La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/06/2020 | FRANCE | N°18LY04695

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre, 30 juin 2020, 18LY04695


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Douvaine à lui verser la somme de 63 002 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi à l'occasion de la vente de la parcelle cadastrée section D n° 3148, outre la somme de 1 585 euros au titre de frais de bornage et de division.

Par un jugement n° 1507599 du 25 octobre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune de Douvaine à lui payer la somme de 63 000 euros.

Procéd

ure devant la cour

Par une requête enregistrée le 24 décembre 2018, et un mémoire en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Douvaine à lui verser la somme de 63 002 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi à l'occasion de la vente de la parcelle cadastrée section D n° 3148, outre la somme de 1 585 euros au titre de frais de bornage et de division.

Par un jugement n° 1507599 du 25 octobre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune de Douvaine à lui payer la somme de 63 000 euros.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 24 décembre 2018, et un mémoire en réplique enregistré le 2 mars 2020, qui n'a pas été communiqué, la commune de Douvaine, représentée par la SELAS Agis, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 25 octobre 2018 ;

2°) de rejeter les conclusions de la demande de Mme C... ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- Mme C... était informée dès 2008 de ce que l'emplacement réservé grevant son terrain d'assiette n'avait pas été levé, de sorte que le fait générateur de son préjudice peut être fixé à cette date ; le délai de prescription quadriennale a dès lors commencé à courir le 1er janvier 2009, et, n'ayant pas été interrompu, a expiré le 31 décembre 2012 ; la demande indemnitaire de Mme C... était par suite prescrite ;

- Mme C..., qui ne démontre pas qu'elle lui aurait sciemment dissimulé la caducité de l'emplacement réservé n° 21, ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 ;

- les conclusions de la demande tendant à la réparation du préjudice né de la faute qu'elle aurait commise, en lui dissimulant la caducité de l'emplacement réservé, ont été présentées après l'expiration des délais de recours et étaient par suite irrecevables ;

- elle n'a commis aucune faute en ne supprimant pas l'emplacement réservé, alors que celui-ci a été maintenu par la délibération du 26 février 2010 approuvant le nouveau PLU ;

- elle n'a commis aucune faute en ne retenant pas le prix de vente proposé par France Domaines dans son avis ;

- l'existence de pressions pour que Mme C... vende son bien n'est pas établie ;

- il n'est pas établi qu'elle a acquis le bien à une valeur inférieure à sa valeur vénale ;

- elle n'a pas à indemniser les frais de bornage et de division, qui sont à la charge du vendeur.

Par un mémoire enregistré le 6 mai 2019, Mme B... C..., représentée par la SCP Mermet et Associés, conclut au rejet de la requête, à ce que la commune de Douvaine lui verse la somme de 1 585 euros en remboursement des frais afférents à la vente, et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la commune de Douvaine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a été informée de la suppression de l'emplacement réservé n° 21 que par courriers des 3 mars et 8 avril 2015, de sorte qu'aucune prescription ne peut lui être opposée ;

- la commune ne pouvait maintenir dans le PLU adopté en 2010 l'emplacement réservé devenu inopposable ;

- la commune, en lui délivrant de fausses informations pendant plusieurs années, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- la commune a commis des fautes en exerçant des pressions et des manoeuvres dolosives pour qu'elle vende ce terrain ;

- elle a été contrainte à vendre le terrain à un prix inférieur à sa valeur vénale et a subi de ce fait un préjudice de 63 000 euros ;

- la commune s'étant engagée à payer les frais de bornage et de division, ces sommes constituent pour elle un préjudice indemnisable.

La clôture de l'instruction a été fixée au 2 mars 2020, par une ordonnance du 30 janvier 2020.

Par lettre en date du 19 mai 2020, les parties ont été informées, en application de l'article L. 611-7 du code de justice administrative, de ce qu'était susceptible d'être soulevé d'office le moyen tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur les conclusions du préjudice subi par l'intimée en raison des manoeuvres qu'aurait exercées la commune lors de la conclusion du contrat de vente, qui est un contrat de droit privé.

Par un mémoire enregistré le 25 mai 2020, qui n'a pas été communiqué, Mme C... a présenté ses observations en réponse au moyen d'ordre public.

Par un mémoire enregistré le 2 juin 2020, qui n'a pas été communiqué, la commune de Douvaine a présenté ses observations en réponse au moyen d'ordre public.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- la loi du 31 décembre 1968 sur la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thierry Besse, président-assesseur,

- les conclusions de M. Jean-Simon Laval, rapporteur public,

- les observations de Me A... représentant la commune de Douvaine ;

Considérant ce qui suit :

1. Par acte du 21 octobre 2011, Mme C... et son frère ont vendu à la commune de Douvaine la parcelle cadastrée D 3148, pour un prix de 160 550 euros. Estimant avoir vendu la parcelle à un prix inférieur à sa valeur vénale, Mme C... a demandé à la commune de l'indemniser du préjudice qu'elle a subi en raison de fautes de la commune. Par jugement du 25 octobre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune de Douvaine à verser à Mme C... la somme de 63 000 euros. La commune de Douvaine relève appel de ce jugement, en tant qu'il a partiellement fait droit à sa demande. Par la voie de l'appel incident, Mme C... demande la condamnation de la commune à l'indemniser également des frais de bornage et de division qu'elle a payés.

Sur la responsabilité de la commune en raison de l'absence de suppression, en 2002, de l'emplacement réservé n° 21 :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 susvisée : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. ". L'article 3 de la même loi dispose : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que la parcelle cadastrée 606, dont est issue la parcelle litigieuse, était grevée d'un emplacement réservé n° 21 dans le plan d'occupation des sols de la commune de Douvaine antérieur à 2010. Saisi d'une demande d'acquisition de la parcelle par les propriétaires du terrain, qui entendaient faire jouer le droit de délaissement qu'ils tenaient de l'article L. 123-17 du code de l'urbanisme, le conseil municipal a décidé par délibération du 19 décembre 2002 de renoncer à l'acquisition et de lever l'emplacement réservé. Toutefois, cette délibération n'a été suivie d'aucune suppression de l'emplacement réservé sur les documents graphiques du plan. En octobre 2008, le maire de Douvaine a délivré un certificat d'urbanisme faisant mention de l'existence sur cette parcelle d'un emplacement réservé. Par décision du 21 septembre 2009, le maire de Douvaine s'est également opposé à la déclaration préalable de travaux présentée par les propriétaires indivisaires de la parcelle, en vue de la division du terrain pour la réalisation d'un lotissement, au motif que le terrain était grevé d'un emplacement réservé. Par délibération du 26 février 2010, le conseil municipal de Douvaine a adopté un nouveau plan local d'urbanisme, en identifiant sur la parcelle en litige un emplacement réservé en vue de l'extension du cimetière.

4. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'ainsi que le soutient Mme C..., la commune de Douvaine a commis une faute, d'une part en ne tirant pas les conséquences sur les documents graphiques du PLU de la levée de l'emplacement réservé n° 21, en 2002, d'autre part en délivrant un certificat d'urbanisme faisant état, de manière erronée, du maintien de cet emplacement réservé puis en s'opposant illégalement, l'année suivante, à la déclaration préalable de travaux présentée par l'intimée. En revanche, la circonstance que la commune de Douvaine ait levé en 2002 l'emplacement réservé ne faisait pas obstacle à ce que le conseil municipal décidât, dans le PLU adopté en février 2010, d'instituer à nouveau un emplacement réservé sur cette parcelle, en vue de réaliser une extension du cimetière. Mme C... ne précise pas pour quel motif cette délibération, qui n'a pas été contestée, serait, sur ce point, entachée d'illégalité. Dans ces conditions, elle ne peut rechercher la responsabilité de la commune de Douvaine qu'en raison d'une part de son inaction dans la transposition de la délibération du 19 décembre 2002, d'autre part de l'illégalité fautive du certificat d'urbanisme délivré en 2008 et de la décision d'opposition à déclaration préalable de travaux en 2009, ainsi que du caractère erroné des informations qui lui ont alors été fournies.

5. La créance dont peut se prévaloir Mme C..., du fait de l'impossibilité de vendre son terrain à des tiers en raison de fautes de la commune en 2002, 2008 et 2009, ainsi qu'il a été dit au point précédent, était prescrite à la date du 17 août 2015 à laquelle elle a saisi la commune de Douvaine d'une demande indemnitaire préalable, sous réserve le cas échéant de l'application des dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 citées au point 2. Mme C... soutient qu'elle a été dans l'ignorance de la levée de l'emplacement réservé n° 21, entre 2002 et 2010, jusqu'en mars 2015, date à laquelle le maire de Douvaine a transmis à l'intéressée la délibération du 19 décembre 2002. Il ressort toutefois des mentions de cette délibération que la commune avait alors été saisie d'une demande tendant à l'exercice du droit de délaissement par les " consorts E... ", héritiers de Mme H... E..., décédée en février 2002. L'intimée, qui faisait partie des héritiers, ne peut légitimement être regardée comme ayant ignoré le caractère éventuellement erroné des décisions prises par la suite par la commune, en 2008 et 2009. Dans ces conditions, la créance dont se prévaut Mme C... était prescrite à la date à laquelle elle a saisi la commune de Douvaine d'une demande indemnitaire. Par suite, la commune est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamnée à indemniser l'intéressée en raison des conséquences fautives de l'absence de suppression sur le plan de zonage de l'emplacement réservé n° 21.

Sur la responsabilité de la commune en raison de manoeuvres lors de la vente du terrain :

6. Il ressort des pièces du dossier que le contrat par lequel les consorts C... ont cédé à la commune de Douvaine la parcelle cadastrée D 3148 ne comporte aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs, et n'a pas été conclu pour l'exécution même d'un service public dont cette collectivité serait chargée. Le litige opposant les parties à ce contrat, de droit privé, et portant sur les conditions dans lesquelles les vendeurs auraient été conduits à accepter un prix désavantageux en raison des agissements de la personne publique, ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative. Par suite, les conclusions de la demande tendant à la condamnation de la commune de Douvaine à l'indemniser du préjudice résultant des manoeuvres de la commune lors de la conclusion du contrat doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, de même que celles tendant à la prise en charge des frais de bornage et de division, que la commune se serait alors engagée à prendre en charge.

7. Il résulte de ce qui précède que la commune de Douvaine est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble l'a condamnée à indemniser Mme C... des préjudices qu'elle aurait subis.

Sur les frais d'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Douvaine, qui n'est pas partie perdante, verse à Mme C... la somme qu'elle demande au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions que présente la commune de Douvaine au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 25 octobre 2018 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la demande de Mme C... et le surplus des conclusions des parties en appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Douvaine et à Mme B... C....

Délibéré après l'audience du 9 juin 2020 à laquelle siégeaient :

Mme G... I..., présidente de chambre,

M. Thierry Besse, président-assesseur,

Mme F... D..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 30 juin 2020.

2

N° 18LY04695

md


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18LY04695
Date de la décision : 30/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

68-01 Urbanisme et aménagement du territoire. Plans d'aménagement et d'urbanisme.


Composition du Tribunal
Président : Mme MARGINEAN-FAURE
Rapporteur ?: M. Thierry BESSE
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : MERMET etASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-06-30;18ly04695 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award