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25/06/2019 | FRANCE | N°18LY00666

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre - formation à 3, 25 juin 2019, 18LY00666


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SARL CRB Vercors a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision de rejet de sa réclamation préalable du 8 octobre 2015 et de constater la réalité de la charge liée à la facture de travaux datée du 31 janvier 2012, d'un montant de 284 247 euros.

Par un jugement n° 1507510 du 21 décembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 février 2018 et le 3 septembre 2

018, la SARL CRB Vercors, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SARL CRB Vercors a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision de rejet de sa réclamation préalable du 8 octobre 2015 et de constater la réalité de la charge liée à la facture de travaux datée du 31 janvier 2012, d'un montant de 284 247 euros.

Par un jugement n° 1507510 du 21 décembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 février 2018 et le 3 septembre 2018, la SARL CRB Vercors, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 21 décembre 2017 ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle été assujettie au titre des années 2010 et 2011 ;

3°) d'admettre en déduction de ses résultats de l'exercice clos en 2012, la facture de travaux du 31 janvier 2012, d'un montant de 284 247 euros ;

4°) d'ordonner le remboursement de la somme de 101 867,85 euros payée à ce jour suite à l'expiration du sursis de paiement survenu suite à la décision rendue en première instance ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SARL CRB Vercors soutient que :

- il est impossible que la société A...Bâtisseur ait enregistré, entre 2008 et 2012, 171 factures de matériaux non liés au chantier de la Tancannière dans le compte de charges qui lui est dédié, dans le seul but de permettre à son gérant de masquer, en 2012, des prélèvements en compte courant ;

- l'administration, qui a admis les précédentes factures, n'établit en rien le caractère disproportionné du prix mentionné sur la facture du 31 janvier 2012 ; elle-même établit à l'inverse la réalité de la prestation correspondante et l'absence de caractère disproportionné du prix qui y figure ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, elle avait soulevé des moyens concernant les rehaussements au titre des années 2010 et 2011 ;

- un débiteur peut céder sa créance et un tel fait se prouve par tous moyens.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er août 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que :

- la requérante n'a pas contesté en première instance les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des années 2010 et 2011, faute d'avoir soulevé des moyens s'y rapportant ; elle ne peut le faire pour la première fois en appel ; subsidiairement, les redressements correspondants sont justifiés ;

- il appartient en premier lieu à la société de prouver le principe de la déductibilité de la charge ; la présomption favorable qui est attachée à la production d'une facture régulière ne peut jouer quand la facture émane d'une entité avec laquelle la contribuable a des liens juridiques ;

- la requérante n'apporte pas la preuve de la réalité de la charge litigieuse ; elle n'a pas été en mesure, lors du contrôle, de fournir des états d'avancement des travaux ou situations de travaux ; la facture litigieuse ne comporte aucun détail des prestations rémunérées ; le rythme de facturation de la société A...Bâtisseur ne correspond pas au rythme des achats de matériaux ni au rythme de la vente des appartements ;

- la charge n'a été comptabilisée que pour dissimuler le solde débiteur du compte courant d'associé de M. A... dans les écritures de la société CRBV.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C..., première conseillère,

- et les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La société CRB Vercors, qui a pour activité l'achat, la construction et la vente de biens immobiliers, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à la suite de laquelle l'administration fiscale a notamment rejeté la déduction de la charge de 284 247 euros comptabilisée au titre de l'année 2012. Le résultat de la société étant demeuré néanmoins déficitaire au titre de l'exercice 2012, aucune cotisation d'impôt sur les sociétés n'a été mise en recouvrement. Par une réclamation du 17 avril 2015, la société CRB Vercors, a contesté le principe même du rejet de cette charge par le service. Elle a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à " l'annulation " de cette décision de rejet et à ce que la charge soit admise en déduction des résultats de l'exercice clos en 2012. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

2. Il résulte de l'instruction que si la vérification de comptabilité a donné lieu à des rappels d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2010 et en 2011, la société CRB Vercors n'a contesté, dans sa réclamation préalable, que la remise en cause, au titre de l'exercice clos en 2012, de la charge de 284 247 euros correspondant à une facture de travaux du 31 janvier 2012. La décision par laquelle l'administration a rejeté la réclamation préalable de la société portait également exclusivement sur ce point. Par suite, en demandant au tribunal administratif, tant dans son mémoire introductif d'instance que dans son mémoire en réplique, d'annuler cette décision et d'admettre le principe de la déduction de cette charge, la société CRB Vercors n'a pas contesté les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des années 2010 et 2011 mais seulement la remise en cause d'une charge au titre de l'exercice 2012. Elle n'a d'ailleurs articulé des moyens que s'agissant de ce point. Elle n'est donc pas recevable, ainsi que le soutient le ministre, à demander pour la première fois en appel la décharge des cotisations supplémentaires mises à sa charge à l'issue de la vérification de comptabilité ni, en tout état de cause, à demander le remboursement de la somme de 101 867,85 euros payée suite à l'expiration du sursis de paiement survenu suite à la décision rendue en première instance.

3. Aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire. / Relèvent de la même juridiction les réclamations qui tendent à obtenir la réparation d'erreurs commises par l'administration dans la détermination d'un résultat déficitaire (...) même lorsque ces erreurs n'entraînent pas la mise en recouvrement d'une imposition supplémentaire (...) ". Ces dispositions ont notamment pour objet de permettre, pour leur sécurité juridique, aux personnes dont un déficit catégoriel a été rectifié par l'administration mais dont le résultat demeure déficitaire, de contester ces rectifications sans avoir à attendre la mise en recouvrement des impositions supplémentaires susceptibles d'en résulter au titre d'exercices ultérieurs.

4. Aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

5. Il résulte de l'instruction que la société CRB Vercors a, au cours de la période vérifiée, réalisé une opération de réhabilitation d'un ancien hôtel en douze logements, intitulée " La Tancannière ", au titre de laquelle elle a comptabilisé, au titre de l'exercice clos en 2012, une charge d'un montant de 283 247 euros correspondant à une facture émise par la société A...Bâtisseur, qui a le même gérant que la société CRB Vercors en la personne de M. A....

6. Si l'existence d'une facture régulière, quoique succincte, n'est pas contestée, l'administration fait valoir que celle-ci est dépourvue d'une réelle contrepartie et présente un caractère fictif dès lors que sa véritable vocation est de dissimuler les prélèvements opérés par M. A... sur son compte courant d'associé.

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'à la date portée sur la facture litigieuse, les travaux de réalisation du programme immobilier " La Tancannière " étaient quasiment achevés, neuf des douze logements faisant l'objet du programme ayant déjà été vendus. Par ailleurs, l'administration a relevé, dans la proposition de rectification, qu'il résulte des termes des actes notariés de vente que les appartements ont été acquis " en l'état non achevé et non aménagé ", les travaux de rénovation et d'aménagement étant à la seule charge des acquéreurs. Ainsi, à supposer même que des travaux restaient à réaliser, ceux-ci ne pouvaient être que d'un faible montant. En se livrant à une interprétation, d'ailleurs erronée, des termes dans lesquels l'administration fait état des mentions des actes notariés dans la proposition de rectification, la société CRB Vercors, à laquelle il appartenait de produire, le cas échéant, les actes authentiques litigieux, étant seule en leur possession, n'établit pas, ni même ne soutient sérieusement, que des travaux de finition restaient à accomplir sur les appartements restant à vendre. Si la société CRB Vercors décrit par ailleurs dans ses écritures les prestations que recouvrait la facture litigieuse, elle ne produit aucun justificatif d'aucune sorte relatif à l'organisation ou au déroulement des travaux, à leur montant prévisionnel, ni encore document contractuel la liant à l'entreprise A...Bâtisseur, de nature à donner un caractère plausible à ses affirmations. Selon ces dernières, au demeurant, les prestations et achats de matériaux en cause se seraient rapportées, pour un montant de près de 230 000 euros, à des travaux effectués au cours des exercices clos en 2010 et 2011, les travaux n'ayant pas été facturés par la société A...Bâtisseurs au fur et à mesure de leur réalisation mais, " par fractions globales ". La requérante ne peut toutefois justifier la réalité d'une charge comptabilisée au titre de l'exercice clos en 2012 en faisant valoir qu'elle aurait dû être comptabilisée, pour l'essentiel, au titre des exercices antérieurs. Par ailleurs, la seule production par la société CRB Vercors des factures d'achats de matériaux de la société A...Bâtisseurs, dont elle soutient qu'elles doivent nécessairement, dans leur quasi-totalité être rattachée au chantier de " La Tancannière ", ne permet pas de démontrer que la société A...Bâtisseur aurait attendu janvier 2012 pour facturer des prestations réalisées au cours des exercices clos en 2010 et en 2011. Plus précisément, s'agissant des factures d'achats de matériaux, elles ne peuvent être rattachées dans leur grande majorité au chantier de " La Tancannière ", les mentions manuscrites n'offrant pas suffisamment de garanties d'authenticité comme le soutient l'administration, et alors que la société A...Bâtisseur effectuait un autre chantier pour le compte de la société CRB Vercors et qu'il n'est pas soutenu qu'elle n'en aurait réalisé aucun autre sur la période litigieuse. Pour finir, le rapport réalisé par un architecte extérieur au projet, postérieurement à l'achèvement du programme immobilier en 2014, qui s'efforce de déterminer un montant global de travaux plausible pour un tel bâtiment, sans d'ailleurs analyser l'état dans lequel il se trouvait quand la société l'a acquis, ne permet pas davantage d'apporter du crédit aux affirmations de la société, pas plus que la circonstance que l'immeuble est situé au bord d'une falaise, ce qui était connu de la requérante depuis son acquisition.

8. En second lieu, il résulte de l'instruction que la facture a été en partie payée au bénéfice de M. A..., ce qui lui a permis de ne pas présenter un solde débiteur de son compte courant d'associé en fin d'exercice. Si la société CRB Vercors soutient qu'elle avait cédé sa dette vis-à-vis de la société A...Bâtisseur à M. A..., il résulte toutefois de l'instruction qu'il a opéré, tout au long de l'exercice, des prélèvements par des chèques ou des virements, qui ne peuvent ainsi être regardés comme ayant servi au paiement, pour le compte de la société CRB Vercors d'une charge enregistrée dans la comptabilité seulement en fin d'exercice. Par ailleurs, d'une part, contrairement à ce que soutient la société requérante, qui avait notamment cédé pour 154 000 euros de valeur mobilières au cours de l'exercice et perçu le produit de la vente de six appartements dans le cadre du programme immobilier au titre duquel la société A...Bâtisseur est intervenue, sa situation de trésorerie ne l'empêchait nullement de régler sa supposée dette à l'égard de cette société. D'autre part, l'explication selon laquelle la société A...Bâtisseur ne souhaitait pas obtenir le paiement direct de la facture litigieuse en vue d'éviter que son établissement bancaire la prive de son découvert autorisé, outre qu'elle ne parait pas crédible, est démentie par le paiement direct à cette société des autres factures par la société CRB Vercors.

9. Ainsi, l'administration démontre que la facture en date du 31 janvier 2012, d'un montant de 283 247 euros émise par la société A...Bâtisseur, ne comportait aucune contrepartie pour la CRB Vercors, et présentait ainsi un caractère fictif. L'administration pouvait donc à bon droit refuser de l'admettre en déduction des résultats de la société.

10. Il résulte de ce qui précède que la société CRB Vercors n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SARL CRB Vercors est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL CRB Vercors et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 28 mai 2019, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Menasseyre, présidente-assesseure,

Mme C..., première conseillère.

Lu en audience publique le 25 juin 2019.

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N° 18LY00666

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY00666
Date de la décision : 25/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-04-02-01-04 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. Bénéfices industriels et commerciaux. Détermination du bénéfice net.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Camille VINET
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : SELARL MARY MOREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-06-25;18ly00666 ?
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