 décembre 2019, la société Eiffage Energie Systèmes-Clevia Est, venant aux droits de la société Crystal, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et des conclusions présentées par la société CD21 et à la condamnation in solidum de la commune de Montbrun-Les-Bains et de la société CD21 à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des frais du litige.

Elle fait valoir que :

- tous les travaux nécessaires à la reprise des désordres préconisés par l'expert ont été réalisés au plus tard en mai 2014, aux frais de la commune, qui n'établit pas que de nouveaux désordres se seraient manifestés ultérieurement ;

- la mission de maîtrise d'oeuvre confiée à la société CD21 portait sur l'ensemble des lots objets des désordres en litige ;

- l'expert judiciaire a retenu une part de responsabilité de cette société à hauteur de 35 % pour les seuls désordres relatifs au traitement préventif de la légionellose mais sa responsabilité exclusive pour la corrosion et les problèmes de ventilation.

Par un mémoire enregistré le 15 avril 2020, la société Hervé Thermique, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et des conclusions présentées par la société CD21 et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la commune de Montbrun-Les-Bains au titre des frais du litige.

Elle fait valoir que :

- le jugement est régulier ;

- la commune ne justifie pas davantage en appel qu'en première instance que les travaux qu'elle a réalisés n'ont pas mis fin aux désordres ;

- le tribunal a jugé à juste titre qu'elle n'avait commis que des fautes d'exécution secondaires dans la survenue des désordres.

Un mémoire enregistré le 9 juin 2020 présenté pour la société Eiffage Energie Systèmes-Clevia Est et un mémoire enregistré le 12 juin 2020 présenté pour la commune de Montbrun-Les-Bains n'ont pas été communiqués.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;

- le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles approuvé par le décret n° 78-1306 du 26 décembre 1978 ;

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de Mme Gondouin, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., pour la commune de Montbrun-Les-Bains et de Me E... pour la société Eiffage Energie Systèmes-Clevia Est ;

Considérant ce qui suit :

1. Pour la réalisation des travaux de réhabilitation et d'extension de l'établissement thermal dont elle est propriétaire, la commune de Montbrun-Les-Bains (Drôme), par un acte d'engagement signé le 1er Juillet 2003, a confié une mission de maîtrise d'oeuvre à un groupement conjoint constitué d'un architecte, M. F..., mandataire du groupement, et d'un bureau d'études techniques, la société CD21. L'exécution des lots n°s 17 et 21 " traitement de l'eau " et " eau thermale " a été attribuée à la société Hervé Thermique et celle du lot n° 18 " plomberie-chauffage-ventilation " à la société Crystal. La réception des travaux de ces lots a été prononcée le 5 octobre 2006 avec des réserves, toutes levées le 6 avril 2007. De multiples désordres affectant les ouvrages et installations relevant de ces trois lots ont été constatés par huissier de justice le 27 janvier 2009. Un expert judiciaire a été désigné à la demande de la commune par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 25 mai 2010. L'expert a déposé son rapport en l'état le 22 août 2014. Par un jugement du 1er octobre 2018, le tribunal a, d'une part, partiellement fait droit à la demande de la commune de Montbrun-Les-Bains en condamnant in solidum, sur le fondement de la responsabilité décennale, les sociétés CD21, Crystal et Hervé Thermique à lui verser la somme de 184 378,60 euros assortie des intérêts légaux à compter du 7 mai 2015 et, d'autre part, condamné les sociétés CD21 et Hervé Thermique à garantir la société Crystal à hauteur respectivement de 60 % et 30 % de cette somme. La commune de Montbrun-Les-Bains relève appel de ce jugement en tant qu'il a limité son indemnisation. La société CD21 demande que sa part de responsabilité soit ramenée à hauteur de 35 %.

Sur l'appel principal de la commune de Montbrun-Les-Bains :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

2. Les premiers juges ont rejeté les conclusions de la commune de Montbrun-Les-Bains tendant à la condamnation des constructeurs à lui verser la somme de 227 965,15 euros au motif qu'il résultait de l'instruction, et notamment de son courrier du 27 mai 2014 qu'elle avait adressé au président de la juridiction, avec copie aux autres parties, pour qu'il enjoigne à l'expert judiciaire de déposer son rapport en l'état, que tous les travaux permettant de mettre fin aux désordres avaient été exécutés au plus tard en mai 2014. L'expert judiciaire a ainsi noté dans son rapport que le maître d'ouvrage avait fait procéder aux réparations nécessaires pour pouvoir exploiter son équipement. Le tribunal qui ne s'est donc pas fondé exclusivement sur ce courrier du 27 mai 2014, n'a pas porté atteinte au caractère contradictoire de la procédure, alors même que ce courrier n'a pas été à nouveau communiqué aux parties dans le cadre de l'instance au fond.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

3. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables. Par ailleurs, un constructeur dont la responsabilité est recherchée par un maître d'ouvrage n'est fondé à demander à être garanti par un autre constructeur que si et dans la mesure où les condamnations qu'il supporte correspondent à un dommage imputable à ce constructeur.

4. Il résulte de l'instruction que les thermes rénovés et agrandis étaient affectés de désordres en lien avec l'exécution des lots " traitement de l'eau ", " eau thermale " et " plomberie-chauffage-ventilation ", se manifestant par des problèmes récurrents de ventilation et de régulation de température, un vieillissement prématuré de la pompe à chaleur et des autres installations techniques et une corrosion anormale de la plomberie, et par l'impossibilité de désinfecter les canalisations par choc thermique. Ces désordres, qui n'étaient pas apparents à la date de levée des réserves, rendent l'ouvrage impropre à sa destination. Il n'est pas contesté qu'ils sont imputables, comme l'a jugé le tribunal, à la société CD21, intervenue en qualité de bureau d'études techniques au titre du traitement de l'eau, de l'eau thermale, de la plomberie, du chauffage et de la ventilation, à la société Hervé Thermique, qui a réalisé le réseau d'eau thermale et avait en charge le lot relatif au traitement de l'eau, et à la société Crystal, à laquelle avait été confié le lot relatif au chauffage, à la ventilation et à la plomberie. C'est dès lors à juste titre que ces entreprises ont été condamnées in solidum à réparer les désordres affectant l'extension et la réhabilitation des thermes.

5. Ainsi qu'il a été dit au point 2, les premiers juges ont relevé qu'il résultait de l'instruction que les travaux permettant de faire cesser les désordres avaient été exécutés au plus tard au mois de mai 2014 et que les désordres ne s'étaient pas de nouveaux manifestés par la suite. Ils en ont déduit que les travaux portant sur les tuyauteries des eaux sanitaire et thermale et du centre de cure " rhumatologie ", objet des devis de la société CHEM Industrie, étaient sans lien avec les désordres en cause et ont rejeté en conséquence les conclusions de la commune de Montbrun-Les-Bains tendant au paiement de la somme globale de 227 962,15 euros. L'appelante se borne à évoquer des travaux nécessaires à la parfaite résolution des désordres visés dans le rapport d'expertise, alors pourtant qu'il y est mentionné que le maître d'ouvrage a fait procéder aux réparations nécessaires pour pouvoir exploiter son équipement. Elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a limité son indemnisation à la somme de 184 378,60 euros. Ses conclusions d'appel principal doivent dès lors être rejetées, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise complémentaire.

Sur les conclusions de la société CD21 :

6. Les conclusions de la société CD21 tendant à ce que sa part de responsabilité soit ramenée à hauteur de 35 %, qui ont été présentées après l'expiration du délai d'appel et qui ne sont pas dirigées contre l'appelante, ne peuvent que relever de l'appel provoqué. Toutefois, et en tout état de cause, le présent arrêt, qui rejette les conclusions d'appel principal de la commune de Montbrun-Les-Bains, n'aggrave pas la situation de la société CD21. Ses conclusions d'appel ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais du litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge des parties les frais qu'elles ont exposés au titre du litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Montbrun-Les-Bains et les conclusions présentées en appel par les sociétés Eiffage Energie Systèmes - Clevia Est, CD 21 et Hervé Thermique sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Montbrun-Les-Bains et aux sociétés Eiffage Energie Systèmes - Clevia Est, CD 21 et Hervé Thermique.

Délibéré après l'audience du 18 juin 2020, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président,

Mme D..., président assesseur,

Mme Vaccaro-Planchet, premier conseiller.

Lu en audience publique le 8 juillet 2020.

2

N° 18LY04287


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage - Responsabilité décennale.

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage - Réparation - Préjudice indemnisable.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Céline MICHEL
Rapporteur public ?: Mme GONDOUIN
Avocat(s) : SELARL RETEX AVOCATS

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Date de la décision : 08/07/2020
Date de l'import : 28/07/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18LY04287
Numéro NOR : CETATEXT000042114668 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-07-08;18ly04287 ?
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