Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Villard-Bonnot à lui verser la somme globale de 50 449,07 euros au titre du préjudice de jouissance qu'il estime avoir subi du fait de la réalisation d'un chemin piéton jouxtant sa propriété.
Par un jugement n° 1502371 du 6 juillet 2017, le tribunal administratif de Grenoble a fait partiellement droit à sa demande en condamnant la commune de Villard-Bonnot à lui verser une indemnité de 1 000 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 septembre 2017, M. B..., représenté par la SCP Seloron-Hutt-Grangeon, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 6 juillet 2017 ;
2°) de condamner la commune de Villard-Bonnot à lui verser la somme de 46 449,07 euros au titre du préjudice de nuisance réparable par la construction d'un mur, la somme de 3 000 euros au titre du préjudice de vue et la somme de 1 000 euros au titre du préjudice résultant du dommage causé à une haie ;
3°) subsidiairement, de condamner la commune de Villard-Bonnot à lui verser la somme de 8 000 euros en réparation du mur détruit ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Villard-Bonnot une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- alors que sa propriété se trouvait au fond d'une impasse, dépourvue de nuisances sonores et visuelles, il subit désormais, du fait de la réalisation d'un chemin piéton en bordure de sa propriété, des nuisances sonores induite par la circulation des piétons, des nuisances inhérentes au passage des piéton liées au rejet de détritus, à des déjections canines ainsi que des nuisances liées à la lumière émanant des candélabres éclairant le chemin ; il subit un préjudice de vue et une atteinte à sa vie privée dès lors que les pièces de vie de son habitation donnent sur ce chemin piéton ; le risque d'effraction est accru dès lors que sa propriété est désormais plus visible et accessible, et il a d'ailleurs été victime d'un cambriolage quelques mois après l'ouverture à la circulation du chemin ; les nuisances sonores sont accentuées par la circonstance que le chemin, d'une largeur, de 3 mètres environ, est emprunté par des motocyclettes et scooters, sans que le maire de Villard-Bonnot ne fasse respecter le caractère piétonnier du chemin ; des piétons utilisent un raccourci pour éviter ce chemin et certains d'entre eux pénètrent sur sa propriété ; un mur mitoyen, qui existait avant les entre sa propriété et la parcelle appartenant à la commune, a été supprimé au cours des travaux, sans qu'il en ait été averti ou ait donné son accord ; la disparition de ce mur lui rend plus difficile l'entretien d'une haie ; les désordres ainsi causés à sa propriété ainsi que les nuisances subies du fait de la création de ce chemin piétonnier constituent ainsi un dommage anormal ou spécial susceptible d'indemnisation ;
- seule la réalisation d'un mur, nécessitant la dépose de la haie existante, serait de nature à faire disparaître le vis-à-vis et de protéger suffisamment sa propriété des nuisances induites par la création du chemin ; il est ainsi fondé à solliciter une indemnisation à hauteur de 46 449,07 euros à ce titre ;
- la pièce d'eau située à l'étage de son habitation est visible du chemin piétonnier de sorte qu'il subit un préjudice de vue dont l'indemnisation est évaluée à la somme de 3 000 euros ;
- les dommages occasionnés lors des travaux à la haie de lauriers longeant sa propriété constituent un préjudice à hauteur de 1 000 euros ;
- à titre subsidiaire, si la cour ne devait pas faire droit à l'indemnité sollicitée pour la réalisation d'un mur, il sollicite une indemnisation à hauteur de 8 000 euros correspondant à l'évaluation forfaitaire de la disparition du mur mitoyen et des difficultés d'entretien de la haie engendrée par l'absence de ce mur.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mai 2019, la commune de Villard-Bonnot, représentée par la SCP LSC, avocat, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du 6 juillet 2017 en tant que le tribunal administratif de Grenoble a prononcé à son encontre une condamnation au titre d'un préjudice anormal et spécial concernant la haie de M. B... ;
3°) et demande que soit mise à la charge de M. B... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- M. B..., en sa qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public, ne démontre aucun dommage anormal et spécial ayant un lien de causalité avec la construction du chemin litigieux ;
- la juridiction administrative n'est pas compétente en matière de préjudice de vue ; au surplus, ce préjudice est peu crédible au vu de la haie existante ;
- l'éclairage du chemin, orienté vers le bas, ne cause aucune nuisance particulière au voisinage ;
- le risque d'effraction accru, qui n'est pas établi, ne caractérise pas un préjudice anormal ;
- le mur mitoyen est toujours présent et se situe en partie hors périmètre des travaux ;
- M. B... ne justifie ni d'un préjudice, ni de la nécessité de créer un mur, ni de la conformité de la construction d'un tel mur avec les règles d'urbanisme applicables ;
- à l'issue des travaux, la commune a procédé à des aménagements afin de permettre à la haie de repousser, laquelle a repris son aspect initial, et le talus a été remblayé, de sorte que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il n'existe aucun préjudice anormal et spécial relatif à la création de chemin.
Par ordonnance du 21 mai 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 17 juin 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. François-Xavier Pin, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Marie Vigier-Carrière, rapporteur public,
- et les observations de Me Cantele, avocat (SCP LSC), représentant la commune de Villard-Bonnot.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... est propriétaire, depuis 1996, d'un terrain supportant sa maison d'habitation sur le territoire de la commune de Villard-Bonnot. En 2014, cette commune a entrepris d'aménager un cheminement piétonnier permettant d'accéder à divers équipements publics sur un terrain lui appartenant et jouxtant la propriété de M. B.... Estimant avoir subi un préjudice du fait, d'une part, des conditions dans lesquelles les travaux de réalisation de cette voie piétonne ont été exécutés et, d'autre part, de l'implantation de ce chemin, M. B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble la condamnation de la commune de Villard-Bonnot à lui verser la somme de 50 449,07 euros au titre des préjudices subis. Par un jugement du 6 juillet 2017, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune à verser à M. B... une indemnité de 1 000 euros en réparation du préjudice anormal et spécial lié à l'endommagement de la haie de lauriers bordant sa propriété au cours des travaux de réalisation du chemin. M. B... relève appel du jugement du 6 juillet 2017 en tant qu'il a limité ses prétentions indemnitaires à cette somme. La commune de Villard-Bonnot conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande à la cour d'annuler ledit jugement en ce qu'il l'a condamné à verser à M. B... la somme de 1 000 euros.
Sur la responsabilité de la commune de Villard-Bonnot :
En ce qui concerne la responsabilité du fait de l'existence de l'ouvrage public :
2. La mise en jeu de la responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics à l'égard d'un justiciable qui est tiers par rapport à l'ouvrage public est subordonnée à la démonstration par cet administré de l'existence d'un dommage grave et spécial et d'un lien de causalité entre cet ouvrage et les dommages subis. Les personnes mises en cause doivent pour dégager leur responsabilité établir que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure, sans que puisse être invoqué le fait du tiers. Il appartient au juge de porter une appréciation globale sur l'ensemble des chefs de dommages allégué.
3. M. B... soutient que l'aménagement de la voie de liaison piétonnière à l'arrière de sa propriété a occasionné pour lui un ensemble de gênes, consistant en des nuisances sonores, de vue et d'insécurité.
4. En premier lieu, M. B... se plaint de nuisances sonores induites par le passage de piétons sur le chemin en cause et à proximité de celui-ci le long de sa propriété, ce préjudice étant accru par la circonstance que, du fait de sa largeur, cette voie est empruntée, malgré l'interdiction, par des deux roues motorisées. Toutefois, d'une part, le requérant ne rapporte pas la preuve, en dépit des nombreuses photographies qu'il produit, que ce chemin serait utilisé par de tels véhicules à moteur. D'autre part, la maison d'habitation de M. B... se situait déjà avant travaux dans une partie urbanisée de la commune de Villard-Bonnot en face, au niveau de ce chemin, du bâtiment abritant les services techniques de la commune, d'un gymnase et de l'arrière de l'école communale.
5. En deuxième lieu, le requérant soutient être victime d'un préjudice de vue et d'atteinte à sa vie privée dès lors que plusieurs pièces de vie de son habitation, en particulier une pièce d'eau, donnent sur ce chemin piéton. Toutefois, il n'est pas établi que le préjudice ainsi invoqué serait supérieur à celui qui affecte tout résident d'une habitation située dans une zone urbanisée, alors au demeurant que la propriété de l'intéressé est protégée des vues sur le chemin par une haute haie.
6. En troisième lieu, si M. B... invoque une nuisance liée à la source lumineuse de l'éclairage public du chemin, il n'apporte aucun élément de nature à établir que cette lumière serait visible depuis sa propriété, alors que les candélabres, orientés vers le bas, éclairent le seul chemin piéton.
7. En quatrième lieu, si M. B... produit trois clichés photographiques faisant état de détritus se trouvant sur la voie privée d'accès à son terrain, ainsi qu'une photographie montrant un passant promenant un chien, ces pièces ne sont pas, à elles seules, de nature à établir le caractère certain des troubles d'incivilités dont se plaint l'intéressé.
8. En cinquième lieu, si le requérant fait valoir qu'il subit un préjudice d'insécurité accrue dès lors qu'il a été victime d'un cambriolage quelques mois après la mise en service du chemin piéton, il n'est pas démontré que le préjudice qu'il allègue, à le supposer établi, aurait pour origine la présence et le fonctionnement de l'ouvrage public.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les différents chefs de dommages invoqués, examinés dans leur ensemble, ne peuvent être regardés comme présentant un caractère grave et spécial dont la charge excède celle qu'il incombe normalement de supporter au riverain d'une voie publique.
En ce qui concerne la responsabilité du fait de l'exécution d'un travail public :
10. Même en l'absence de faute, le maître d'ouvrage ainsi que, le cas échéant, le maître d'ouvrage délégué, et les constructeurs chargés des travaux sont responsables solidairement à l'égard des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution d'un travail public. Ces personnes ne peuvent dégager leur responsabilité que si elles établissent que ces dommages sont imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime, sans que puisse être utilement invoqué le fait d'un tiers. Il appartient au tiers, victime d'un dommage de travaux publics, de rapporter la preuve du lien de cause à effet entre, d'une part, les travaux publics et, d'autre part, le préjudice dont il se plaint.
11. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la responsabilité sans faute de la commune de Villard-Bonnot, maître d'ouvrage des travaux d'aménagement du chemin piétonnier, est susceptible d'être engagée à l'égard de M. B..., tiers par rapport à ces travaux, dans la mesure toutefois où les dommages affectant sa propriété sont la conséquence directe desdits travaux.
12. En premier lieu, il résulte de l'instruction et notamment du constat d'huissier en date du 18 septembre 2014 établi à la demande de M. B..., que les travaux d'aménagement de la voie piétonne en cause ont nécessité une excavation du terrain au droit de la propriété du requérant sur une hauteur d'environ deux mètres. A l'occasion de la réalisation de ces travaux de décaissement, les racines de la haie de lauriers bordant la propriété de M. B... ont été mises à nu, les troncs abîmés et les feuilles des ramures de la haie brûlées par les gaz d'échappement des engins de chantier. Il s'ensuit qu'un tel dommage causé à la haie de M. B... par l'exécution des travaux liés à la réalisation de la voie publique, présente un caractère accidentel ouvrant droit à indemnité, alors même, ainsi que le soutient la commune en appel, que ce dommage n'a présenté qu'un caractère temporaire et qu'un remblaiement effectué à l'issue des travaux a permis, par la suite, à la haie en question de prospérer. Les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice ainsi subi par M. B... en condamnant la commune à lui verser la somme de 1 000 euros à ce titre.
13. En second lieu, M. B... sollicite, à titre subsidiaire, le versement d'une indemnité correspondant à la démolition entreprise lors des travaux et sans son accord, du mur mitoyen séparant sa propriété du terrain communal. Toutefois, à supposer même qu'une partie du mur séparatif de propriété ait été démolie à l'occasion des travaux, ce que conteste la commune, il résulte de l'instruction, notamment de l'accord de cession de terrain intervenu en 1904 et produit par le requérant lui-même, que le mur en question a été édifié sur le seul terrain communal. Dans ces conditions, le préjudice allégué n'est pas établi.
14. Il résulte de ce tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a limité à 1 000 euros le montant de l'indemnité dû à raison du préjudice qu'il a subi. La commune de Villard-Bonnot n'est pas davantage fondée, par la voie de l'appel incident, à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamnée à verser cette somme.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Villard-Bonnot, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie principalement perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune M. B... le versement d'une somme de 1 000 euros à la commune de Villard-Bonnot sur le fondement des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident présentées par la commune de Villard-Bonnot sont rejetées.
Article 3 : M. B... versera à la commune de Villard-Bonnot une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune de Villard-Bonnot.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Drouet, président de la formation de jugement,
Mme Caraës, premier conseiller,
M. Pin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 28 novembre 2019.
Le rapporteur,
F.-X. Pin
Le président,
H. DrouetLe greffier,
F. Abdillah
La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition,
Le greffier,
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N° 17LY03322
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