La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/04/2020 | FRANCE | N°18LY04595

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 02 avril 2020, 18LY04595


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 5 avril 2016 du préfet de la Loire refusant de renouveler son passeport français et celle du 11 avril 2016 du préfet du Rhône lui retirant son passeport français et sa carte nationale d'identité.

Par des jugements n°s 1605511 et 1606505 du 11 septembre 2018, le tribunal a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour

I. Par une requête enregistrée le 18 décembre 2018 sous le n° 1804595, Mme C... A...

, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1606505 et la déci...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 5 avril 2016 du préfet de la Loire refusant de renouveler son passeport français et celle du 11 avril 2016 du préfet du Rhône lui retirant son passeport français et sa carte nationale d'identité.

Par des jugements n°s 1605511 et 1606505 du 11 septembre 2018, le tribunal a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour

I. Par une requête enregistrée le 18 décembre 2018 sous le n° 1804595, Mme C... A..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1606505 et la décision du 5 avril 2016 du préfet de la Loire refusant de renouveler son passeport ;

2°) d'enjoindre au préfet de la Loire de renouveler son passeport ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la fraude n'est pas établie ;

- en conséquence, elle est fondée à soutenir que la décision contestée, dépourvue de base légale, n'est pas motivée en droit ;

- elle porte atteinte à sa liberté d'aller et de venir et au droit au respect de sa vie privée garanti par les articles 6, 8 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 9 du code civil ;

- le préfet s'est cru à tort en situation de compétence liée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 février 2020, le ministre de l'intérieur, qui s'en rapporte au mémoire produit par le préfet de la Loire en première instance, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est irrecevable ou à tout le moins inopérant ;

- les autres moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Par une décision du 21 novembre 2018, Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

II. Par une requête enregistrée le 18 décembre 2018 sous le n° 18LY04596 Mme C... A..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1605511 et la décision du 11 avril 2016 du préfet du Rhône lui retirant son passeport et sa carte nationale d'identité ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la fraude n'est pas établie ;

- en conséquence elle est fondée à soutenir que la décision contestée, dépourvue de base légale, n'est pas motivée en droit ;

- elle porte atteinte à sa liberté d'aller et de venir et à son droit au respect de sa vie privée garanti par les articles 6, 8 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 9 du code civil ;

- le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 février 2020, le ministre de l'intérieur, qui s'en rapporte aux écritures produites par le préfet du Rhône en première instance, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué est inopérant ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est irrecevable ou à tout le moins inopérant ;

- les autres moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Par une décision du 21 novembre 2018, Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les observations de Me D... pour Mme A... ;

1. Il y a lieu de joindre, pour y statuer par un même arrêt, les requêtes n°s 18LY04595 et 18LY04596 qui concernent la même personne, présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune.

2. Mme A... relève appel des jugements du 11 septembre 2018 par lesquels le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision du 5 avril 2016 du préfet de la Loire refusant de renouveler son passeport français et de celle du 11 avril 2016 du préfet du Rhône lui retirant son passeport français et sa carte nationale d'identité.

Sur la recevabilité des demandes de première instance :

3. Aux termes de l'article 38 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Lorsqu'une action en justice doit être intentée avant l'expiration d'un délai devant la juridiction du premier degré, (...) l'action est réputée avoir été intentée dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice est introduite dans un nouveau délai de même durée à compter : / a) De la notification de la décision d'admission provisoire ; / b) De la notification de la décision constatant la caducité de la demande ; / c) De la date à laquelle la décision d'admission ou de rejet de la demande est devenue définitive ; / d) Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné ". En vertu des articles 23 de la loi du 10 juillet 1991 et 56 du décret du 19 décembre 1991, le ministère public ou le bâtonnier peuvent former un recours contre une décision du bureau d'aide juridictionnelle dans un délai " de deux mois à compter du jour de la décision ".

4. D'une part, par une décision du 29 avril 2016, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Lyon a accordé à Mme A... l'aide juridictionnelle en vue de former un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Lyon contre la décision implicite par laquelle le préfet de la Loire a refusé de renouveler son passeport français. La décision explicite du 5 avril 2016 du préfet qui a fait suite à une demande de communication des motifs de la décision implicite s'étant substituée à la précédente, les conclusions dirigées contre la décision expresse se rattachent à la même instance que celle pour laquelle l'admission à l'aide juridictionnelle avait été prononcée. Mme A... pouvait ainsi valablement saisir le tribunal administratif de Lyon jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter du 29 avril 2016, qui n'était donc pas expiré le 29 août, date d'introduction de sa requête devant le tribunal.

5. D'autre part, par une décision du 10 juin 2016, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Lyon a accordé à Mme A... l'aide juridictionnelle pour former un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Lyon contre la décision du 11 avril 2016 du préfet du Rhône lui retirant son passeport français et sa carte nationale d'identité. Sa requête ayant été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Lyon le 22 juillet 2016, le préfet du Rhône n'était pas davantage fondé à soutenir que Mme A... était à cette date forclose.

Sur le bien-fondé des jugements :

6. Aux termes de l'article 2 du décret du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout Français qui en fait la demande. / Elle est délivrée ou renouvelée par le préfet ou le sous-préfet (...) ". Aux termes de l'article 4 du décret du 30 décembre 2005 relatif aux passeports : " Le passeport est délivré, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande (...) ". Aux termes de l'article 5-1 de ce décret : " En cas de demande de renouvellement, le passeport est délivré sur production par le demandeur : 1° De son passeport (...) valide ou périmé depuis moins de cinq ans à la date de la demande du renouvellement ; en pareil cas, sans préjudice, le cas échéant, de la vérification des informations produites à l'appui de la demande de cet ancien titre, le demandeur est dispensé d'avoir à justifier de son état civil et de sa nationalité française ". Et aux termes de son article 9 : " Le passeport est délivré ou renouvelé par le préfet ou le sous-préfet (...) ".

7. Pour l'application de ces dispositions, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement de passeport.

8. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".

9. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la décision du 5 avril 2016 du préfet de la Loire refusant à Mme A... le renouvellement de son passeport français fait suite aux doutes sur son identité, nés de sa revendication par deux personnes distinctes et l'attestation rédigée par un agent assermenté de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis dans le cadre d'une enquête pour fraude aux prestations sociales, relative à une fraude à l'état civil imputée à celui que Mme A... présente comme son père. Si le préfet a adressé un signalement au procureur de la République, il n'était pas tenu de refuser à Mme A... le renouvellement de son passeport. Le refus de renouvellement de passeport, qui restreint l'exercice de la liberté d'aller et venir, est au nombre des décisions administratives individuelles défavorables qui doivent être motivées au sens de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, Mme A... peut utilement soulever le moyen, fondé, tiré de ce que la décision du 5 avril 2016 ne comporte aucun élément de motivation en droit. Dès lors, cette décision est, pour ce motif, entachée d'illégalité et doit être annulée.

10. D'autre part, le préfet du Rhône, qui devait porter une appréciation sur l'existence d'une fraude et les conséquences à en tirer, ne se trouvait pas en situation de compétence liée dans l'attente de l'issue du signalement au procureur de la République pour demander à Mme A... de restituer son passeport français et sa carte nationale d'identité. Le retrait d'un passeport et d'une carte nationale d'identité sont au nombre des décisions administratives individuelles défavorables devant être motivées au sens de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. En s'abstenant de motiver en droit la décision du 11 avril 2016, le préfet du Rhône a entaché celle-ci d'illégalité. Elle doit donc être annulée.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes et à demander leur annulation.

12. L'exécution du présent arrêt implique seulement d'enjoindre, d'une part, au préfet du Rhône de restituer à Mme A... son passeport et sa carte nationale d'identité et, d'autre part, au préfet de la Loire de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.

13. Mme A... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me D..., avocat de Mme A..., sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

DÉCIDE :

Article 1er : Les jugements n°s 1605511 et 1606505 du tribunal administratif de Lyon du 11 septembre 2018 sont annulés.

Article 2 : Les décisions des 5 et 11 avril 2016 des préfets de la Loire et du Rhône sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Rhône de restituer à Mme A... son passeport français et sa carte nationale d'identité et au préfet de la Loire de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me D... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée aux préfets de la Loire et du Rhône.

Délibéré après l'audience du 27 février 2020, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président,

Mme B..., président assesseur,

Mme Lesieux, premier conseiller.

Lu en audience publique le 2 avril 2020.

2

N°s 18LY04595, 18LY04596


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY04595
Date de la décision : 02/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Validité des actes administratifs - Forme et procédure - Questions générales - Motivation - Motivation obligatoire.

Droits civils et individuels - État des personnes - Questions diverses relatives à l`état des personnes.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Céline MICHEL
Rapporteur public ?: Mme GONDOUIN
Avocat(s) : SCP COUDERC - ZOUINE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-04-02;18ly04595 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award