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28/02/2019 | FRANCE | N°18LY04177

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre a - formation à 3, 28 février 2019, 18LY04177


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... A...B...a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 3 juillet 2017 par laquelle le préfet du Rhône a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse et de ses deux enfants.

Par un jugement n° 1708335 du 3 octobre 2018, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision, a enjoint au préfet du Rhône d'admettre au regroupement familial, dans un délai de deux mois, l'épouse et les deux enfants de M. A...B...et a mis à la charge de l'Eta

t la somme de 900 euros en application des dispositions de l'article L 761-1 du code...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... A...B...a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 3 juillet 2017 par laquelle le préfet du Rhône a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse et de ses deux enfants.

Par un jugement n° 1708335 du 3 octobre 2018, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision, a enjoint au préfet du Rhône d'admettre au regroupement familial, dans un délai de deux mois, l'épouse et les deux enfants de M. A...B...et a mis à la charge de l'Etat la somme de 900 euros en application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour

I - Par une requête enregistrée le 17 novembre 2018, sous le n° 1804179, le préfet du Rhône demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lyon du 3 octobre 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. A... B... devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé que la décision de refus opposée à M. A...B...méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que, d'une part, en déduisant des revenus de l'intéressé le montant de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, que le tribunal a à tort considéré comme une retraite complémentaire, ses revenus mensuels d'environ 480 euros sont très inférieurs aux ressources exigées à l'article L 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais aussi à celles nécessaires pour subvenir aux besoins de son épouse et de leurs deux enfants, d'autre part, outre le fait qu'il a attendu plus de cinq avant de présenter une demande de regroupement familial pour son épouse, il n'établit pas ne pouvoir reconstituer la cellule familiale en Tunisie ou, a minima, s'y déplacer régulièrement pour rendre visite à sa famille, alors qu'il peut en France si son état de santé le requiert, bénéficier d'une assistance médicale.

- la décision de refus ne méconnaît pas des dispositions de l'article 3-1 de la convention internationale de New York relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2019, M. A...B..., représenté par Me Rodrigues, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative.

M. A...B...soutient que la requête n'est pas fondée.

II - Par une requête enregistrée le 30 octobre 2018, sous le n° 1804177, le préfet du Rhône demande à la cour de prononcer, sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Lyon du 3 octobre 2018.

Il soutient que :

- à l'appui de sa requête au fond à fin d'annulation du jugement du tribunal du 3 octobre 2018, il a présenté un moyen sérieux, tiré de ce que c'est à tort que le tribunal a estimé que la décision de refus opposée à M. A...B... méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors que, d'une part, ses ressources sont largement insuffisantes pour subvenir aux besoins de son épouse et de leurs deux enfants, d'autre part, il n'établit pas ne pouvoir reconstituer la cellule familiale en Tunisie ou, a minima, s'y déplacer régulièrement pour rendre visite à sa famille.

- le jugement en litige est susceptible d'entraîner des conséquences irréparables.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2019, M. A...B..., représenté par Me Rodrigues, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative.

M. A...B...soutient que la requête n'est pas fondée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention internationale sur les droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Souteyrand, président-assesseur ;

Considérant ce qui suit :

1. Il y a lieu de joindre, pour qu'il y soit statué par un même arrêt, les requêtes susvisées du préfet du Rhône qui tendent respectivement à l'annulation et au sursis à l'exécution du même jugement.

2. M. A...B..., ressortissant tunisien, qui est né le 27 janvier 1950 et est entré irrégulièrement en France en 1997 selon ses dires, a bénéficié en qualité de parent d'un enfant français, de titre de séjours temporaires, puis en 2006, d'une carte de résident valable dix ans qui a été renouvelée en 2016. Il a présenté le 29 août 2016 une demande de regroupement familial au bénéfice de Mme C...qu'il a épousé, en seconde noce, le 3 septembre 2011 en Tunisie et de deux de leurs enfants nés respectivement en 2012 et 2014. Par décision du 3 juillet 2017, le préfet du Rhône a rejeté sa demande. Le préfet du Rhône relève appel du jugement du 3 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision et lui a enjoint d'admettre au regroupement familial, dans un délai de deux mois, l'épouse et les deux enfants, et demande qu'il soit sursis à l'exécution dudit jugement.

Sur les conclusions de la requête du préfet du Rhône aux fins d'annulation du jugement :

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par les premiers juges :

3. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. ". Aux termes de l'article L. 411-5 du même code : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales, de l'allocation équivalent retraite et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 5423-1 et L. 5423-2 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 441-1 fixe ce montant qui doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième. Ces dispositions ne sont pas applicables lorsque la personne qui demande le regroupement familial est titulaire de l'allocation aux adultes handicapés mentionnée aux articles L. 821-1 ou L. 821-2 du code de la sécurité sociale ou de l'allocation supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-24 du même code ou lorsqu'une personne âgée de plus de soixante-cinq ans et résidant régulièrement en France depuis au moins vingt-cinq ans demande le regroupement familial pour son conjoint et justifie d'une durée de mariage d'au moins dix ans ; (...) ". Aux termes de l'article R. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour l'application du 1° de l'article L. 411-5, les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimenteront de façon stable le budget de la famille sont appréciées sur une période de douze mois par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période. Ces ressources sont considérées comme suffisantes lorsqu'elles atteignent un montant équivalent à :/ - cette moyenne pour une famille de deux ou trois personnes (...) ". Aux termes de l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale : " Toute personne justifiant d'une résidence stable et régulière sur le territoire métropolitain (...) et ayant atteint un âge minimun bénéficie d'une allocation de solidarité aux personnes âgées dans les conditions prévues au présent chapitre (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises. Le préfet dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les dispositions précitées, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Il est constant que les revenus moyens nets mensuels de 1 213,72 et 1 003,09 euros, perçus respectivement au titre de l'année 2016 et de l'année 2017 par M. A... B..., étaient inférieurs au SMIC, qui s'élevait à 1 240 euros nets sur la période considérée. Ils faisaient donc obstacle à ce que M. A...B...obtienne de plein droit la délivrance d'une autorisation de regroupement familial au profit de son épouse et de leurs deux enfants. En premier lieu, les ressources dont disposait M. A...B...sont donc, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, très inférieures au revenu de référence précité. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A...B...vit depuis 2006 en France, où il a travaillé, avec une carte de résident qui lui a été renouvelée en 2016 et que ses quatre enfants majeurs, issus d'un premier mariage, nés en 1976, 1980, 1985 et 1992, sont pour l'une française et pour les trois autres en situation régulière en France, dotés d'une carte de résident. Toutefois, son épouse depuis 2011, qui est née en 1981, et pour laquelle il a sollicité le regroupement familial, a toujours vécu en Tunisie ainsi que leurs deux jeunes enfants nés en 2012 et 2014. M. A...B...étant depuis 2015 à la retraite, rien ne s'oppose qu'il puisse mener en Tunisie une vie privée et familiale, où ses enfants majeurs pourront lui rendre visite. En outre si, selon le certificat médical du 12 octobre 2017, M. A...B...bénéficie d'un suivi régulier en raison d'une cardiopathie diagnostiquée en 2005, il ressort du compte-rendu de l'examen médical hospitalier, réalisé le 31 août 2017, que son état de santé est, à cet égard, satisfaisant. Il n'est donc pas établi que son état nécessite la présence de son épouse à ses côtés en France ou qu'il fasse obstacle à son propre déplacement en Tunisie. Dans ces circonstances, le refus opposé par le préfet du Rhône à la demande de regroupement familial présentée par M. A...B...n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée et n'a donc pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur ce motif pour annuler la décision rejetant la demande de regroupement familial présentée par l'intéressé.

Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A...B....

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. A...B... :

6. En premier lieu, la décision de refus opposée à M. A...B...comportant l'énoncé des considérations de droit et de fait, qui en constituent le fondement, elle est, dès lors, suffisamment motivée.

7. Les revenus moyens nets mensuels de 1 213,72 et 1 003,09 euros perçus respectivement au titre de l'année 2016 et de l'année 2017 par Monsieur A...B...étaient inférieurs au SMIC, qui s'élevait à 1 240 euros nets sur la période considérée, ce qui faisait obstacle à ce que M. A...B...obtienne de plein droit la délivrance d'une autorisation de regroupement familial au profit de son épouse et de leurs deux enfants, alors, en outre, qu'il ressort des pièces du dossier que ces revenus comprenaient l'allocation de solidarité aux personnes âgées visée à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale, laquelle, d'un montant de 800 euros, ne pouvait être prise en compte pour le calcul du revenu de référence de l'intéressé. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du 1° de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit donc être écarté.

8. Aux termes de l'article 3-1 de la convention de New York du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". En l'espèce, le refus opposé à la demande de M. A...B..., qui ne fait pas obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue en Tunisie, n'a pas pour effet de le séparer de ses deux enfants mineurs qui y vivent avec leur mère. Dès lors, le refus de titre de séjour n'a pas méconnu les stipulations précitées de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

9. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé sa décision du 3 juillet 2017. Les conclusions de M. A...B...aux fins d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

Sur les conclusions de la requête du préfet du Rhône aux fins de sursis à exécution du jugement attaqué :

10. Le présent arrêt statuant sur la requête en annulation dirigée contre le jugement attaqué du 17 octobre 2018 du tribunal administratif de Lyon, la requête n° 18LY04177 du préfet du Rhône tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution dudit jugement, étant devenue sans objet, il n'y a donc plus lieu d'y statuer.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 18LY04177 du préfet du Rhône.

Article 2 : Le jugement n° 1708335 du 17 octobre 2018 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 3 : Les conclusions de M. A...B...sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...B....

Copie en sera adressée au préfet du Rhône.

Délibéré après l'audience du 31 janvier 2019 à laquelle siégeaient :

M. Seillet, président,

M. Souteyrand, président-assesseur,

MmeD..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 28 février 2019.

1

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N°18LY04177 - N°18LY04179


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre a - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY04177
Date de la décision : 28/02/2019
Type d'affaire : Administrative

Analyses

335-01-02-01 Étrangers. Séjour des étrangers. Autorisation de séjour. Demande de titre de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. SEILLET
Rapporteur ?: M. Eric SOUTEYRAND
Rapporteur public ?: Mme BOURION
Avocat(s) : RODRIGUES

Origine de la décision
Date de l'import : 05/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-02-28;18ly04177 ?
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