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07/03/2019 | FRANCE | N°18LY03934

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre - formation à 3, 07 mars 2019, 18LY03934


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 21 septembre 2018 par lequel le préfet de la Drôme a décidé sa remise aux autorités autrichiennes pour l'examen de sa demande d'asile et de la décision du même jour par laquelle le préfet l'a assignée à résidence.

Par un jugement n° 1806644 du 23 octobre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions et a enjoint au préfet de la Drôme d'autoriser Mm

e B... à présenter sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asil...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 21 septembre 2018 par lequel le préfet de la Drôme a décidé sa remise aux autorités autrichiennes pour l'examen de sa demande d'asile et de la décision du même jour par laquelle le préfet l'a assignée à résidence.

Par un jugement n° 1806644 du 23 octobre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions et a enjoint au préfet de la Drôme d'autoriser Mme B... à présenter sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 30 octobre 2018, le préfet de la Drôme demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 23 octobre 2018 ;

2°) de rejeter la demande de Mme B... devant le tribunal administratif.

Il soutient que le motif d'annulation retenu par le premier juge est infondé et que le premier juge ne pouvait lui enjoindre d'enregistrer la demande d'asile de l'intéressée ni de lui délivrer une attestation de demande d'asile, seul le préfet de l'Isère étant compétent, aux termes de l'article 1 de l'arrêté du 7 avril 2010, à cette fin.

Par un mémoire enregistré le 27 novembre 2018, présenté pour Mme B..., elle conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Drôme et de l'Isère de lui remettre un dossier de demande d'asile et une autorisation provisoire de séjour et à ce que soit mise à la charge de l'État le paiement à son conseil, sous réserve qu'il renonce à l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 décembre 2018.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté du 20 octobre 2015 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat responsable de leur traitement ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Seillet, président,

- les observations de Me Duvergier, avocat de Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante nigériane née le 12 décembre 1995 à Bénin City (Nigéria), qui déclare être entrée irrégulièrement en France le 5 mars 2018, s'est présentée à la préfecture de l'Isère pour y déposer une demande d'asile le 16 mars 2018. Le système Eurodac a révélé qu'elle avait déposé une précédente demande en Autriche le 28 novembre 2015. Les autorités autrichiennes, saisies d'une demande de reprise en charge le 15 mai 2018, ont donné leur accord le 25 mai 2018. Le 28 août 2018, le préfet de la Drôme a ordonné son transfert vers l'Autriche. Par une décision du même jour, il l'a assignée à résidence. Par un jugement du 19 septembre 2018, confirmé par un arrêt de la cour du 10 décembre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé, au motif d'une motivation insuffisante de la décision de transfert, les arrêtés du préfet de la Drôme du 28 août 2018 et enjoint audit préfet de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le 21 septembre 2018, le préfet de la Drôme a ordonné à nouveau le transfert vers l'Autriche de l'intéressée. Le préfet de la Drôme interjette appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :

2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ".

3. La faculté laissée à chaque État membre par ces dispositions de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

4. Mme B... fait valoir avoir été victime en Grèce, puis en Autriche, de traite des êtres humains, faits pour lesquels elle a déposé plainte en France le 8 août 2018, avec le soutien d'une structure spécialisée dans l'accompagnement des femmes victimes de violences et de personnes prostituées ou en danger de prostitution, située à Valence. Elle a également produit des certificats médicaux du 30 mai 2018 et du 3 juillet 2018, établis par un praticien du service de Pneumologie Maladies Infectieuses du Centre Hospitalier de Valence, attestant qu'elle est atteinte du virus de l'immunodéficience active (VIH) qui a été détecté en Autriche en mai 2017 et qu'un traitement a été instauré. En défense, le préfet ne conteste pas la réalité et la gravité de cette pathologie. Toutefois, d'une part, les éléments qu'elle produit ne permettent pas de corroborer ses allégations, dont elle n'avait au demeurant pas fait état lors de l'entretien individuel en préfecture, quant aux violences qu'elle aurait subies en Autriche et il ne ressort pas des pièces du dossier que ce pays ne pourrait pas lui assurer une protection contre le réseau de prostitution dont elle fait état. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités autrichiennes seraient dans l'impossibilité de prendre en charge sa pathologie, ni que l'intéressée serait dans l'impossibilité de rejoindre ce pays sans risque. Dès lors, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui permet à un État d'examiner la demande d'asile d'un demandeur même si cet examen ne lui incombe pas en application des critères fixés dans ce règlement. Par suite, c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur ce motif pour annuler les décisions en litige.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme B....

Sur les moyens soulevés par Mme B... :

6. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

7. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

8. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre État membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet État, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert à fin de reprise en charge qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'État en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.

9. L'arrêté de transfert du 21 septembre 2018 en litige, qui vise notamment l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, se borne, après avoir précisé les circonstances de l'entrée et du séjour irréguliers de Mme B... sur le territoire français, à mentionner que les empreintes digitales de l'intéressée étaient identiques à celles relevées le 28 novembre 2015 par les autorités autrichiennes et que ces autorités, saisies le 15 mai 2018 d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18 paragraphe 1 point b) du règlement n° 604/2013, ont accepté leur responsabilité par un accord explicite du 25 mai 2018, en application des articles 22.7 et 25.2 du même règlement. Ces énonciations, qui ne relèvent pas que l'intéressée a antérieurement présenté une demande d'asile en Autriche, ne font ainsi pas état des éléments et indices permettant de déterminer la responsabilité des autorités autrichiennes, requises aux fins de reprise en charge de l'intéressée, et ne l'ont pas mise à même de comprendre les motifs de la décision pour lui permettre d'exercer utilement son recours. Dès lors, la décision litigieuse est insuffisamment motivée au regard des exigences des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Drôme n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement, attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions en litige.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

11. Aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. "

12. Le présent arrêt implique seulement qu'il soit statué de nouveau sur le cas de Mme B... et qu'elle soit munie, durant cet examen, d'une attestation de demande d'asile. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à l'autorité compétente de procéder au réexamen de la situation de l'intéressée dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de la munir, dans cette attente, d'une telle attestation si elle ne lui a pas déjà été remise.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Mme B... ayant été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle, elle peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Duvergier, avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État la somme de 800 euros au profit de Me Duvergier au titre des frais exposés dans la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Les conclusions de la requête du préfet de la Drôme dirigées contre les articles 1er à 3 du jugement n° 1806644 du 23 octobre 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble sont rejetées.

Article 2 : Il est enjoint à l'autorité compétente de procéder au réexamen de la situation de Mme B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de la munir, dans cette attente, d'une telle attestation si elle ne lui a pas déjà été remise.

Article 3 : L'article 4 du jugement du 23 octobre 2018 est modifié en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'État versera la somme de 800 euros à Me Duvergier, avocat de Mme B..., au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme B... et à Me Duvergier.

Copie en sera adressée au préfet de la Drôme, au préfet de l'Isère et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Valence.

Délibéré après l'audience du 14 février 2019 à laquelle siégeaient :

M. Seillet, président,

M. Souteyrand, président assesseur,

M. Savouré, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 mars 2019.

N° 18LY03934 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY03934
Date de la décision : 07/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095


Composition du Tribunal
Président : M. SEILLET
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: Mme BOURION
Avocat(s) : DUVERGIER

Origine de la décision
Date de l'import : 19/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-03-07;18ly03934 ?
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