Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 8 août 2018 décidant son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 1806425 du 2 novembre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.
Procédure devant la cour
I/ Par une requête enregistrée le 13 novembre 2018 sous le n° 18LY04028, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 2 novembre 2018 ;
2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal administratif.
Il soutient que le motif d'annulation retenu par le premier juge est infondé.
Par un mémoire enregistré le 14 décembre 2018, M.A..., représenté par Me Blanc, avocate, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Savoie de lui délivrer un récépissé et de l'autoriser à déposer sa demande d'asile, dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ; il méconnaît les articles 3, 4, 13-1 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 janvier 2019.
II/ Par une requête enregistrée le 13 novembre 2018 sous le n° 18LY04072, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 2 novembre 2018.
En application de l'article R. 611-8, cette affaire a été dispensée d'instruction.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Clot, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes du préfet de la Haute-Savoie sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
2. M. A..., ressortissant libérien, né le 1er janvier 1987, est entré en France le 14 avril 2018, en provenance d'Italie. Il a sollicité l'asile le 23 avril 2018. Le 8 août 2018, le préfet de la Haute-Savoie a décidé son transfert aux autorités de ce pays pour l'examen de sa demande d'asile. Ce préfet relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.
3. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ".
4. La faculté laissée à chaque État membre par ces dispositions de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
5. M. A... fait valoir qu'il a quitté le Liberia avec sa famille pour se réfugier en Guinée alors qu'il était âgé de trois ans, que, devenu adulte, il a pris part dans ce pays à des campagnes d'information et de lutte contre la pratique de l'excision et qu'il s'est trouvé exposé à des menaces qui l'ont contraint à gagner l'Europe. Il a fait valoir également qu'en Italie, où il est arrivé en 2014, il a été victime de violences. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités italiennes ne seraient pas à même d'assurer sa protection et d'examiner sa demande d'asile. Dès lors, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui permet à un État d'examiner la demande d'asile d'un demandeur même si cet examen ne lui incombe pas en application des critères fixés dans ce règlement. Par suite, c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur ce motif pour annuler la décision en litige.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A....
S'agissant de la motivation :
7. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
8. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
9. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre État membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet État, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert à fin de reprise en charge qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'État en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
10. La décision de transfert en litige vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle indique que la consultation des fichiers Eurodac et Visabio a révélé que M. A... a demandé l'asile en Italie et que les autorités de ce pays, saisies le 7 juin 2018 sur le fondement du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont implicitement donné leur accord à sa reprise en charge le 21 juin 2013. Ces énonciations ont mis l'intéressé à même de comprendre les motifs de la décision pour lui permettre d'exercer utilement un recours. Dès lors, la décision litigieuse est suffisamment motivée au regard des exigences qu'imposent les dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si le requérant fait valoir que sa situation relève, en réalité, des dispositions du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013, cette circonstance touche au bien-fondé de la décision et non à sa motivation.
S'agissant de l'article 18 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 :
11. Aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. (...) ".
12. Les autorités italiennes ont été saisies d'une demande de reprise en charge de M. A... sur le fondement du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 et ces autorités ont implicitement donné leur accord. L'intéressé allègue, sans l'établir, que, sa demande d'asile ayant été rejetée en Italie, sa situation relevait, en réalité, du d) du même texte. Toutefois, dans ce cas, le préfet pouvait décider son transfert sur ce fondement, la substitution de cette base légale à celle du b) n'ayant pas pour effet de priver M. A... d'une garantie et l'administration disposant du même pouvoir d'appréciation. Par suite, la circonstance que la demande d'asile de l'intéressé aurait été rejetée en Italie reste sans incidence sur la légalité de la décision de transfert en litige.
S'agissant de l'article 13 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 :
13. Il résulte des dispositions du paragraphe 2 de l'article 7 et de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 que les critères prévus par cet article 13 ne sont susceptibles de s'appliquer que lorsque le ressortissant d'un pays tiers présente une demande d'asile pour la première fois depuis son entrée sur le territoire de l'un ou l'autre des États membres. En particulier, les dispositions de cet article 13 ne s'appliquent pas lorsque le ressortissant d'un pays tiers présente, fût-ce pour la première fois, une demande d'asile dans un État membre après avoir demandé ou s'être vu refuser l'asile par un autre État membre. Dès lors, la décision de transfert en litige étant motivée par la circonstance que M. A... a précédemment demandé l'asile en Italie, le moyen tiré de la méconnaissance par le préfet des dispositions de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 est inopérant.
S'agissant de l'application de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 :
14. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
15. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.
16. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a déposé sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile en préfecture et a bénéficié, le 23 avril 2018, d'un entretien à l'occasion duquel lui a été remis le guide d'accueil du demandeur d'asile, en français ainsi que les deux brochures d'information A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", également en français, langue que M. A... a indiqué comprendre lors de cet entretien. Ainsi, il a reçu ces documents en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations. Dès lors, le préfet n'a pas méconnu l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013.
S'agissant de l'application de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 :
17. Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable (...) ".
18. M. A... invoque l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie du fait d'un afflux massif de migrants et d'insuffisante capacité d'accueil dans ce pays. Toutefois, les documents qu'il produit ne permettent pas de considérer que les autorités italiennes, qui ont donné leur accord à la demande de reprise en charge adressée par les autorités françaises, ne sont pas en mesure de traiter sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et que M. A... courrait en Italie un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en l'absence d'existence avérée de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays, au demeurant État-membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision de transfert contestée ne méconnaît donc pas les dispositions précitées du 2. de l'article 3 du règlement (UE) du 26 juin 2013.
19. Il résulte de ce qui précède que préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions en litige.
20. Dès lors qu'il est statué sur la requête à fin d'annulation du jugement attaqué, la requête tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution est sans objet.
21. Le présent arrêt n'appelant aucune mesure d'exécution, les conclusions de M. A... à fin d'injonction doivent être rejetées.
22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme à M. A... au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 2 novembre 2018 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. A... sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête du préfet de la Haute-Savoie à fin de sursis à exécution du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 2 novembre 2018.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie et au procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Annecy.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Dèche, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 janvier 2019.
Nos 18LY04028, 18LY04072 7