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12/03/2020 | FRANCE | N°19LY01813

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 12 mars 2020, 19LY01813


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 19 septembre 2018 par lesquelles le préfet de la Drôme lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a désigné un pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire pendant trois ans.

Par un jugement n° 1901766 du 2 mai 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions.

Procédure devant la cour

Par une

requête, enregistrée le 14 mai 2019, le préfet de la Drôme demande à la cour :

1°) d'annuler c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 19 septembre 2018 par lesquelles le préfet de la Drôme lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a désigné un pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire pendant trois ans.

Par un jugement n° 1901766 du 2 mai 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 14 mai 2019, le préfet de la Drôme demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 2 mai 2019 ;

2°) de rejeter les conclusions de M. A... devant le tribunal administratif à fin d'annulation des décisions susmentionnées du 19 septembre 2018.

Il soutient que :

- la décision d'irrecevabilité de la demande de réexamen de la première demande d'asile de M. A... a été notifiée à celui-ci le 14 novembre 2018, antérieurement aux décisions en litige notifiées le 13 mars 2019 ;

- aucun des moyens invoqués par M. A... devant le tribunal administratif n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 18 juillet 2019, M. A..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire à l'annulation des décisions du 19 septembre 2018 et à ce que soit mis à la charge de l'État le paiement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- avant l'intervention des décisions en litige, jusqu'à la notification, postérieure, de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, il bénéficiait d'un droit à se maintenir sur le territoire en application de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le signataire de l'arrêté en litige ne justifie pas de sa compétence ;

- l'obligation de quitter le territoire méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- l'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ;

- cette interdiction est intervenue en violation du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 24 juillet 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de M. Josserand-Jaillet, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant albanais né le 22 mai 1981, est entré en France selon ses déclarations le 27 février 2017, avec son épouse et leur enfant. Sa demande d'asile a été rejetée le 19 juin 2017 par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 28 septembre suivant. S'étant maintenu sur le territoire en dépit d'une mesure d'éloignement du 24 octobre 2017, il a formé une demande de réexamen de sa demande d'asile, qui a été déclarée irrecevable par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 16 mars 2018. Le préfet de la Drôme lui a refusé le séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire durant trois ans, par un arrêté du 19 septembre 2018, notifié à l'intéressé le 13 mars 2019, que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé par un jugement du 2 mai 2019. Tandis qu'une nouvelle demande de réexamen formée par M. A... le 12 novembre 2018 a fait l'objet d'une décision de clôture par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le même jour, le préfet de la Drôme a relevé appel, le 14 mai 2019, de ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) / 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ".

3. L'article L. 743-1 du même code dispose que : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'Office, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la cour statuent ".

4. L'article R. 723-19 dudit code prévoit que : " I. - La décision du directeur général de l'Office [l'Office français de protection des réfugiés et apatrides] est notifiée à l'intéressé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. (...) / III.- La date de notification de la décision de l'office et, le cas échéant, de la Cour nationale du droit d'asile qui figure dans le système d'information de l'office et est communiquée au préfet compétent et au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration au moyen de traitements informatiques fait foi jusqu'à preuve du contraire. "

5. Selon les données issues de l'application informatique TelemOfpra, mentionnée au III de l'article R. 723-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, produites par le préfet à hauteur d'appel, la décision du 16 mars 2018 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a déclaré irrecevable la demande de réexamen de M. A... a été notifiée à celui-ci le 3 avril 2018. M. A..., qui se borne à faire valoir que l'arrêté du 19 septembre 2018 en litige est intervenu avant que les décisions de rejet de ses demandes d'asile lui soient notifiées, en violation de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'apporte aucun élément permettant de penser que les données fournies par l'administration, qui font foi jusqu'à preuve contraire, seraient inexactes. Il ressort des mêmes données que la dernière demande de réexamen formée par M. A..., et qui a fait l'objet d'une clôture le jour même, notifiée le 14 novembre 2018, avait été enregistrée le 12 novembre 2018, postérieurement à cet arrêté. Par suite, le 19 septembre 2018, date de l'arrêté en litige à laquelle s'apprécie sa légalité, M. A... se trouvait dans le cas que prévoit le 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans lequel le préfet peut faire obligation à un étranger de quitter le territoire français. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler cet arrêté, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur le motif tiré de la méconnaissance de ces dispositions et de l'article L. 743-2 du même code.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A....

7. En premier lieu, le préfet de la Drôme a produit devant le tribunal administratif les pièces justifiant de la compétence de M. Vieillescazes, secrétaire général de la préfecture, pour signer les décisions en litige, sans que M. A... n'allègue même que les conditions d'exercice de la délégation n'étaient pas remplies.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Ces stipulations ne sauraient, en tout état de cause, s'interpréter comme comportant pour un État l'obligation générale de respecter le choix, par un demandeur de titre de séjour, d'y établir sa résidence privée et de permettre son installation ou le regroupement de sa famille sur son territoire.

9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... ne puisse mener, avec son épouse et leurs enfants, une vie privée et familiale normale dans le pays dont l'ensemble de la famille possède la nationalité et où M. A..., dont la demande d'asile a été définitivement rejetée sans qu'il apporte d'éléments nouveaux, n'établit pas encourir les risques qu'il allègue. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée de séjour et des conditions d'entrée et de séjour en France de M. A... et son épouse, de l'âge de leurs enfants et eu égard aux effets d'une mesure d'éloignement, l'obligation de quitter le territoire contestée n'a pas porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Elle n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni n'est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'elle est susceptible de comporter pour la situation personnelle de l'intéressé.

10. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III (...) [est décidée] par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

11. En troisième lieu, la décision interdisant à M. A... le retour sur le territoire français vise les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle indique notamment que, compte tenu des circonstances propres au cas d'espèce et de l'ensemble des éléments de sa situation, mentionnés dans la décision, la soustraction de l'intéressé à une précédente mesure d'éloignement et la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France justifient une interdiction de retour d'une durée de trois ans. Ainsi, cette décision, dont il ressort que le préfet a appliqué les critères posés par les dispositions précitées, est suffisamment motivée.

12. Il résulte enfin de ce qui a été dit ci-dessus que M. A... n'est pas fondé à se prévaloir, contre la décision lui interdisant le retour sur le territoire, de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

13. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Drôme est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 19 septembre 2018.

14. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme au conseil de M. A... au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1901766 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 2 mai 2019 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. A... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....

Copie en sera adressée au préfet de la Drôme et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Valence.

Délibéré après l'audience du 20 février 2020 à laquelle siégeaient :

M. Josserand-Jaillet, président,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Burnichon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 mars 2020.

N° 19LY01813


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY01813
Date de la décision : 12/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. JOSSERAND-JAILLET
Rapporteur ?: M. Daniel JOSSERAND-JAILLET
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : ALBERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-03-12;19ly01813 ?
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