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06/02/2020 | FRANCE | N°18LY00236

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 06 février 2020, 18LY00236


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme F... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 106 735 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait des agissements fautifs de Mme C... épouse G..., ancien contrôleur principal du Trésor public alors en poste à la trésorerie de Billom.

Par un jugement n° 1501851 du 23 novembre 2017, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par

une requête enregistrée le 22 janvier 2018 et un mémoire enregistré le 30 août 2018, Mme F......

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme F... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 106 735 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait des agissements fautifs de Mme C... épouse G..., ancien contrôleur principal du Trésor public alors en poste à la trésorerie de Billom.

Par un jugement n° 1501851 du 23 novembre 2017, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 22 janvier 2018 et un mémoire enregistré le 30 août 2018, Mme F... épouse D..., représentée par Me B... (L... B... et associés), avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 23 novembre 2017 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 106 735 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, le jugement est entaché d'irrégularité, les juges de première instance ayant statué ultra petita en remettant en cause la réalité des versements opérés ;

- subsidiairement, la responsabilité de l'Etat est engagée, dès lors que les agissements de Mme C... constituent une faute personnelle qui n'est pas dépourvue de tout lien avec le service ;

- aucune faute susceptible d'exonérer l'Etat de sa responsabilité ne saurait lui être reprochée ; subsidiairement, une telle faute ne pourrait exonérer l'Etat que très partiellement ;

- la réalité du préjudice financier qu'elle a subi est établie par les constatations opérées par le juge pénal et par les éléments de preuve qu'elle apporte.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 juillet 2018, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il expose que :

- si la responsabilité de l'Etat peut être retenue en raison des agissements fautifs de son agent, en revanche, l'appelante a commis des fautes de nature à l'exonérer de cette responsabilité ;

- en outre, la réalité du préjudice subi n'est pas établie.

Par ordonnance du 3 septembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 octobre 2019.

En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, l'instruction a été rouverte pour les éléments demandés en vue de compléter l'instruction.

En réponse à cette mesure d'instruction, Mme D... a produit un mémoire enregistré le 31 octobre 2019.

Par ordonnance du 4 novembre 2019, la clôture de l'instruction à l'égard des éléments ainsi produits a été fixée au 20 novembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme J..., première conseillère ;

- et les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 25 mars 2013, devenu définitif, Mme C... épouse G... a été condamnée par le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, statuant en matière correctionnelle, pour abus de confiance et contrefaçon d'effets émis par le Trésor public à une peine d'emprisonnement de quatre ans, dont deux avec sursis, assortie d'une mise à l'épreuve de trois ans et de l'interdiction définitive de toute fonction ou emploi public, pour avoir fait souscrire à certains membres de son entourage, dont Mme D..., des produits financiers présentés comme des bons à terme anonymes à taux préférentiel émis par le Trésor public à destination de ses agents, alors qu'elle exerçait comme contrôleur principal à la trésorerie de Billom-Saint-Dier en qualité d'adjointe au chef de poste. Statuant sur l'action civile, ce même jugement a en outre condamné Mme C... à payer à Mme D... la somme de 106 735 euros en réparation de son préjudice matériel. Par courrier du 28 septembre 2015, Mme D... a saisi l'administration d'une demande de réparation du préjudice ainsi subi. Sa demande ayant, à défaut de réponse, été implicitement rejetée, Mme D... a saisi, à cette même fin, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, lequel a rejeté sa requête par un jugement du 23 novembre 2017, dont elle relève appel.

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. Il appartient au juge administratif, s'il estime qu'il y a une faute non dépourvue de tout lien avec le service de nature à engager la responsabilité de la personne publique, de prendre, en déterminant la quotité et la forme de l'indemnité par lui allouée, les mesures nécessaires, en vue d'empêcher que sa décision n'ait pour effet de procurer à la victime, par suite des indemnités qu'elle a pu ou qu'elle peut obtenir devant d'autres juridictions à raison du même accident, une réparation supérieure à la valeur totale du préjudice subi.

3. Ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, les agissements pour lesquels Mme C... a été pénalement condamnée ont été rendus possibles par l'utilisation de documents administratifs vierges, et du cachet du Trésor public qu'elle avait soustraits à la trésorerie de Billom-Saint-Dier où elle exerçait en qualité d'adjointe au chef de poste. Ces faits ont ainsi été commis par Mme C... grâce à l'autorité et aux moyens que lui conféraient ses fonctions. S'ils constituent, par leur gravité, une faute détachable du service, celle-ci n'est pas pour autant dépourvue de tout lien avec le service. Elle est, dès lors, susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat.

4. Toutefois, il résulte de l'instruction que Mme D... a accepté de souscrire sans aucune précaution des placements d'un montant significatif, dans des conditions qui auraient dû susciter de sa part des interrogations sur leur authenticité et sur la bonne foi de Mme C.... Si, contrairement à ce que soutient le ministre, il n'est pas établi que l'intéressée avait connaissance du caractère frauduleux de ces opérations, un minimum de contrôle lui aurait aisément permis de le constater. Dans ces conditions, et nonobstant les fonctions alors exercées par Mme C... et l'absence d'anomalies apparentes sur les formulaires qu'elle utilisait, Mme D... a ainsi fait preuve d'une légèreté fautive de nature à exonérer l'Etat pour moitié de sa responsabilité.

Sur le droit à réparation :

5. Pour rejeter la demande présentée par Mme D..., les premiers juges ont relevé que le versement des sommes prétendument investies par elle n'était pas établi, malgré une mesure d'instruction diligentée par la juridiction, et en dépit du jugement du tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand lequel n'avait qu'une autorité relative de la chose jugée. Toutefois, pour condamner Mme C..., le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand a, dans son jugement du 25 mars 2013 devenu définitif, considéré comme établis les faits d'avoir détourné les sommes qui lui avaient été remises, au préjudice notamment de Mme D.... Ces constatations de fait, retenues par le tribunal pour statuer sur l'action publique et justifier la condamnation prononcée, sont ainsi revêtues de l'autorité de la chose jugée au pénal et s'imposent dès lors à la juridiction administrative. En conséquence, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, l'effectivité des versements opérés par Mme D... à Mme C..., en outre corroborée par les copies des quatre bulletins de souscription en cause, doit être considérée comme établie pour un montant total de 106 735 euros.

6. Il y a lieu de statuer par la voie de l'effet dévolutif de l'appel sur le droit à réparation de Mme D....

7. Ainsi qu'il a été dit au point 6, les versements de Mme D... doivent être regardés comme établis. En revanche, il résulte de l'instruction, en particulier du procès-verbal de l'audition de Mme D... diligentée le 9 janvier 2012, ainsi que des relevés bancaires et des écritures, produits par l'intéressée le 31 octobre 2019 en réponse à une demande de la Cour, que celle-ci a admis avoir perçu de Mme C... une somme de 22 157,59 euros au titre des placements ainsi souscrits. Cette somme doit être déduite du préjudice subi par Mme D..., sans que celle-ci, à qui il appartenait, si elle s'y estimait fondée, de présenter des conclusions tendant à l'indemnisation des intérêts qu'auraient pu produire les sommes ainsi détournées, ne puisse utilement invoquer la nature d'" intérêts " que Mme C... attribuait à ces versements. Il ne résulte pas de l'instruction que Mme D... ait reçu de Mme C... d'autres remboursements des sommes versées, y compris en exécution du jugement du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand du 25 mars 2013. Dans ces conditions, et sans que le ministre ne puisse utilement se prévaloir des motivations qui auraient été les siennes pour souscrire de tels placements, Mme D... est fondée, eu égard au partage de responsabilité retenu précédemment, à demander que la somme de 42 288,71 euros soit mise à la charge de l'Etat en réparation du préjudice subi à raison des agissements fautifs de Mme C.... Il y a lieu, en conséquence, de subroger l'Etat à concurrence de cette somme, dans les droits détenus par Mme D... sur la personne de Mme C... épouse G....

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a totalement rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à Mme D... d'une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 23 novembre 2017 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme D... la somme de 42 288,71 euros.

Article 3 : L'Etat versera à Mme D... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.

Article 5 : L'Etat est subrogé dans les droits de Mme D... à l'encontre de Mme C... à concurrence des sommes versées en exécution du présent arrêt.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D... et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

Mme I... A..., présidente de chambre,

Mme K..., présidente-assesseure,

Mme H... J..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 6 février 2020.

2

N° 18LY00236


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY00236
Date de la décision : 06/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Problèmes d'imputabilité - Faute personnelle de l'agent public - Existence.

Responsabilité de la puissance publique - Problèmes d'imputabilité - Personnes responsables - État ou autres collectivités publiques.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : TREINS KENNOUCHE POULET VIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-02-06;18ly00236 ?
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