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07/01/2019 | FRANCE | N°18LY03133

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre b - formation à 3, 07 janvier 2019, 18LY03133


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés du préfet de l'Isère du 19 juin 2018 ordonnant son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et l'assignant à résidence dans le département de l'Isère.

Par un jugement n° 1804533 du 21 juillet 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 13 août 2018,

le préfet de l'Isère demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le pré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés du préfet de l'Isère du 19 juin 2018 ordonnant son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et l'assignant à résidence dans le département de l'Isère.

Par un jugement n° 1804533 du 21 juillet 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 13 août 2018, le préfet de l'Isère demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 21 juillet 2018 ;

2°) de rejeter la demande de Mme A...devant le tribunal administratif.

Il soutient que contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, Mme A...a bien reçu les brochures en langue tigrigna et un résumé de l'entretien individuel lui a été remis, le 15 janvier 2018 et à nouveau le 17 juillet 2018.

Par un mémoire enregistré le 10 octobre 2018, Mme A..., représentée par Me Schürmann, avocat, conclut :

- au rejet de la requête ;

- à ce qu'il soit enjoint au préfet de poursuivre l'examen de sa demande d'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en qualité de demandeur d'asile dans un délai de 48 heures, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans un délai de huit jours, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

- de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son conseil d'une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- elle ne s'est vu remettre que les brochures d'information en langue anglaise, langue qu'elle ne sait ni lire ni parler ; ces documents n'étaient pas disponibles en langue tigrigna ; les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont donc été méconnues ;

- la réponse à la demande de prise en charge mentionne l'article 25.2 du règlement Dublin III, qui concerne les réponses aux demandes de reprise en charge ; sa situation relève de l'article 22.7 dudit règlement ;

- l'arrêté portant assignation à résidence est illégal en conséquence de l'illégalité de la décision de transfert.

Mme A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31/10/2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE) no 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Clot, président ;

Considérant ce qui suit :

1. MmeA..., ressortissante d'Erythrée, née le 1er janvier 1983, a demandé l'asile à la préfecture de l'Isère le 15 janvier 2018. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes avaient été relevées en Italie. Saisies à cette fin, les autorités de ce pays ont implicitement accepté sa prise en charge pour l'examen de sa demande d'asile. Le 19 juin 2018, le préfet de l'Isère a ordonné son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence dans le département de l'Isère. Ce préfet relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions.

2. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A...a bénéficié, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile, le 15 janvier 2018, d'un entretien avec un agent de la préfecture de l'Isère, à l'occasion duquel elle a déclaré comprendre la langue tigrigna. Selon les pièces produites par le préfet devant le tribunal administratif, les deux brochures d'information A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", lui ont été remises, dans leur version en langue anglaise, le formulaire en attestant, qu'elle a signé, portant la mention : " Document non disponible en langue tigrigna ". Toutefois, le préfet a produit également, en première instance et en appel, la copie de la première page de ces brochures, dans leur version en langue tigrigna, comportant la mention " Document remis au guichet le 15 janvier 2018 ", suivie de la signature de l'intéressée, qui est identique à celle figurant sur le formulaire précité. Dès lors, le préfet établit que l'administration a satisfait à l'obligation d'information qu'imposent les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, c'est à tort que, pour annuler la décision de transfert en litige et, par voie de conséquence, la mesure d'assignation à résidence de MmeA..., le magistrat désigné par le président du tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de la méconnaissance de ces dispositions.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par MmeA....

Sur la légalité de la décision de transfert :

6. En premier lieu, le préfet a produit devant le tribunal administratif l'arrêté justifiant de la compétence de l'auteur de la décision en litige.

7. En deuxième lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

8. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

9. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté litigieux vise le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et indique que les autorités italiennes ont relevé les empreintes de l'intéressée à l'occasion d'un franchissement irrégulier des frontières et que ces autorités se reconnaissent compétentes en application des articles 22.7 et 25.2 dudit règlement. Ainsi, l'arrêté litigieux est suffisamment motivé.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. (...) ".

11. L'article 22 du règlement (UE) n° 604/2013, intitulé " Réponse à une requête aux fins de prise en charge " prévoit que : " (...) 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d'un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. (...) "

12. Aux termes de l'article 25 de ce texte, intitulé " Réponse à une requête aux fins de reprise en charge " : " (...) 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. (...) "

13. Le document intitulé " constat d'un accord implicite " des autorités italiennes fait état d'une prise en charge de l'intéressée, et non d'une reprise en charge. Dès lors, c'est à tort que ce document mentionne un accord implicite en application de l'article 25.2, relatif aux reprises en charge. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette mention erronée a comporté une incidence sur l'appréciation portée par les autorités compétentes et, par suite, sur la légalité de la décision contestée.

14. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ".

15. Mme A...ne démontre pas qu'en décidant son transfert en Italie sans mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui permet à un Etat d'examiner la demande d'asile d'un demandeur même si cet examen ne lui incombe pas en application des critères fixés dans ce règlement, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation.

Sur la légalité de la décision portant assignation à résidence :

16. En premier lieu, le préfet a produit devant le tribunal administratif l'arrêté justifiant de la compétence de l'auteur de la décision en litige.

17. En deuxième lieu, la décision portant assignation à résidence de MmeA..., qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivée.

18. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (...) ".

19. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, compte tenu des circonstances de l'espèce, l'assignation à résidence dans le département de l'Isère de MmeA..., en vue de son transfert vers l'Italie, ne soit ni nécessaire, ni proportionnée.

20. En quatrième et dernier lieu, les dispositions de l'article 31 du règlement 604/2013 sont relatives à l'" Échange d'informations pertinentes avant l'exécution d'un transfert ". De telles dispositions, qui concernent l'exécution de la mesure, sont sans incidence sur la légalité de la décision de transfert et de la mesure d'assignation à résidence consécutive.

21. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions en litige.

22. Le présent arrêt n'appelant aucune mesure d'exécution, les conclusions de Mme A... à fin d'injonction doivent être rejetées.

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme au conseil de Mme A...au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 21 juillet 2018 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de Mme A...sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B...A.... Copie en sera adressée au préfet de l'Isère et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble.

Délibéré après l'audience du 3 décembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Dèche, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 janvier 2019.

4

N° 18LY03133


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre b - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY03133
Date de la décision : 07/01/2019
Type d'affaire : Administrative

Analyses

095


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre CLOT
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : SCHURMANN

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-01-07;18ly03133 ?
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