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02/05/2019 | FRANCE | N°18LY01892

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre - formation à 3, 02 mai 2019, 18LY01892


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A...E...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 27 mars 2018 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a désigné le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant un an.

Par un jugement n° 1801959 du 30 avril 2018, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 27 mars 2018 et a enjoint au préfet de l'Isère de ré

examiner la situation de M. E...dans un délai d'un mois à compter de la notification du ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A...E...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 27 mars 2018 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a désigné le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant un an.

Par un jugement n° 1801959 du 30 avril 2018, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 27 mars 2018 et a enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer la situation de M. E...dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de le mettre en possession, dans un délai de deux jours, d'une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 25 mai 2018, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 30 avril 2018 et de rejeter la demande de M.E....

Il soutient que c'est à tort que le premier juge a considéré que l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales est méconnu.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2018, M. E..., représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête et demande qu'il soit enjoint au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt et, à défaut, d'enjoindre le réexamen de sa demande sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Il demande en outre que soit mis à la charge de l'État le paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire est insuffisamment motivée ;

- son droit d'être entendu et protégé par le droit de l'Union européenne, a été méconnu ;

- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- les décisions de refus de délai de départ volontaire et d'interdiction de retour sur le territoire français pendant un an ne sont pas motivées ;

- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

M. E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 17 avril 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Chevalier-Aubert, présidente-assesseure ;

Considérant ce qui suit :

1. M.E..., ressortissant tunisien né le 5 décembre 1983, déclare être entré en France " il y a environ deux ans " après avoir régulièrement séjourné en Italie depuis 2012. Après une interpellation en France lors d'un contrôle routier, le préfet de l'Isère a, par un arrêté du 27 mars 2018, obligé M. E...à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a désigné le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant un an. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 30 avril 2018 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. E...dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de le mettre en possession, dans un délai de deux jours, d'une autorisation provisoire de séjour.

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. M.E..., entré en France pour la dernière fois environ selon ses déclarations, deux ans avant la date de la décision en litige, a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement le 19 avril 2012. Son mariage, le 24 février 2018, avec une compatriote, titulaire d'une autorisation provisoire de séjour en qualité d'" étudiant en recherche d'emploi " valable jusqu'au 27 août 2018, était très récent à la date de la décision en litige. S'il fait valoir que son épouse et lui-même disposent de promesses d'embauche, M. E...ne justifie pas d'une insertion particulière en France et de l'impossibilité pour le couple de poursuivre leur vie familiale et privée dans leur pays d'origine où résident ses parents et frères et soeurs. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire a porté à sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Le préfet est, dans ces conditions, fondé à soutenir que c'est à tort que par son, jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a retenu un tel moyen pour annuler son arrêté du 27 mars 2018.

4. Il y a toutefois lieu pour la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E...tant en première instance qu'en appel.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire qui vise les textes dont il est fait application et énonce de manière précise et circonstanciée les différents motifs de fait tenant à la situation particulière de M.E..., notamment l'ancienneté de son séjour en France et la présence de son épouse sur le territoire français, sur lesquels elle est fondée, est suffisamment motivée au regard des exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.

6. En deuxième lieu, lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit national de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Toutefois, ce droit n'oblige pas l'autorité nationale compétente, préalablement à l'audition organisée en vue de l'adoption de la mesure d'éloignement, à communiquer les éléments sur lesquels elle entend fonder celle-ci ni à laisser un délai de réflexion à l'intéressé avant de recueillir ses observations, dès lors qu'il a la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue au sujet de l'irrégularité de son séjour et des motifs pouvant justifier, en vertu du droit national, que cette autorité s'abstienne de prendre une décision d'éloignement.

7. Il ressort des pièces du dossier qu'au cours de l'audition de M. E...par les services de police le 27 mars 2018, laquelle portait notamment sur sa situation administrative sur le territoire national, il a été en mesure de présenter ses observations tenant à sa situation personnelle et susceptibles de faire obstacle à une mesure d'éloignement. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux ni qu'il aurait été empêché de présenter spontanément des observations avant que ne soit prise la mesure d'éloignement qu'il conteste. Par suite, M. E...n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé du droit d'être entendu.

8. En troisième lieu, il ne ressort ni des pièces du dossier ni des termes de la décision en litige, que le préfet de l'Isère n'aurait pas procédé à un examen préalable de la situation de M. E....

9. En dernier lieu, cette décision qui, comme il a été dit au point 3, ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8, n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur la décision fixant le pays de destination :

10. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

11. La décision en litige précise que M. E...est de nationalité tunisienne, qu'il peut être reconduit à destination du pays dont il a la nationalité, ou tout autre pays membre de l'Union européenne, ou avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen où il est légalement admissible. Il est aussi mentionné que M. E...n'établit pas que sa vie serait menacée en cas de retour dans son pays d'origine, ni qu'il y serait exposé à des peines ou traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, cette décision est suffisamment motivée.

Sur les décisions portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et interdiction de retour :

12. En vertu du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'interdiction de retour et sa durée, pouvant atteindre deux ans si un délai de départ volontaire a été accordé à l'étranger obligé de quitter le territoire français et trois ans si un tel délai ne lui a pas été accordé, doivent être décidées " en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

13. Ces décisions visent les textes dont elles font application et sont notamment motivées par la faible durée de séjour en France de M. E...et le fait qu'il a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement le 19 avril 2012. Par suite ces décisions sont suffisamment motivées.

14. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués aux points 3 et 9 les décisions portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et interdiction de retour d'un an sur le territoire français ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

15. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à la demande de M. E...et, par suite, à en demander l'annulation. Les conclusions de M. E...à fins d'injonction doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté en litige du 27 mars 2018.

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse quelque somme que ce soit à M. E...au titre des frais exposés dans l'instance et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble n° 1801959 du 30 avril 2018 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. E...présentées tant en première instance qu'en appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de l'Isère, à M. A...E...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.

Délibéré après l'audience du 1er avril 2019, à laquelle siégeaient :

M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,

Mme Virginie Chevalier-Aubert, présidente-assesseure,

Mme C...B..., première conseillère.

Lu en audience publique le 2 mai 2019.

2

N° 18LY01892


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY01892
Date de la décision : 02/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. ALFONSI
Rapporteur ?: Mme Virginie CHEVALIER-AUBERT
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : GHANASSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-05-02;18ly01892 ?
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