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10/12/2019 | FRANCE | N°17LY01316

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 10 décembre 2019, 17LY01316


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... F... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, dans le dernier état de ses écritures, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 58 419 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de l'illégalité de l'arrêté du 10 juin 2008 par lequel le préfet de la Drôme a prescrit des mesures de lutte contre le virus de la Sharka, autrement dénommé Plum Pox Virus.

Par un jugement avant

dire droit n° 1302189 du 20 mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a ordonné un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... F... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, dans le dernier état de ses écritures, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 58 419 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de l'illégalité de l'arrêté du 10 juin 2008 par lequel le préfet de la Drôme a prescrit des mesures de lutte contre le virus de la Sharka, autrement dénommé Plum Pox Virus.

Par un jugement avant dire droit n° 1302189 du 20 mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a ordonné une expertise, en vue de déterminer le montant de l'indemnisation qui lui est due.

M. F... a demandé au juge des référés de condamner l'Etat, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, à lui verser une provision à valoir sur le montant de son indemnisation.

Par un jugement n° 1302189-1504919 du 30 décembre 2016, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à verser à M. F... la somme de 58 419 euros, majorée des intérêts échus et de leur capitalisation, a dit qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur sa demande de provision, a mis à la charge de l'Etat les frais et honoraires d'expertise, ainsi qu'une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 29 mars 2017, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 décembre 2016.

Il soutient que :

- l'illégalité dont est entaché l'arrêté du préfet de la Drôme du 10 juin 2008, tenant à l'incompétence de son auteur, n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat dès lors que cette mesure était, en tout état de cause, justifiée ;

- la responsabilité de l'Etat ne pouvait en outre être engagée, en l'absence de lien de causalité direct entre l'illégalité de cet arrêté et les préjudices invoqués.

Par des mémoires en défense enregistrés le 29 septembre 2017 et le 19 décembre 2018, M. C... F..., représenté par la Me A... (SELARL Bard), avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, de porter la condamnation de l'Etat décidée par les premiers juges à 166 926,82 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que la somme de 35 euros correspondant à la contribution pour l'aide juridique.

Il expose que :

- l'illégalité dont est entaché l'arrêté du 10 juin 2008 est de nature à engager la responsabilité de l'Etat, dès lors que les mesures d'arrachage des arbres sains qu'il prescrivait n'étaient, par ailleurs, pas justifiées ;

- cette responsabilité suppose l'indemnisation de l'entier préjudice subi, qui ne peut être limitée à l'indemnisation forfaitaire prévue par l'article L. 251-9 du code rural, laquelle est inapplicable en l'espèce ;

- le préjudice tenant à la perte de marge nette due à l'arrachage des parcelles contaminées de 5 à 10 %, doit être évalué à 62 573,82 euros, ainsi que l'a estimé le tribunal ;

- le préjudice tenant à l'arrachage des arbres sains sur les parcelles contaminées à plus de 10 % s'élève à 104 353 euros, selon la méthode d'évaluation retenue par l'expert.

Par un mémoire enregistré le 11 janvier 2019, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens, et demande en outre à la cour de rejeter les conclusions incidentes présentées par M. F....

Il expose en outre que :

- les conclusions incidentes tendant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'arrachage d'arbres sains sur les parcelles contaminées à plus de 10 % sont irrecevables ;

- en outre, ces conclusions ne sont pas fondées ;

- l'indemnisation des préjudices subis en conséquence des mesures de destruction ordonnées doit être fixée selon le barème défini en application de l'article L. 251-9 du code rural ;

- l'indemnisation accordée au titre du préjudice tenant à la perte de marge nette due à l'arrachage des parcelles contaminées de 5 à 10 % doit être confirmée ;

- M. F... n'établit pas que des mesures d'arrachage limitées aux seuls arbres contaminés auraient été suffisantes.

Par un mémoire enregistré le 13 février 2019, M. F... conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens.

Il expose en outre que :

- ses conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'arrachage d'arbres sains sur les parcelles contaminées à plus de 10 % sont recevables, dès lors qu'elles avaient déjà été présentées en première instance ;

- l'arrêté ministériel du 27 novembre 2008 ne saurait justifier l'arrachage d'arbres intervenu antérieurement.

L'instruction a été close en dernier lieu le 6 mars 2019 par ordonnance du 18 février 2019.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par la voie de l'appel incident par M. F..., celui-ci ayant obtenu entière satisfaction en première instance et étant ainsi dépourvu d'intérêt à faire appel.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la pêche du 27 novembre 2008 relatif à la lutte contre le Plum Pox Virus, agent causal de la maladie de la Sharka, sur les végétaux sensibles du genre Prunus ;

- l'arrêté du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire du 17 mars 2011 relatif à la lutte contre le Plum Pox Virus, agent causal de la maladie de la Sharka, sur les végétaux sensibles du genre Prunus ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G..., première conseillère,

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant M. F... ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 3 mai 2012, devenu définitif, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 10 juin 2008 par lequel le préfet de la Drôme avait prescrit, en application de l'article L. 251-6 du code rural, l'arrachage des arbres contaminés par le virus de la Sharka, ainsi que de l'ensemble des arbres, de type prunus, des parcelles contaminées à plus de 5 %. M. F..., ancien exploitant de vergers à Bourg-lès-Valence et Châteauneuf-sur-Isère, a dès lors sollicité l'indemnisation des préjudices qu'il estimait avoir subis en conséquence de cet arrêté illégal. Le tribunal administratif de Grenoble a déclaré l'Etat responsable des préjudices subis par son exploitation du fait de l'arrachage en 2008 des arbres sains dans les parcelles présentant un taux de contamination par le virus de la Sharka compris entre 5 et 10 % et a ordonné une mesure d'expertise, par un jugement avant dire droit du 20 mai 2015, avant de condamner l'Etat à lui verser la somme de 58 419 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, par un jugement du 30 décembre 2016. Le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, depuis devenu ministre de l'agriculture et de l'alimentation, relève appel de ce dernier jugement. Par des conclusions incidentes, M. F... demande, pour sa part, que la condamnation de l'Etat soit relevée à hauteur de 166 926,82 euros.

Sur l'appel du ministre en charge de l'agriculture :

2. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'incompétence, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait été prise par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice d'incompétence qui entachait la décision administrative illégale.

3. Selon l'article L. 251-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Le ministre chargé de l'agriculture peut prescrire par arrêté les traitements et les mesures nécessaires à la prévention de la propagation des organismes nuisibles inscrits sur la liste prévue à l'article L. 251-3. Il peut également interdire les pratiques susceptibles de favoriser la dissémination des organismes nuisibles, selon les mêmes modalités. / II. - En cas d'urgence, les mesures ci-dessus spécifiées peuvent être prises par arrêté préfectoral immédiatement applicable. L'arrêté préfectoral doit être soumis, dans la quinzaine, à l'approbation du ministre chargé de l'agriculture ". L'article 1er de l'arrêté ministériel du 31 juillet 2000 établissant la liste des organismes nuisibles aux végétaux, produits végétaux et autres objets soumis à des mesures de lutte obligatoire énonce que " la lutte contre les organismes nuisibles mentionnés en annexe A du présent arrêté est obligatoire, de façon permanente, sur tout le territoire métropolitain ou dans les départements d'outre-mer, dès leur apparition, et ce quel que soit le stade de leur développement et quels que soient les végétaux, produits végétaux et autres objets sur lesquels ils sont détectés ". Cet arrêté a inscrit le Plum Pox virus à l'origine de la maladie de la Sharka à son annexe A. Le virus de la Sharka est ainsi considéré comme un organisme nuisible, contre lequel la lutte est obligatoire, dès son apparition et de façon permanente.

4. Par un jugement du 3 mai 2012, devenu définitif, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du préfet de la Drôme du 10 juin 2008, au motif qu'en l'absence d'urgence, seul le ministre en charge de l'agriculture était compétent pour adopter de telles mesures de lutte contre le virus de la Sharka, en application de l'article L. 251-8 du code rural.

5. Il résulte de l'instruction que, par un rapport d'expertise établi au mois d'avril 2008 à la demande du ministère de l'agriculture et de la pêche, le laboratoire national de la protection des végétaux avait préconisé l'abaissement du seuil de contamination au-delà duquel l'arrachage de l'ensemble des arbres d'une parcelle doit être prescrit de 10 % à 5 %, voire à 2 %, dans la Drôme. L'abaissement de ce seuil à 5 %, tel que décidé par le préfet de la Drôme par l'arrêté du 10 juin 2008, avait en outre reçu l'approbation du ministre en charge de l'agriculture, par courrier du 25 novembre 2008. Toutefois, ces documents ne sont pas suffisants pour établir qu'il existait un consensus scientifique sur la nécessité d'un tel abaissement, alors, notamment, que le rapport Devos, établi un an auparavant, ne comportait pas de telles préconisations. En outre, le ministre a, peu de temps après l'arrêté litigieux, lui-même retenu un seuil de contamination de 10 %, sans même prévoir de possibilités de l'abaisser localement, par arrêté du 27 novembre 2008. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le ministre aurait, comme l'avait fait le préfet de la Drôme par l'arrêté annulé, décidé d'abaisser ce seuil à 5 %.

6. Par ailleurs, contrairement à ce que prétend le ministre en charge de l'agriculture, la situation épidémiologique du département de la Drôme ne justifiait pas à elle seule, en l'absence de disposition en ce sens, l'arrachage des parcelles contaminées à plus de 5 %, mais à moins de 10 %, par le virus de la Sharka. En outre, il n'est nullement établi que les parcelles concernées auraient nécessairement connu, au cours de l'année, un niveau de contamination dépassant 10% et rendant obligatoire leur arrachage.

7. Le ministre en charge de l'agriculture n'est, par suite, pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Grenoble a jugé que l'illégalité de l'arrêté du préfet de la Drôme du 10 juin 2008, qui est de nature à engager la responsabilité de l'Etat, est directement à l'origine de certains des préjudices invoqués par M. F....

Sur l'appel incident de M. F... :

8. Il résulte de l'instruction qu'en première instance, M. F... a, dans le dernier état de ses écritures, sollicité la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 58 419 euros, augmentée des intérêts et de la capitalisation de ces intérêts. Par son jugement du 30 décembre 2016, le tribunal administratif de Grenoble a pleinement fait droit à cette demande. En conséquence, M. F... est dépourvu d'intérêt à faire appel de ce jugement. Ses conclusions incidentes tendant à la condamnation l'Etat sont par suite irrecevables.

Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 500 euros à verser à M. F..., au titre des frais non compris dans les dépens que ce dernier a exposés.

10. En revanche, M. F... ne peut prétendre à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 35 euros au titre de la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts, l'article R. 411-2 du code de justice administrative ayant été abrogé à compter du 1er janvier 2014, soit antérieurement à l'enregistrement de sa requête d'appel.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. F... la somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. F... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et à M. C... F....

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

Mme E... B..., présidente de chambre,

Mme H..., présidente-assesseure,

Mme D... G..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 10 décembre 2019.

2

N° 17LY01316


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17LY01316
Date de la décision : 10/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Agriculture et forêts - Produits agricoles - Fruits et légumes.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère direct du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : CABINET BARD

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-12-10;17ly01316 ?
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