Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté en date du 1er juin 2017 par lequel le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre à cette autorité de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 300 euros, à verser à son conseil, au titre des frais non compris dans les dépens.
Par un jugement n° 1705478 du 19 décembre 2017, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 12 mars 2018, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 19 décembre 2017 et l'arrêté du 1er juin 2017 du préfet du Rhône ;
2°) d'enjoindre au préfet du Rhône de lui délivrer un titre de séjour portant la mention vie privée et familiale ou à tout le moins une autorisation provisoire de séjour jusqu'à réinstruction de sa demande de titre de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1500 euros qui sera versée à son conseil, MeA..., sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la décision de refus de titre de séjour :
* la décision est insuffisamment motivée ;
* elle est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'elle n'a pas été précédée de l'avis du collège des médecins du service médical l'Office français de l'immigration et de l'intégration en méconnaissance des articles R. 313-22 et R. 313-23 et alors que son dossier médical a été reçu par les services de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le 17 mai 2017 avant la décision attaquée ; dès lors que le préfet du Rhône a entendu faire application de la nouvelle procédure en vigueur depuis le 1er janvier 2017, il lui appartenait de la respecter ;
* le tribunal administratif de Lyon a entaché son jugement d'une erreur d'appréciation en considérant que la décision attaquée n'avait pour seul objet que de fournir de façon explicite les motifs du rejet intervenu par décision implicite de rejet du 23 octobre 2015 dès lors que la décision prend en considération des éléments postérieurs à cette date ;
* la remise par les services du préfet du Rhône du formulaire médical à transmettre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration ne saurait constituer une nouvelle demande de titre de séjour ;
* elle est entachée d'un second vice de procédure dès lors que le préfet du Rhône ne l'a pas averti de son intention de lui refuser un titre de séjour et ne l'a pas invité à présenter ses observations sur sa capacité à voyager sans risque ;
* le préfet du Rhône a entaché sa décision d'une erreur de droit en se fondant sur des éléments généraux ne se rapportant pas à sa situation médicale particulière sur la possibilité de disposer d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine ;
* le préfet du Rhône n'a pas procédé à un examen complet et particulier de sa situation personnelle et familiale ;
* elle méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
* elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
* elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
* elle méconnaît l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
* elle doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
* elle est entachée des mêmes vices de procédure que ceux soulevés précédemment sur l'absence d'information sur l'intention du préfet du Rhône de prendre à son encontre une obligation de quitter le territoire français ;
* elle méconnaît les articles L. 311-4 et R. 311-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui interdisent de prononcer une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'une personne dont une demande de titre de séjour est en cours d'examen ;
* elle méconnaît l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version issue de la loi du 7 mars 2016 qui oblige le préfet du Rhône à examiner la possibilité d'un accès effectif à un traitement approprié dans son pays d'origine ;
* elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur le délai de départ volontaire :
* le refus de lui accorder un délai supérieur à trente jours doit être annulé par voie de conséquence de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
* elle doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
* le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
* le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. Pierre Thierry, rapporteur ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant géorgien, né en 1989, expose qu'il est entré sur le territoire français le 20 janvier 2013 en compagnie de ses deux parents, après avoir fui son pays d'origine et qu'il a présenté une demande d'asile qui a été rejetée. Il a formé le 25 juin 2015, une demande de titre de séjour au titre de sa santé, sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 1er juin 2017, le préfet du Rhône a rejeté cette demande et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination. M. B... relève appel du jugement du 19 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation dirigée contre cet arrêté.
Sur la décision de refus de titre de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version issue de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. ". L'article R. 313-22 du même code, dans sa version issue du décret du 28 octobre 2016 dispose : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. (...) ".
3. M. B... expose sans être contredit que lorsqu'il s'est présenté aux services de la préfecture du Rhône le 2 mai 2017, un dossier médical à compléter et à remettre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, en vue de son examen par le collège des médecins de cet office, lui a été remis. Ce dossier a été reçu par les services de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le 17 mai 2017, antérieurement à la décision attaquée du 1er juin 2017 et alors que ledit collège n'avait pas rendu l'avis prévu par les dispositions citées au point précédent. M. B... soutient que faute d'avoir attendu cet avis, la décision lui refusant un titre de séjour est entachée d'un vice de procédure.
4. En vertu de l'article 67 de la loi du 7 mars 2016, les dispositions précitées qui ne sont applicables qu'aux demandes de titre de séjour formées à partir du 1er janvier 2017, ne l'étaient pas à la demande de M. B... formée le 25 juin 2015. Par suite, s'il était loisible au préfet de soumettre, pour avis, le cas de M. B... au collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, compte tenu du caractère facultatif, au cas d'espèce, de cette consultation, le préfet du Rhône pouvait y renoncer à tout moment et prendre sa décision. M. B... n'est par suite pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Lyon a écarté le moyen tiré d'un vice de procédure résultant de l'absence d'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
5. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable à la décision attaquée : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, (...). La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence (...) ".
6. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle.
7. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. Le juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, forme sa conviction au vu de ces échanges contradictoires et des éventuelles mesures d'instruction qu'il peut ordonner en complément en cas de doute.
8. Par un avis du 25 mai 2016 le médecin de l'agence régionale de santé a indiqué que l'état de santé de M. B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, qu'il n'existait pas de traitement approprié à cet état de santé dans son pays d'origine et qu'en l'état, les soins devaient être poursuivis pendant 12 mois. Cet avis doit être regardé comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer que l'état de santé de M. B... était de nature à justifier la délivrance d'un titre de séjour.
9. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été victime d'une violente agression dans son pays d'origine en août 2007 ayant provoqué plusieurs fractures dont celle de la 4ème vertèbre lombaire. Hospitalisé pendant plusieurs mois, il a fait l'objet d'interventions chirurgicales, notamment afin de replacer et de fixer la vertèbre fracturée avec des plaques métalliques et des vis dont il a été établi en France, qu'elles ont été mal positionnées. Il en résulte pour l'intéressé de vives douleurs évaluées entre 8 et 9 sur 10 ainsi que l'impossibilité d'une nouvelle intervention chirurgicale réparatrice en raison des risques neurologique et infectieux encourus. Il ressort également des pièces produites par l'intéressé qu'il bénéficie en France d'un traitement antidouleur ainsi que d'un suivi et d'un traitement psychologique en raison d'un syndrome dépressif sévère et qu'il a besoin de l'assistance de sa mère pour tous les actes qui demandent des efforts physiques mêmes modérés.
10. Le préfet du Rhône, qui n'était pas lié par l'avis du médecin inspecteur de santé, a toutefois refusé de délivrer le titre de séjour demandé par le requérant en se fondant sur une attestation en date du 13 juin 2013 du médecin référent de l'ambassade de France en Géorgie, selon lequel "les soins pour les affections psychologiques existent en Géorgie et répondent aux standards internationaux tels qu'ils sont définis par l'organisation mondiale de la santé, les adultes peuvent être traités par plusieurs centres spécialisés et le système sanitaire géorgien est à même de traiter la majorité des maladies courantes". S'il ressort de cette attestation que le suivi psychologique du requérant est susceptible de se poursuivre dans son pays d'origine, les termes généraux dans lesquels elle est rédigée ne permettent pas d'établir qu'il pourrait également y bénéficier de la poursuite du traitement rendu nécessaire par le mauvais positionnement des vis destinées à remettre en place sa vertèbre fracturée. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'ensemble des moyens de sa requête, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a refusé d'annuler la décision de refus de titre de séjour qui lui a été opposée ainsi que, par voie de conséquence, les autres décisions contenues dans l'arrêté du 1er juin 2017 du préfet du Rhône.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Aux termes de l'article L 911-1 du code de justice administrative : " lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ;
12. Eu égard aux motifs qui fondent l'annulation des décisions contestées, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet du Rhône délivre à M. B... un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu de prescrire cette mesure dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions relatives à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur les frais non compris dans les dépens :
13. M. B... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir de ces dispositions. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros qui seront versés à MeA..., conseil de M. B....
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1705478 du tribunal administratif du 19 décembre 2017 et l'arrêté du 1er juin 2017 du préfet du Rhône sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention vie privée et familiale dans les deux mois qui suivront la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à MeA..., conseil de M. B..., en application en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M.C... B..., à Me A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera délivrée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 19 mars 2019 à laquelle siégeaient :
M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,
Mme Virginie Chevalier-Aubert, présidente assesseure,
M. Pierre Thierry, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 avril 2019.
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N° 18LY00968