Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal des pensions militaires de Dijon d'annuler la décision du 24 octobre 2017, par laquelle la ministre des armées a refusé de faire droit à sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de ses acouphènes et infirmité nouvelle.
Par un jugement n° 19/00002 du 12 juin 2019, le tribunal des pensions militaires a annulé la décision du 24 octobre 2017, a déclaré ses hypoacousies imputables à l'accident de service survenu le 19 septembre 1972 et a fait droit à sa demande de révision pour aggravation de sa pension.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 9 août 2019 à la cour d'appel de Dijon, et un mémoire, enregistré le 8 janvier 2020, la ministre des armées demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal des pensions du 12 juin 2019 ;
2°) de confirmer la décision du 24 octobre 2017 et dire que la baisse auditive dont fait état M. A... à l'appui de sa demande de révision n'est pas imputable au service et n'a pas aggravé l'infirmité au titre de laquelle lui a été accordée antérieurement une pension d'invalidité ;
Elle soutient que :
- en se fondant uniquement sur le constat d'une discrète hypoacousie de perception bilatérale en 1972 pour en tirer que la presbyacousie révélée en 2017 est imputable au blast auriculaire survenu en 1972, le tribunal a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'hypoacousie dont fait état le requérant pour demander la révision de sa pension ne constitue pas une aggravation de l'infirmité reconnue en 2013 mais une presbyacousie indépendante liée à l'âge ;
- les premiers juges ont dénaturé les conclusions de l'expertise médicale qui établit que la presbyacousie trouve son origine dans l'âge de l'intéressé ;
- le tribunal a entaché d'une erreur son calcul du décompte des taux d'invalidité s'agissant des difficultés de perception auditive.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 décembre 2019, M. B... A..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le vieillissement étant venu aggraver l'infirmité pensionnée n'est pas une cause étrangère à l'événement ayant causé cette dernière et par suite l'aggravation qui en résulte justifie la révision de sa pension ;
- quoique l'hypoacousie survenue en 1972 n'ait pas été prise en charge initialement, elle s'est aggravée pour atteindre un niveau justifiant un taux d'infirmité indemnisable ;
- le rapport de l'expertise du Dr Romanet est contredit par les pièces du dossier et les éléments médicaux qu'il produit ;
- en prenant pour référence la situation constatée en 1972, le tribunal n'a commis aucune erreur de droit.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 décembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Josserand-Jaillet, président,
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1 Engagé dans l'armée française le 1er juin 1972, M. B... A... a été rayé des contrôles le 3 juin 2004 avec le grade d'adjudant-chef. Par un arrêté du 8 avril 2013, le ministre de la défense lui a accordé une pension militaire d'invalidité au taux de 90 % au titre d'infirmités résultant d'un accident survenu le 19 septembre 1972 et notamment de séquelles auditives d'un grave traumatisme sonore. Faisant valoir une aggravation desdites séquelles, particulièrement une hypoacousie bilatérale, M. A... a demandé le 25 avril 2016 la révision de sa pension. Par une décision du 24 octobre 2017, la ministre des armées a rejeté cette demande, aux motifs que l'aggravation des acouphènes n'était pas établie par l'expertise réglementaire préalable, et que l'hypoacousie, dont le taux n'atteignait en tout état de cause pas le seuil indemnisable, n'était pas en lien avec l'accident du 19 septembre 1972. Après une expertise ordonnée par un jugement avant-dire-droit du 11 septembre 2018, dont le rapport a été rendu le 28 novembre 2018, le tribunal des pensions militaires de Dijon a annulé, par un jugement du 12 juin 2019, la décision du 24 octobre 2017 et fait droit à la demande de M. A.... La ministre des armées relève appel de ce jugement.
2 Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable au litige : " Ouvrent droit à pension : (...) / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; (...) sauf faute de la victime détachable du service. ". Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Lorsque la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes mentionnées à l'article L. 121-1 ne peut être apportée, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : (...) Dans tous les cas, la filiation médicale doit être établie entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. ". L'article L. 154-1 dudit code précise que : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. Cette demande est recevable sans condition de délai. La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. La pension définitive révisée est concédée à titre définitif. " Il résulte de ces dispositions que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. Ainsi, l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de la pension. En revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, les dispositions précitées de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre font obstacle à cette révision, dès lors que l'aggravation est due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée.
3 M. A... est titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive concédée le 8 avril 2013 pour quatre infirmités acquises à la suite d'une blessure reçue en service le 19 septembre 1972. Cette dernière, dans sa dimension auriculaire, lui avait provoqué, selon le certificat médical du 18 octobre 1972, une atteinte auditive prédominante sur l'oreille droite avec une surdité mixte et une surdité d'oreille interne à gauche sur les aigus. Il ressort d'un audiogramme réalisé le 13 octobre 1972 au centre hospitalier d'Orléans que M. A..., dont l'état s'était amélioré par comparaison avec un examen précédemment effectué le 30 septembre de la même année, restait affecté d'une perte d'audition évaluée à 25 décibels (dB) pour l'oreille droite et 16,25 dB pour l'oreille gauche, qui a conduit à lui attribuer un taux d'infirmité de 20 % pour les séquelles auditives, au titre d'acouphènes très importants, après la consolidation de ses séquelles. A l'appui de sa demande de révision de sa pension présentée le 25 avril 2016, date à laquelle doit s'apprécier la situation de l'intéressé en vertu de l'article L. 151-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, M. A... fait valoir l'aggravation des acouphènes et, d'une part, une hypoacousie bilatérale, d'autre part, une hypoacousie de perception bilatérale qu'il rattache à ces acouphènes, ainsi aggravés par cette nouvelle infirmité.
4 Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise effectuée par le Pr Romanet le 8 novembre 2018 en exécution du jugement avant-dire-droit du 11 septembre 2018 du tribunal des pensions comme d'une expertise menée par le Dr Bennarouch, médecin agréé de l'administration, le 31 janvier 2017, que les acouphènes n'avaient pas évolué, mais, nonobstant le constat de valeurs mesurées un peu différentes, que M. A... souffre de pertes auditives prépondérantes à droite supérieures à celles relevées le 13 octobre 1972. Il est ainsi établi que les capacités auditives de M. A..., en-dehors des acouphènes, se sont détériorées entre la date à laquelle lui a été attribuée la pension d'invalidité et sa demande de révision.
5 Toutefois, ainsi que le relèvent l'ensemble des examens médicaux auxquels s'est soumis M. A..., les hypoacousies ne procèdent pas dans leur étiologie des acouphènes, unique infirmité auditive retenue par la décision du 8 avril 2013 d'attribution de la pension. Ceux-ci n'ayant pas évolué ainsi qu'il a été dit au point précédent, c'est dès lors par une erreur de droit que, pour reconnaître à ce titre une aggravation de cette infirmité, les premiers juges ont considéré, par le jugement attaqué, que ces hypoacousies s'associaient aux acouphènes et par voie de conséquence trouvaient par la voie de cette association un lien avec les blessures reçues le 19 septembre 1972. Par suite, la ministre des armées n'a pas entaché, sur ce point, la décision en litige du 24 octobre 2017 d'une erreur d'appréciation en rejetant la demande de M. A... aux motifs que les acouphènes ne s'étaient pas aggravés et que l'hypoacousie bilatérale n'est pas imputable à l'accident initial.
6 Enfin, sans qu'il puisse être déduit de l'atteinte prédominante de l'oreille droite constatée en 1972 que le déséquilibre dans l'hypoacousie mesurée par les expertises établirait un lien de causalité entre cette dernière infirmité et l'accident, les premiers juges ne pouvaient, sans commettre d'erreur de droit, se fonder sur le bilan médical provisoire dressé par le certificat du 18 octobre 1972 préalable à la suite des soins avant la consolidation de l'état de l'intéressé pour en tirer que l'hypoacousie de perception, qui n'avait pas été retenue parmi les infirmités ouvrant droit à la pension, préexistait à compter de l'accident et s'était aggravée. La ministre est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont écarté les conclusions de l'expertise du 8 novembre 2018 attribuant explicitement l'étiologie de cette presbyacousie à l'âge de l'intéressé. M. A... n'est par suite pas fondé à invoquer l'aggravation, du fait du vieillissement physiologique de ses capacités auditives, d'une infirmité, distincte des acouphènes, survenue dans les suites de la blessure qu'il a reçu le 19 septembre 1972 et, par ce motif, à demander l'annulation de la décision en litige.
7 Il résulte de tout ce qui précède que la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de Dijon a annulé la décision du 24 octobre 2017. Par suite, le jugement du 12 juin 2019 doit être annulé et les conclusions de M. A... rejetées, dont celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 19/0002 du 12 juin 2019 du tribunal des pensions militaires de Dijon est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. A... sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de M. A... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 5 juin 2020 à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 juillet 2020.
N° 19LY04027
lc