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07/01/2019 | FRANCE | N°18LY03507

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre b - formation à 3, 07 janvier 2019, 18LY03507


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 16 juillet 2018 par lequel le préfet de l'Isère a décidé son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1805224 du 17 août 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 14 septembre 2018, le préfet de l'Isère demande à la cour :


1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 16 juillet 2018 par lequel le préfet de l'Isère a décidé son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1805224 du 17 août 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 14 septembre 2018, le préfet de l'Isère demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 17 août 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. B...devant le tribunal administratif.

Il soutient que, compte tenu des documents produits, c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur le motif tiré de ce que la réalité d'une demande de reprise en charge adressée aux autorités italiennes n'était pas établie.

Par un mémoire enregistré le 30 novembre 2018, M.B..., représenté par Me Huard, avocat, conclut :

- à ce qu'il soit admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

- au rejet de la requête ;

- à ce qu'il soit enjoint au préfet d'enregistrer sa demande d'asile selon la procédure normale ;

- à ce que soit mis à la charge de l'Etat le paiement à son conseil d'une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le moyen invoqué par le préfet est infondé ;

- l'arrêté de transfert est insuffisamment motivé ;

- il méconnaît les articles 4, 5, 16, 17, 18, 23 et 26 du règlement (UE) n° 603/2013 ;

- il n'a pas obtenu communication de l'ensemble des pièces du dossier, comme l'exige l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 19 décembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) no 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Clot, président ;

Considérant ce qui suit :

1. M.B..., de nationalité guinéenne, né le 1er décembre 1992, a présenté une demande d'asile à la préfecture de l'Isère le 19 avril 2018. L'examen de ses empreintes a révélé qu'il avait présenté une semblable demande en Italie. Le 16 juillet 2018, le préfet de l'Isère a ordonné son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile. Ce préfet relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

2. Aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...) 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".

3. Il résulte de ce qui précède que le réseau de communication DubliNet permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile et que les accusés de réception émis par un point d'accès national sont réputés faire foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse.

4. Il ressort des pièces du dossier et notamment des copies des accusés de réception DubliNet en date du 5 juin 2018 produites par le préfet, comportant le numéro de référence du dossier de M.B..., que les autorités italiennes ont effectivement été saisies, à cette date, d'une demande de reprise en charge le concernant et, qu'en l'absence de réponse explicite, elles doivent être regardées comme ayant implicitement accepté leur responsabilité le 19 juin 2018. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision en litige, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de ce que l'existence d'une demande adressée aux autorités italiennes n'était pas établie.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M.B....

6. Il ne ressort pas des pièces du dossier de première instance que, conformément aux dispositions du III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de l'Isère n'ait pas communiqué au tribunal administratif, avec son mémoire en défense, l'ensemble des pièces sur la base desquelles a été prise la décision de transfert contestée.

S'agissant de la motivation :

7. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

8. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

9. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre Etat membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet Etat, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'Etat en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.

10. L'arrêté en litige, qui vise notamment l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, indique que " lors de sa présentation au guichet unique, les empreintes de l'intéressé ont été relevées et permettent, après confrontation avec les bases de données européennes, d'établir que l'intéressé a précédemment déposé une demande d'asile en Italie " et que " les autorités italiennes saisies le 5 juin 2018 d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18-1-b du règlement (UE) n° 604/2013 ont accepté leur responsabilité par un accord implicite du 19 juin 2018 ". Ainsi, cette décision satisfait aux exigences de motivation qu'imposent les dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

S'agissant de l'application de l'article 5 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 :

11. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. "

12. Il ressort des pièces du dossier que M. B...a bénéficié d'un entretien individuel avec un agent du service chargé de l'asile à préfecture de l'Isère, le 19 avril 2018. Cet entretien, ayant été mené par une personne du service, l'a été par une personne qualifiée au sens du 5. de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 et il ressort du résumé dudit entretien que l'intéressé a pu faire valoir à cette occasion toutes observations utiles. Il ressort également des pièces du dossier qu'une copie de ce résumé lui a été remise.

S'agissant de l'application de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 :

13. Il ressort des pièces du dossier que les obligations d'information imposées par ce texte ont été satisfaites à l'occasion de l'entretien mentionné ci-dessus.

14. La brochure d'information A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' ", qui a été remise à l'intéressé, fait notamment mention de l'existence d'un droit d'accès aux données concernant l'intéressé et d'un droit de rectification de ces données. Ainsi, M. B...a été informé de son droit d'accès aux données le concernant et du droit de rectification de ces données, comme le prévoient les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

S'agissant de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :

15. Aux termes de l'article 23 du règlement n° 604/2013 : " (...) 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. (...) ". Le résultat positif Eurodac datant du 19 avril 2018, la demande de reprise en charge adressée aux autorités italiennes le 4 mai 2018 est intervenue dans le délai que prévoient ces dispositions.

S'agissant de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :

16. Aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. (...) ".

17. Le préfet de l'Isère a saisi les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge de M. B... sur le fondement du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 et ces autorités ont implicitement donné leur accord. L'intéressé allègue, sans l'établir, que, sa demande d'asile ayant été rejetée en Italie, sa situation relevait, en réalité, du d) du même texte. Toutefois, dans ce cas, le préfet pouvait décider son transfert sur ce fondement, la substitution de cette base légale à celle du b) n'ayant pas pour effet de priver M. B... d'une garantie et l'administration disposant du même pouvoir d'appréciation. Par suite, la circonstance que la demande d'asile de l'intéressé aurait été rejetée en Italie reste sans incidence sur la légalité de la décision de transfert en litige.

S'agissant de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :

18. Si M. B...fait valoir que l'Italie est confrontée à un afflux de migrants, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet ait commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant son transfert vers ce pays pour l'examen de sa demande d'asile. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que son renvoi en Italie l'exposerait au risque de subir des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

S'agissant des autres moyens :

19. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 16, relatif aux personnes à charge, du règlement (UE) n° 604/2013, n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.

20. Si M. B... soutient que la décision litigieuse ne lui a pas été notifiée conformément aux dispositions du 2 de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013, les conditions de notification d'une décision sont sans incidence sur sa légalité.

21. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision en litige.

22. Le présent arrêt n'appelant aucune mesure d'exécution, les conclusions de M. B... à fin d'injonction doivent être rejetées.

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme au conseil de M. B...au titre des frais liés au litige.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 17 août 2018 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. B... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...B....

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble.

Délibéré après l'audience du 3 décembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Pierre Clot, président de chambre,

M. Philippe Seillet, premier-conseiller,

Mme Pascale Dèche, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 janvier 2019.

4

N° 18LY03507


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre b - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY03507
Date de la décision : 07/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

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Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre CLOT
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : HUARD

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-01-07;18ly03507 ?
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