Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SAS Debeaux a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 6 mai 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique présenté par M. B... A..., a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 19 septembre 2014 autorisant le licenciement de M. A... et a refusé cette autorisation.
Par un jugement n° 1504270 du 6 février 2017, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 7 avril 2017, la SAS Debeaux, représentée par Me Bonnefoy-Claudet, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 6 février 2017 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision susmentionnée du 6 mai 2015 ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision contestée du 6 mai 2015 est insuffisamment motivée en tant qu'elle retire la décision du 18 mars 2015 par laquelle le ministre a implicitement rejeté le recours hiérarchique formé par M. A... contre la décision du 19 septembre 2014 de l'inspecteur du travail accordant l'autorisation de procéder à son licenciement pour motif économique ; cette décision n'indique pas avec précision les raisons qui ont conduit le ministre à annuler la décision de l'inspecteur du travail ;
- la décision de l'inspecteur du travail d'autoriser le licenciement pour motif économique de M. A... était suffisamment motivée ; le motif de la décision du 6 mai 2015, tiré d'une motivation prétendument insuffisante de la décision de l'inspecteur du travail du 19 septembre 2014, est erroné en fait ;
- elle a satisfait à ses obligations en matière de reclassement ; le tribunal, en considérant qu'elle n'avait pas procédé à un examen individuel des possibilités de reclassement du salarié et en considérant qu'elle avait communiqué une liste présentant une majorité de postes sans rapport avec la formation ou l'expérience de l'intéressé, a dénaturé les pièces du dossier et entaché son jugement d'une erreur de fait ;
- le jugement est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'elle ne disposait d'aucun autre poste que ceux proposés ;
- la décision du 6 mai 2015 est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation en ce qui concerne l'imprécision des propositions contenues dans le courrier du 19 juin 2014.
Par un mémoire enregistré le 18 septembre 2017, M. B... A..., représenté par Me Delgado, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la SAS Debeaux le versement d'une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 17 juillet 2018, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social conclut au rejet de la requête.
Il indique se référer au rapport établi par le contre-enquêteur de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) dans le cadre du recours hiérarchique formé par M. A....
Par une ordonnance du 27 juin 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 août 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller,
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public,
- les observations de Me Bonnefoy-Claudet avocat de la SAS Debeaux et celles de Me C..., substituant Me Delgado, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Debeaux, qui relève de la branche " transport " du groupe Transalliance, comptait cent-dix salariés répartis sur trois établissements dont celui de Saint-Priest (Rhône). Elle a mis en oeuvre en mars 2014 une procédure de licenciement pour motif économique en raison de la baisse du résultat d'exploitation et plus particulièrement, pour le site de Saint-Priest, d'une marge brute négative de l'activité dite " Général cargo ". La société a demandé aux services de l'inspection du travail l'autorisation de licenciement de M. A..., salarié protégé. Par une décision du 19 septembre 2014, l'inspecteur du travail a autorisé ce licenciement. M. A... a présenté un recours hiérarchique, qui a été implicitement rejeté. Toutefois, par une décision du 6 mai 2015, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique de M. A..., a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 19 septembre 2014 autorisant son licenciement et a refusé cette autorisation. La SAS Debeaux interjette appel du jugement n° 1504270 du 6 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette dernière décision.
2. En premier lieu, la décision contestée du 6 mai 2015 précise que la décision de l'inspecteur du travail " se borne à mentionner l'existence de mesures de reclassement sans préciser en quoi elles ont consisté " avant d'indiquer qu'elle doit en conséquence être annulée pour insuffisance de motivation. Contrairement à ce que soutient la société requérante, cette indication est suffisamment précise quant au motif retenu par le ministre, lequel constitue, implicitement mais nécessairement, le motif du retrait de la décision implicite de rejet du recours hiérarchique. Le moyen tiré de l'absence de motivation du retrait de la décision rejetant le recours hiérarchique de M. A... doit, dès lors, être écarté, de même que celui tiré de l'absence de précision quant au motif de l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail.
3. En deuxième lieu, la décision de l'inspecteur du travail en date du 19 septembre 2014, après avoir repris les motifs de la demande de licenciement économique présentée par la SAS Debeaux, précise l'existence d'un plan de sauvegarde et la circonstance que le poste de travail de M. A... a été effectivement supprimé, qu'un questionnaire a été adressé à l'intéressé le 9 avril 2014 et retourné le 12 avril suivant et mentionne que " des mesures de reclassement internes et externes ont été explicitement proposées à M. A... par courriers en date des 30 avril et 10 juin 2014 qui les a explicitement refusées par courrier en date des 7 mai et 10 juin 2014 " sans faire état de la nature et de l'adéquation des postes proposés à l'intéressé concernant son éventuel reclassement. Par suite, cette décision n'étant pas suffisamment motivée, c'est à bon droit que le ministre du travail, par la décision du 6 mai 2015, a procédé à son annulation.
4. En troisième et dernier lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié.
5. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, ce dernier étant entendu, à ce titre, comme les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. Au titre de son obligation de reclassement, l'employeur doit s'efforcer de proposer au salarié des offres de reclassement écrites, précises et personnalisées, portant, si possible, sur un emploi équivalent.
6. La SAS Debeaux a fait parvenir à M. A... par un courrier du 30 avril 2014, une liste de vingt-trois postes de reclassement parmi lesquels neuf postes de conducteur routier, dont sept sur une activité nationale soit conducteur longue distance et deux sur une activité régionale, ainsi qu'une liste détaillée de dix emplois de préparateur de commandes, manutentionnaire, opérateur emballeur, cariste en prestations logistiques, préparateur de véhicule, technico-commercial, chef de groupe et agent administratif. L'intéressé a répondu le 7 mai 2014 que l'ensemble des postes ne lui convenait pas en l'état compte tenu du volume horaire proposé et de son salaire de base, fondé sur un forfait de deux cents heures mensuelles pouvant aller à deux cent vingt heures. Il ressort des pièces du dossier que les postes proposés à M. A..., hormis les postes de conducteur routier, ne correspondaient pas à ses souhaits de reclassement, ni même à son expérience professionnelle telle que décrite par le curriculum vitæ de l'intéressé, et ne peuvent, dès lors, être considérés comme correspondant à des offres personnalisées adressées à ce salarié, lequel n'a pas refusé par principe tout reclassement mais avait indiqué qu'il n'accepterait aucune proposition de poste dont la qualification et/ou le statut serait inférieur à sa qualification et son statut actuel. Si la société requérante a également proposé à M. A... le 19 juin 2014 une liste de six postes de conducteur routier sous contrat à durée indéterminée, dont quatre en zone courte, cette liste ne comportait aucune indication sur les conditions d'embauche et de travail ou encore les conditions de rémunération. Compte tenu de ces circonstances, et alors que les propositions précitées étaient présentées sous la forme de listes qui ne contenaient pas une description précise du contenu des postes et des conditions d'embauche et ne constituaient pas des offres personnalisées adressées à ce salarié, la société requérante ne peut pas être regardée comme s'étant acquittée de son obligation de reclassement vis-à-vis de M. A....
7. Il résulte de ce qui précède que la SAS Debeaux n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que la SAS Debeaux demande au titre des frais exposés à l'occasion du litige soit mise à la charge de l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS Debeaux le paiement à M. A... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Debeaux est rejetée.
Article 2 : La SAS Debeaux versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Debeaux, à M. B... A... et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 octobre 2019.
2
N° 17LY01587