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18/11/2019 | FRANCE | N°17LY03949

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 18 novembre 2019, 17LY03949


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme G... C... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner le centre intercommunal d'action sociale (CIAS) de Manzat communauté à lui payer une somme de 25 000 (vingt-cinq mille) euros en réparation des préjudices matériel et moral ainsi que des troubles dans les conditions d'existence qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 1501908 du 21 septembre 2017, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requ

ête enregistrée le 21 novembre 2017, Mme C..., représentée par Me B... et Chabane, demand...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme G... C... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner le centre intercommunal d'action sociale (CIAS) de Manzat communauté à lui payer une somme de 25 000 (vingt-cinq mille) euros en réparation des préjudices matériel et moral ainsi que des troubles dans les conditions d'existence qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 1501908 du 21 septembre 2017, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 21 novembre 2017, Mme C..., représentée par Me B... et Chabane, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 21 septembre 2017 ;

2°) de mettre à la charge du CIAS de Manzat communauté la somme de 2 000 euros qui sera versée à la SCP B... et Associé sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

* la décision du 1er décembre 2014 de ne pas renouveler son engagement contractuel, constitue une décision de licenciement prise en méconnaissance de la procédure contradictoire en l'absence d'entretien préalable ;

* elle est dépourvue de motivation ;

* le CIAS de Manzat communauté doit être condamné à l'indemniser de son préjudice en raison de l'illégalité des conditions de son recrutement et du recours abusif, et donc fautif, à des contrats à durée déterminée ;

* le non renouvellement de son contrat n'est fondé sur aucun motif légitime, notamment pas sur l'intérêt du service, et avait pour seul but d'éviter de lui proposer un contrat de travail à durée indéterminée ;

* elle n'a jamais reçu le moindre reproche d'usagers, ni n'a été informée des prétendus signalements invoqués par le CIAS de Manzat communauté ; sa manière de servir ne saurait fonder le non renouvellement de son contrat ;

* son préjudice matériel doit être réparé par une indemnisation d'un montant de 10 000 euros et son préjudice moral ainsi que les troubles dans les conditions d'existence par un montant de 15 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2018, le CIAS de Manzat communauté, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme C... la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

Il soutient que :

* Mme C... ne remplissait pas les conditions pour bénéficier d'un contrat à durée indéterminée ;

* elle n'a donc pas été licenciée ; en tout état de cause, elle n'établit pas que l'absence d'entretien ou de motivation est la cause d'un préjudice ;

* il n'a pas procédé à un usage abusif des contrats à durée déterminée ; en tout état de cause, il n'est pas établi que cette circonstance serait à l'origine d'un préjudice.

Par ordonnance du 19 mars 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 26 avril 2019.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 janvier 2018.

Vu :

* la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

* la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

* le décret n° 88-145 du 15 février 1988 pris pour l'application de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale ;

* le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

* le rapport de M. Pierre Thierry, premier conseiller,

* et les conclusions de Mme D... H..., rapporteure publique ;

Une note en délibéré présentée par Mme C... a été enregistrée le 18 octobre 2019.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... a été recrutée pour assurer des fonctions d'aide à domicile par le SIVOM des Ancizes-Comps / Saint Georges de Mons du 21 juillet 2008 au 30 septembre 2010, en vertu de trois contrats successifs à durée déterminée. A la suite de la dissolution du SIVOM, Mme C... a été engagée par le centre intercommunal d'action sociale (CIAS) de Manzat communauté. Les deux contrats à durée déterminée ainsi conclus pour la période du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2012 stipulent qu'elle est recrutée pour des remplacements. Mme C... a ensuite continué d'exercer les mêmes fonctions pour la période du 1er octobre 2012 au 31 décembre 2014, en exécution de trois contrats successifs à durée déterminée établis " pour accroissement temporaire d'activité " " en application des dispositions de l'article 3-1 de la loi no84-53 du 26 janvier 1984 " à temps non complet (5/35ème). Par un courrier du 1er décembre 2014, le CIAS de Manzat communauté a informé Mme C..., alors placée en congé maladie depuis le 8 octobre 2014, qu'il ne renouvellerait pas son dernier contrat dont le terme est intervenu le 31 décembre de la même année. Par une demande du 19 juin 2015, Mme C... a adressé au CIAS de Manzat communauté une demande d'indemnisation en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi en raison de la décision du 1er décembre 2014. Elle relève appel du jugement rendu le 21 septembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande de condamnation du CIAS de Manzat communauté.

Sur la légalité de la décision du 1er décembre 2014 :

2. Aux termes de l'article 3-3 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, dans sa version applicable à la date de la décision litigieuse, " Par dérogation au principe énoncé à l'article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée et sous réserve de l'article 34 de la présente loi, des emplois permanents peuvent être occupés de manière permanente par des agents contractuels dans les cas suivants : / 1° Lorsqu'il n'existe pas de cadre d'emplois de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes ; 2° Pour les emplois du niveau de la catégorie A (...) ; /3° Pour les emplois de secrétaire de mairie (...) ; / 4° Pour les emplois à temps non complet des communes de moins de 1 000 habitants et des groupements composés de communes dont la population moyenne est inférieure à ce seuil, lorsque la quotité de temps de travail est inférieure à 50 % ; / 5° Pour les emplois des communes de moins de 2 000 habitants et des groupements de communes de moins de 10 000 habitants dont la création ou la suppression dépend de la décision d'une autorité qui s'impose à la collectivité ou à l'établissement en matière de création, de changement de périmètre ou de suppression d'un service public. / Les agents ainsi recrutés sont engagés par contrat à durée déterminée d'une durée maximale de trois ans. Ces contrats sont renouvelables par reconduction expresse, dans la limite d'une durée maximale de six ans. / Si, à l'issue de cette durée, ces contrats sont reconduits, ils ne peuvent l'être que par décision expresse et pour une durée indéterminée. ". L'article 3-4 de cette même loi dispose (dans sa version applicable à la date de la décision litigieuse) : " (...) II. - Tout contrat conclu ou renouvelé pour pourvoir un emploi permanent en application de l'article 3-3 avec un agent qui justifie d'une durée de services publics effectifs de six ans au moins sur des fonctions relevant de la même catégorie hiérarchique est conclu pour une durée indéterminée./ La durée de six ans mentionnée au premier alinéa du présent II est comptabilisée au titre de l'ensemble des services accomplis auprès de la même collectivité ou du même établissement dans des emplois occupés sur le fondement des articles 3 à 3-3. Elle inclut, en outre, les services effectués au titre du deuxième alinéa de l'article 25 s'ils l'ont été auprès de la collectivité ou de l'établissement l'ayant ensuite recruté par contrat. (...). ".

3. Il résulte de l'instruction que, pendant toute la période du 21 juillet 2008 au 31 décembre 2014, Mme C... a exercé les mêmes fonctions de façon ininterrompue au service de deux établissements successifs. Toutefois, Mme C... n'établit ni même ne soutient que ces contrats correspondaient à l'un des cinq cas de recrutement d'agents contractuels prévus par les dispositions précitées de l'article 3-3 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984. Elle n'est, par suite, pas fondée à soutenir qu'elle aurait dû bénéficier d'un contrat à durée indéterminée, ni, dès lors, que la décision du 1er décembre 2014 est constitutive d'un licenciement.

4. Un agent public qui a été recruté par un contrat à durée déterminée ne bénéficiant pas d'un droit à son renouvellement, la décision de ne pas renouveler l'engagement de Mme C... au service du CIAS de Manzat communauté n'est au nombre ni des décisions qui doivent être précédées d'un entretien préalable ni de celles qui doivent faire l'objet d'une motivation. Mme C... ne peut ainsi utilement se prévaloir de ce que la décision du 1er décembre 2014 ne comporte pas de motivation et de ce qu'elle n'a pas bénéficié d'un entretien préalable avant la fin du lien contractuel qui l'unissait au CIAS de Manzat communauté.

5. Le moyen tiré de ce que le non renouvellement de son contrat n'est fondé sur aucun motif légitime, notamment pas sur l'intérêt du service, et avait pour seul but d'éviter de lui proposer un contrat de travail à durée indéterminée, doit être écarté par les motifs retenus par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand au point 6 de son jugement, et qu'il y a lieu, pour la cour, d'adopter.

6. Si, comme il vient d'être dit, l'agent public qui a été recruté par un contrat à durée déterminée ne bénéficie pas d'un droit à son renouvellement, l'administration ne peut toutefois légalement décider, au terme du contrat, de ne pas le renouveler ou de proposer à l'agent, sans son accord, un nouveau contrat substantiellement différent du précédent, que pour un motif tiré de l'intérêt du service.

7. Le CIAS de Manzat communauté a fait état, pour justifier la fin de sa relation contractuelle avec Mme C... de la désorganisation du service générée par ses absences multiples et du mécontentement de certains usagers. Toutefois, à l'appui de ses affirmations, les pièces produites sont très insuffisantes : le CIAS ne produit qu'un tableau récapitulant les griefs ainsi évoqués. Celui-ci fait d'abord état de trois " réclamations d'usager " mais aucune n'est justifiée, l'une est au surplus ancienne (mars 2013) et les deux autres, étonnamment datées du même jour, sont imprécises, et pour l'une d'elle postérieure de près d'un mois à la dernière intervention de Mme C... chez cet usager. S'agissant des " problèmes internes au service " recensés par ce même tableau, au nombre de trois également, il s'agirait de trois absences inopinées qui ont nécessité des remplacements dans l'urgence par des collègues, entre le mois de mars 2014 et le mois de septembre de la même année. Mme C... indique toutefois, sans être contredite et en produisant un témoignage à l'appui, que de tels remplacements intervenaient fréquemment et qu'elle-même en avait assurés. Elle explique ces absences pour l'une par une panne de véhicule, qu'elle justifie par une facture de garagiste, et pour les deux autres par son état de santé. Par ailleurs, Mme C... produit quatre attestations faisant état de la satisfaction des personnes ayant bénéficié de ses services. De plus, la dernière évaluation professionnelle de l'intéressée ne fait nullement état de difficultés, relevant au contraire un " travail efficace, sa disponibilité et un bon relationnel ". Dans ces conditions, ni la désorganisation du service invoquée par l'employeur ni les difficultés avec les usagers ne sont établies. Par suite c'est à bon droit que Mme C... indique qu'en se fondant sur la manière insatisfaisante de servir pour ne pas renouveler son contrat, le CIAS de Manzat communauté a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation et que la décision du 1er décembre 2014 est entachée d'illégalité.

Sur la demande d'indemnisation de Mme C... :

8. Si les dispositions de la loi du 26 janvier 1984 offrent la possibilité aux collectivités territoriales de recourir à une succession par contrats à durée déterminée engageant des agents, pour procéder à des remplacements ou répondre à un accroissement temporaire d'activité, elles ne font cependant pas obstacle à ce qu'en cas de renouvellement abusif de tels contrats, l'agent concerné puisse se voir reconnaître un droit à l'indemnisation du préjudice éventuellement subi lors de l'interruption de la relation d'emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Dans cette hypothèse, il incombe au juge, pour apprécier si le recours à des contrats à durée déterminée successifs présente un caractère abusif, de prendre en compte l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment la nature des fonctions exercées, le type d'organisme employeur ainsi que le nombre et la durée cumulée des contrats en cause.

9. S'il est vrai que Mme C... a exercé pendant une durée de près de six ans et demi les mêmes fonctions et dans les mêmes conditions, ainsi qu'il a été mentionné au premier point du présent arrêt, la totalité de cette durée a été réalisée pour deux employeurs successifs. Il résulte de l'instruction que la relation de travail de Mme C... avec le CIAS de Manzat communauté s'est traduite, pour la période de quatre ans et trois mois qu'elle a duré, par la passation de cinq contrats ce qui ne caractérise pas une situation d'abus ni une faute de nature à engager la responsabilité du CIAS de Manzat communauté.

10. Mme C... n'est ainsi fondée à se prévaloir que du seul préjudice découlant de l'illégalité fautive de la décision du 1er décembre 2014 de nature à engager la responsabilité du CIAS de Manzat communauté.

Sur l'évaluation du préjudice :

11. Il résulte de l'instruction que Mme C... qui, selon son dernier contrat devait percevoir la rémunération afférente à l'indice brut 330, indice majoré 316, peut prétendre à une indemnité d'un montant dont il sera ainsi fait une juste appréciation en le fixant à 3 500 (trois mille cinq cents) euros pour solde de tout compte. Elle peut également se prévaloir d'un préjudice moral dont il sera fait une juste réparation par l'allocation d'une indemnité d'un montant de 1 000 (mille) euros.

12. Si Mme C... soutient qu'elle a également subi des troubles dans ses conditions d'existence, elle ne produit aucun élément de nature à justifier la réalité d'un tel préjudice. Ses conclusions sur ce point doivent par suite être rejetées.

Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative faisant obstacle à ce que soit mise à charge de Mme C..., qui n'est pas la partie perdante, une somme à ce titre, les conclusions du CIAS de Manzat communauté en ce sens doivent être rejetées.

14. Mme C... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, ses avocats, Me B... et Chabane peuvent se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CIAS de Manzat communauté la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros qui seront versés à Me B... et Chabane sous réserve que ceux-ci renoncent à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1501908 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 21 septembre 2017 est annulé.

Article 2 : Le CIAS de Manzat communauté est condamné à verser à Mme C... la somme de 4 500 (quatre mille cinq cents) euros en réparation de ses préjudices.

Article 3 : Le CIAS de Manzat communauté versera une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros à Me B... et Chabane avocats de Mme C..., sous réserve que ceux-ci renoncent à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Les conclusions du CIAS de Manzat communauté relatives aux frais non compris dans les dépens sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... C..., au centre intercommunal d'action sociale (CIAS) de Manzat communauté et à Me B... et Chabane.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2019, à laquelle siégeaient :

Mme E... A..., présidente de chambre,

Mme I..., présidente-assesseure,

M. Pierre Thierry premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 novembre 2019.

No 17LY039492


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17LY03949
Date de la décision : 18/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-12-03-02 Fonctionnaires et agents publics. Agents contractuels et temporaires. Fin du contrat. Refus de renouvellement.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: M. Pierre THIERRY
Rapporteur public ?: Mme CORVELLEC
Avocat(s) : BORIE et ASSOCIES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-11-18;17ly03949 ?
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