Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner les Hospices civils de Lyon (HCL) in solidum avec leur assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à lui verser la somme de 57 703,90 euros correspondant aux sommes versées aux ayants-droit de M. D... en substitution de l'assureur des HCL, en application des protocoles d'indemnisation acceptés, une somme de 700 euros en remboursement des frais d'expertise et une somme de 8 655,58 euros au titre de l'indemnité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, correspondant à 15 % de l'indemnité payée au lieu et place de l'assureur des HCL, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2015.
Par un jugement n° 1507454 du 26 décembre 2017, le tribunal administratif de Lyon a condamné in solidum les HCL et la SHAM, à verser à l'ONIAM la somme totale de 66 921,49 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2015 et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 février 2018, et des mémoires, enregistrés le 23 mai 2018 et le 13 juin 2019, les HCL et leur assureur, la SHAM, représentés par Me Le Prado, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 26 décembre 2017 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) de rejeter la demande présentée par l'ONIAM devant le tribunal administratif de Lyon.
Ils soutiennent que :
- le jugement est insuffisamment motivé au regard des conclusions dont le tribunal administratif a été saisi ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu sa responsabilité alors que, d'une part, l'hospitalisation de M. D... dans un service de type psychiatrique ne s'imposait pas compte tenu de ce que le patient ne présentait pas une pathologie psychiatrique caractérisée et, d'autre part, que l'hôpital avait effectué les démarches nécessaires pour une admission dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), la famille refusant de reprendre le patient à domicile alors qu'il aurait dû sortir le 25 décembre 2009 ;
- M. D... a été hospitalisé en raison des chutes répétitives à son domicile ; il était déclaré médicalement sortant mais n'a pas regagné son domicile compte tenu de ce que sa famille n'est pas venue le chercher et le patient a été maintenu en hospitalisation à la demande de la famille ; il n'était pas atteint de troubles psychiatriques mais de démence et d'un important handicap visuel ; le motif d'hospitalisation, initialement médical, est devenu d'ordre social ; l'hôpital a recherché les établissements susceptibles d'accueillir M. D... ; l'hospitalisation dans une structure spécialisée avec un service de type psychiatrique ne s'imposait pas ; sa chute mortelle ne trouve pas sa cause dans un geste d'autolyse mais dans le souhait, pour un patient atteint d'un handicap visuel important, de quitter l'hôpital et de regagner son domicile ; la contention ne pouvait de nouveau être utilisée dès lors qu'il convient de limiter, dans un tel cas, les contentions physiques et de remettre le patient sur pied afin d'éviter les complications liées à l'alitement ; l'aménagement des locaux se heurte aux difficultés que connaît tout établissement hospitalier à qui on demande de remplir un rôle social et non médical ; il était important que M. D... puisse se déplacer afin d'éviter les complications liées à l'alitement ; le centre hospitalier a accompagné la famille dans le recherche d'une place dans des établissements spécialisées de type EHPAD ; il ne saurait lui être reproché, alors qu'il a accepté le maintien en hospitalisation du patient qui était médicalement sortant et que la famille a refusé de le prendre en charge, une inadaptation de ses locaux ;
- si une faute était retenue, elle ne pourrait être regardée que comme ayant été à l'origine d'une perte de chance d'éviter le dommage ; il convient de prendre en considération les conditions dans lesquelles le patient a été hospitalisé, le lieu dans lequel cette hospitalisation s'est effectuée et les limites que cela implique quant aux moyens disponibles ; rien ne permet de considérer que même en envisageant des mesures supplémentaires, le patient n'aurait pas chuté accidentellement et que cette chute n'aurait pas eu des conséquences mortelles ; il faudra également tenir compte du déficit visuel, de la désorientation et de l'agitation de M. D... ;
- le juge administratif n'est pas lié par la détermination et l'évaluation du préjudice par l'ONIAM ; compte tenu de l'âge de M. D..., soit 90 ans, les indemnités allouées aux ayants-droit ne pourront qu'être minorées ;
- c'est à bon droit que le tribunal administratif n'a pas retenu la somme de 120 euros compte tenu de ce que le justificatif produit était insuffisant pour établir la réalité de la dépense ;
- le centre hospitalier ne peut être condamné au paiement d'une pénalité de 15 % compte tenu de ce que M. D... a été maintenu en hospitalisation pour répondre à la demande de la famille et les HCL se sont occupés des démarches en vue de son placement dans une institution spécialisée ; il a fait l'objet d'une surveillance régulière.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2019, l'ONIAM, représenté par Me Welsch, avocat, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement du tribunal administratif de Lyon du 26 décembre 2017 en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande, à la condamnation solidaire des HCL et de leur assureur, la SHAM, à lui verser la somme de 57 703,90 euros, la somme de 700 euros au titre des frais d'expertise et la somme de 8 655,58 euros en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2015 ;
3°) et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge solidaire des HCL et de leur assureur, la SHAM, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- pour apprécier l'existence d'une faute, le tribunal se fondera sur l'idée que le juge administratif se fait du fonctionnement normal du service et sur les garanties médicales et notamment de sécurité que le patient est en droit d'attendre du service public hospitalier ; le litige porte non sur l'absence de transfert du patient en milieu psychiatrique mais sur l'absence de mesure particulière de précaution dans l'attente d'un transfert en établissement spécialisé ; s'il est clair qu'un service ouvert tel que le service de soins de suite et de réadaptation où il était pris en charge dans les meilleures conditions possibles n'était pas adapté aux troubles dont il souffrait, il est tout aussi clair que le maintien, même provisoire, de ce patient dans un tel lieu générait un risque important de fugue, de chute accidentelle voire de suicide ; il résulte d'une jurisprudence constante qu'un patient admis à l'hôpital doit bénéficier de précautions particulières qu'il soit ou non accueilli dans un service psychiatrique dès lors que son comportement permet au personnel qui le prend en charge d'en augurer les conséquences ; si la SHAM fait valoir qu'il était impossible de procéder à la fermeture provisoire de la porte de la chambre de M. D..., rien n'explique que des mesures de contention ou des traitements neuroleptiques devaient être exclues pour une courte période précédant le transfert ; la seule circonstance qu'un tel accident ait pu se produire suffit à prouver l'existence d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service ; M. D... présentait des signes inquiétants nécessitant des mesures de surveillance renforcées ; la seule circonstance que M. D..., patient désorienté et agité dont le personnel connaissait les tendances fugueuses, surtout la nuit, a pu, à 20h45, déambuler hors de sa chambre, pénétrer dans une autre chambre, ouvrir la fenêtre qui donnait sur le balcon et enjamber la rambarde révèle une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service ;
- cette responsabilité ne saurait être pondérée par l'application d'une simple perte de chance dès lors que les troubles dont était atteint M. D... n'étaient pas de nature, en l'absence de faute, à conduire à un décès ;
- il n'y a pas lieu de procéder à une réfaction de 120 euros sur les frais d'obsèques correspondant à un christ noir en granit, somme que M. B... D... atteste avoir réglée ;
- le jugement sera confirmé sur le principe de la condamnation des HCL et de leur assureur à hauteur de 15 % de l'indemnité allouée en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., représentant les Hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles.
Considérant ce qui suit :
1. Le 25 novembre 2009, M. A... D..., né le 17 décembre 1919, a été hospitalisé au service des urgences du centre hospitalier Lyon sud, dépendant des HCL, en raison d'une dégradation de son état général et de son autonomie se traduisant par des chutes répétées à son domicile. Après la réalisation d'un scanner le 26 novembre 2009 qui s'est révélé normal, le diagnostic de désorientation spatiale avec syndrome confusionnel et incontinence urinaire a été posé. Le 8 décembre 2009, M. D... a été transféré dans l'unité de soins de suite et de réadaptation du service de gériatrie du centre hospitalier Lyon sud où il a été maintenu dans la journée au fauteuil avec contention jusqu'au 15 décembre 2009. Le 31 décembre 2009, vers 21h05, il a été retrouvé, gisant au rez-de-chaussée en dessous d'un balcon donnant sur la chambre 138 et, à 23h30, il est décédé. Le 16 avril 2010, les ayants-droit de M. D... ont saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) de Rhône-Alpes d'une demande d'indemnisation des préjudices subis du fait des fautes alléguées lors de la prise en charge de M. D... par les HCL. La CRCI a ordonné une expertise confiée au docteur Guard, neurologue. A la suite du dépôt du rapport le 10 juin 2010, la CRCI a estimé, dans son avis du 14 septembre 2010, que la responsabilité des HCL était engagée en raison d'une faute commise dans l'organisation et le fonctionnement du service lors de la prise en charge de M. D... et qu'il appartenait donc à la SHAM, assureur des HCL, de réparer les préjudices et de faire une offre d'indemnisation aux ayants-droit de M. D.... Par courrier du 9 novembre 2010, la SHAM a refusé d'indemniser les ayants-droit de M. D.... Par courrier du 17 novembre 2010, les ayants-droit de M. D... ont demandé à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), en vertu de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, de se substituer à l'établissement hospitalier responsable et à son assureur, à la suite du refus de la SHAM de proposer une offre d'indemnisation. L'ONIAM a indemnisé les ayants-droit de M. D... à hauteur de 57 703,90 euros, les protocoles d'indemnisation signés par l'ONIAM et les ayants-droit de la victime et le certificat de paiement des frais d'expertise produits par l'ONIAM attestant de ces transactions et versements. L'ONIAM, subrogé dans les droits des ayants-droit de la victime à concurrence de cette somme conformément au 3ème alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, a, sans succès, sollicité des HCL et de la SHAM le remboursement de la somme versée. L'ONIAM a alors saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande tendant à la condamnation solidaire des HCL et de leur assureur à lui rembourser la somme de 57 703,90 euros correspondant aux indemnités versées aux ayants-droit de M. D..., à lui verser la somme de 700 euros correspondant aux frais d'expertise ainsi que celle de 8 665,58 euros au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, avec intérêts au taux légal. Les HCL et la SHAM relèvent appel du jugement du 26 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Lyon a fait droit à la demande de l'ONIAM tendant à leur condamnation solidaire. L'ONIAM demande la réformation du jugement du tribunal administratif de Lyon en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande de remboursement des sommes sollicitées.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Les HCL et la SHAM, en se bornant à soutenir de manière générale que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé, n'assortissent pas leur moyen des précisions permettant d'en apprécier la portée et le bien-fondé. Il s'ensuit que ce moyen doit être écarté.
Sur l'action subrogatoire de l'ONIAM :
3. L'article L. 1142-1 du code de la santé publique prévoit que les conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins sont réparées par le professionnel ou l'établissement de santé dont la responsabilité est engagée. Les articles L. 1142-4 à L. 1142-8 et R. 1142-13 à R. 1142-18 de ce code organisent une procédure de règlement amiable confiée aux commissions régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI). En vertu des dispositions de l'article L. 1142-14, si la CRCI, saisie par la victime ou ses ayants droit, estime que la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée, l'assureur qui garantit la responsabilité civile de celui-ci adresse aux intéressés une offre d'indemnisation. Aux termes de l'article L. 1142-15, dans sa rédaction applicable au litige : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre (...), l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. / (...) / L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. (...) l'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. / (...) / Lorsque l'office transige avec la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article, cette transaction est opposable à l'assureur ou, le cas échéant, au responsable des dommages sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis ".
4. En application de ces dispositions, il incombe au juge, saisi d'une action de l'ONIAM subrogé, à l'issue d'une transaction, dans les droits d'une victime à concurrence des sommes qu'il lui a versées, de déterminer si la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée et, dans l'affirmative, d'évaluer les préjudices subis afin de fixer le montant des indemnités dues à l'office. Lorsqu'il procède à cette évaluation, le juge n'est pas lié par le contenu de la transaction intervenue entre l'ONIAM et la victime.
En ce qui la responsabilité des HCL :
5. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. D..., alors âgé de 90 ans, a été hospitalisé, le 25 novembre 2009, au service des urgences du centre hospitalier Lyon sud en raison d'une dégradation de son état général et de son autonomie se traduisant par des chutes répétées à son domicile et qu'un diagnostic de désorientation spatiale avec syndrome confusionnel et incontinence urinaire a été posé. M. D... a ensuite été pris en charge, à compter du 8 décembre 2009, dans l'unité de soins de suite et de réadaptation du service de gériatrie du centre hospitalier Lyon sud. Selon l'expert, " l'examen précis du dossier entre le 8 décembre et le jour du décès apporte les éléments suivants : entre le 8 décembre et le jour de son décès, le patient était agité, anxieux, on fut obligé de le maintenir au fauteuil avec contention car lorsqu'il était debout, il chutait en arrière. Il ne pouvait marcher qu'avec une aide, à petits pas. (...) A partir du 15 décembre, il reprend la marche avec déambulateur et on a pu supprimer la contention au fauteuil sous surveillance. (...) Il déambule alors dans le service et cherche à en sortir. La nuit du 19 décembre, il enjambe les barrières du lit. Le 21 décembre, il déambule toute la nuit ; le test de Folstein donne ce jour là un score de 18/30, confirmant donc une légère amélioration de son état ; pendant toute la période du 8 au 21 décembre, très peu de médicaments sédatifs furent administrés mais le 21 décembre, il est décidé de mettre le patient sous Ebixa, médicament recommandé dans les états démentiels, lorsqu'il existe des troubles du comportement. Le 22 décembre, il est noté qu'il rentre pendant la nuit dans les chambres des autres patients. Le 26 décembre, étant agité, on lui administre un comprimé de Meprobamate. Le 28 décembre, le docteur Burdet note "toujours perdu, dort la nuit mais déambule la journée. Réclame son épouse. Avenir : a priori retour à domicile avec auxiliaires de vie 24 heures sur 24 en attendant un placement pour le couple". Le 30 décembre, il est noté "a dormi cette nuit. Déambule ce matin (habituel) avec désorientation temporo-spatiale. Attend la visite de sa famille" ". Par suite, M. D... présentait un état nécessitant une surveillance particulière compte tenu de sa désorientation temporo-spatiale liée à la démence dont il était atteint et d'une déficience visuelle grave. S'il n'est pas contesté par l'ONIAM que M. D... a été maintenu en hospitalisation au sein du service de soins de suite et de réadaptation à la demande de la famille, il n'en demeure pas moins que le patient doit être regardé comme ayant été placé dans ce service du centre hospitalier sous sa surveillance.
6. Il résulte encore de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que l'expert a précisé que " la prise en charge médicale du patient nous paraît conforme aux règles de l'art : dans un tel cas, on doit le plus vite possible, limiter les contentions physiques et la remise sur pied du malade est souhaitable afin d'éviter les complications liées à l'alitement. D'autre part, il est bien connu que la contention augmente l'agitation et la confusion du malade. La prescription de psychotropes sédatifs a été limitée au strict minimum, ce qui est tout à fait souhaitable, car on sait que ces produits ont un effet délétère sur le psychisme et parfois des effets paradoxaux d'agitation " et que, dans ces conditions, l'absence de mesure de contention ou encore de prescription de sédatifs est justifiée par la nécessité médicale d'éviter une aggravation de l'état de confusion de M. D.... Par ailleurs, le soir de l'accident, à 20h45, l'infirmière a reconduit M. D... à sa chambre et son absence a été constatée dès 21h05 par l'infirmière de nuit. Par suite, aucune négligence dans la surveillance de M. D... ne peut être retenue à la charge du centre hospitalier.
7. Toutefois, il résulte également de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. D... était hospitalisé dans un service " ouvert " de soins de suite et de réadaptation et que l'expert souligne que dans un tel service, il n'est pas prévu de pouvoir bloquer les portes et les fenêtres avec des serrures. Dans ce cadre, l'expert a souligné que M. D... " aurait dû être hospitalisé dans un service fermé avec issues sécurisées, soit un service de type psychiatrique régi par les articles L. 3212 du code de la santé publique, soit un EPHAD adaptée aux personnes désorientées avec codes d'entrée et de sortie au niveau des portes ". Il n'est pas contesté par l'ONIAM que M. D... a été maintenu, à la demande de la famille, en hospitalisation dans l'attente d'une place dans un service adapté. Si le centre hospitalier s'est occupé, le 29 décembre 2009, des démarches administratives pour déposer quatre dossiers de demandes d'admission en EHPAD, il n'établit pas que des démarches identiques auraient été menées en vue de placer M. D... dans un service psychiatrique et ce alors qu'il n'est pas démontré qu'une personne âgée atteinte de démence sénile ne relèverait pas d'une telle prise en charge. Compte tenu de l'inadaptation des locaux à l'état de santé de M. D..., il appartenait au centre hospitalier de prendre l'attache des services, y compris psychiatriques, en vue de transférer le patient, dont l'état de santé ne relevait plus d'un service ouvert de soins de suite et de réadaptation, dans un service fermé pour éviter tout atteinte à son intégrité physique.
8. Dans ces conditions, et ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges, l'ONIAM est fondé à soutenir que les HCL ont commis une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager sa responsabilité en raison du caractère inadapté des locaux à la pathologie de M. D... et du défaut d'orientation du patient vers un service adapté qui aurait pu permettre d'éviter sa défenestration.
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :
9. D'une part, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue et, d'autre part, lorsqu'une pathologie prise en charge dans des conditions fautives a entraîné une détérioration de l'état du patient ou son décès, c'est seulement lorsqu'il peut être affirmé de manière certaine qu'une prise en charge adéquate n'aurait pas permis d'éviter ces conséquences que l'existence d'une perte de chance ouvrant droit à réparation peut être écartée.
10. Il résulte également de l'instruction que la faute ainsi commise est entièrement à l'origine de la défenestration de M. D... et des préjudices qui en résultent pour les ayants-droit. Il n'y a dès lors, contrairement à ce que soutiennent les HCL, pas lieu de retenir à leur égard que la faute ne serait à l'origine que d'une perte de chance d'éviter le dommage qui s'est réalisé.
11. Les HCL et leur assureur font valoir que l'évaluation du préjudice devra tenir compte de l'âge de la victime au moment de son décès. Toutefois, il n'est pas établi, ainsi que l'ont indiqué à bon droit les premiers juges, que, en l'absence de faute, les pathologies dont était atteint M. D... étaient de nature à conduire à son décès rapide. Par ailleurs, l'âge et l'espérance de vie d'une victime sont pris en compte pour l'évaluation de certains préjudices.
12. Il résulte de l'instruction que l'ONIAM a indemnisé l'épouse de M. D..., ses trois enfants et ses cinq petits enfants au titre de leur préjudice d'affection. L'appréciation de ce préjudice d'affectation évalué par les premiers juges au montant de 20 000 euros pour l'épouse de M. D..., de 5 250 euros pour chacun des enfants et de 3 250 euros pour les petits enfants n'apparaît ni insuffisante ni disproportionnée. Il en va de même concernant l'évaluation à hauteur de 1 000 euros des souffrances endurées par M. D....
13. Il résulte également de l'instruction que, s'agissant des frais d'obsèques, les premiers juges ont, sur la base des factures des pompes funèbres produites, évalué ces frais à la somme de 4 583,90 euros et ont écarté la somme de 120 euros concernant l'achat d'une statue représentant un christ noir en granit en l'absence de justificatif. En appel, en complément de la facture, produite en première instance, des pompes funèbres portant la mention " payé par chèque " pour l'achat de cette statue, l'ONIAM produit une lettre de M. B... D... par laquelle il indique avoir payé la somme de 120 euros. Par suite, il y a lieu d'accorder la somme globale de 4 703,90 euros.
14. Il résulte de tout ce qui précède que les HCL et leur assureur ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon les a condamnés in solidum à rembourser l'ONIAM des indemnités versées aux consorts D.... L'ONIAM est fondé à demander que l'indemnité que les HCL et leur assureur ont été condamnés in solidum à lui verser soit portée de 57 583,90 euros à 57 703,90 euros.
Sur les frais d'expertise exposés devant la CRCI :
15. L'ONIAM justifie avoir supporté les frais de 1'expertise diligentés dans le cadre de la procédure de règlement amiable devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales pour un montant de 700 euros. Ces frais ne sont pas contestés par les HCL et leur assureur. Il y a lieu de les laisser à la charge in solidum de ces derniers.
Sur la pénalité prévue par les dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique :
16. Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. ".
17. Il résulte de l'instruction que l'assureur du centre hospitalier a refusé de faire une offre d'indemnisation aux consorts D... alors que l'expert missionné par la CRCI avait considéré que le centre hospitalier avait commis des fautes. Par suite, l'ONIAM peut prétendre à l'indemnité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. Dans les circonstances de l'espèce, c'est à juste titre que les premiers juges ont condamné solidairement les HCL et leur assureur à payer à l'ONIAM une somme égale à 15 % du montant de l'indemnité mise à leur charge. Compte tenu de ce qui a été dit au point 14, il y a lieu de porter à 8 655,58 euros la somme mise à ce titre à la charge in solidum des HCL et de leur assureur.
Sur les intérêts :
18. L'ONIAM a droit aux intérêts au taux légal afférents à la somme de 57 703,90 euros et à la somme de 700 euros à compter du 10 juillet 2015, date de réception par les HCL de la réclamation préalable.
19. En revanche, les intérêts moratoires ont pour objet de compenser le retard au paiement d'une dette. Par suite, l'amende prévue au point 16, qui ne sera exigible qu'à la date de notification aux HCL et à la SHAM du présent arrêt, ne peut, en l'absence de retard de paiement, être majorée des intérêts demandés.
Sur les frais liés au litige :
20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de l'ONIAM tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge in solidum des HCL et de leur assureur une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête des HCL et de la SHAM, est rejetée.
Article 2 : Les sommes de 57 583,90 euros et de 8 637,59 euros que les HCL et la SHAM ont été condamnés solidairement à verser à l'ONIAM sont portées respectivement aux sommes de 57 703,90 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2015, et de 8 655,58 euros.
Article 3 : Les frais d'expertise devant la CRCI Rhône-Alpes d'un montant de 700 euros sont laissés à la charge solidaire des HCL et de la SHAM. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2015.
Article 4 : Les HCL et la SHAM verseront la somme globale de 1 500 euros à l'ONIAM en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié aux Hospices civils de Lyon, à la société hospitalière d'assurances mutuelles, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône et à la mutuelle sociale agricole du Rhône.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Drouet, président de la formation de jugement,
Mme C..., premier conseiller,
M. Pin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 28 novembre 2019.
Le rapporteur,
R. C...
Le président,
H. DrouetLe greffier,
F. Abdillah
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la solidarité en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,
2
N° 18LY00836
bb