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07/01/2019 | FRANCE | N°18LY02190

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre b - formation à 3, 07 janvier 2019, 18LY02190


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler les décisions du préfet de Saône-et-Loire du 2 février 2018 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignant le pays à destination duquel il serait reconduit d'office à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 1800467 du 24 mai 2018, le président du tribunal administratif de Dijon a annulé les décisions faisant obligation

l'intéressé de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler les décisions du préfet de Saône-et-Loire du 2 février 2018 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignant le pays à destination duquel il serait reconduit d'office à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 1800467 du 24 mai 2018, le président du tribunal administratif de Dijon a annulé les décisions faisant obligation à l'intéressé de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination, enjoint au préfet de réexaminer la situation de l'intéressé et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 15 juin 2018, le préfet de Saône-et-Loire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du président du tribunal administratif de Dijon du 24 mai 2018 en tant qu'il a annulé les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination ;

2°) de rejeter les conclusions ci-dessus analysées de la demande de M. B... devant le tribunal administratif.

Il soutient que contrairement aux affirmations des premiers juges, l'application " Telemofpra " fait foi jusqu'à preuve du contraire s'agissant de la date de notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, ainsi que le prévoit l'article R. 723-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire enregistré le 9 octobre 2018, M. B..., représenté par Me Corneloup, avocat, conclut :

- au rejet de la requête ;

- à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Dijon du 24 mai 2018 en tant qu'il a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation du refus de titre de séjour du 2 février 2018 ;

- à l'annulation pour excès de pouvoir de ce refus de titre de séjour ;

- à ce qu'il soit enjoint au préfet de Saône-et-Loire, à titre principal, de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour et de procéder à l'examen de sa demande de titre dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

- à la mise à la charge de l'État du paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le préfet n'établit pas que la décision de la Cour nationale du droit d'asile lui a été notifiée ;

- le refus de titre de séjour n'est pas motivé ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen réel et sérieux de sa situation ;

- le refus de titre méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il est entaché d'erreur de fait ;

- il méconnaît l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de l'appel incident, qui porte sur un litige distinct de celui qui résulte de l'appel du préfet de Saône-et-Loire et qui a été présenté postérieurement à l'expiration du délai d'appel, ou sur le moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la composition de la formation de jugement pour statuer sur la légalité du refus de titre de séjour.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 octobre 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dèche, rapporteur ;

- les conclusions de M. Laval, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né le 13 octobre 1988, de nationalité arménienne, est entré en France le 8 juillet 2016 et a sollicité la reconnaissance de la qualité de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 21 décembre 2016, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 29 août 2017. Par des décisions du 2 février 2018, le préfet de Saône-et-Loire lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays à destination duquel il serait reconduit d'office à l'expiration de ce délai. Par un jugement du 24 mai 2018, le tribunal administratif de Dijon a annulé les décisions faisant obligation à l'intéressé de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination, enjoint au préfet de réexaminer la situation de l'intéressé et rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Le préfet de Saône-et-Loire relève appel de ce jugement dans cette mesure. Par la voie de l'appel incident, M. B... demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'annulation du refus de titre de séjour.

2. Aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'office, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la cour statuent. "

3. L'article L. 743-3 de ce code dispose que : " L'étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé ou qui ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2 et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre doit quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d'une mesure d'éloignement prévue au titre Ier du livre V et, le cas échéant, des pénalités prévues au chapitre Ier du titre II du livre VI. "

4. Aux termes du III de l'article R. 723-19 du même code : " La date de notification de la décision de l'office et, le cas échéant, de la Cour nationale du droit d'asile qui figure dans le système d'information de l'office et est communiquée au préfet compétent et au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration au moyen de traitements informatiques fait foi jusqu'à preuve du contraire. "

5. Le préfet de Saône-et-Loire a produit devant le tribunal administratif le relevé des informations figurant dans la base de données " Telemofpra ", tenue par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et relative à l'état des procédures de demandes d'asile, attestant que la décision de la Cour nationale du droit d'asile du 29 août 2017 a été notifiée à M. B... le 5 septembre 2017. L'intéressé n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause l'exactitude des mentions portées dans cette application informatique, qui font foi jusqu'à preuve du contraire. Dès lors, le préfet justifie de la notification régulière de la décision de la Cour nationale du droit d'asile à M. B..., antérieurement à la date de la décision contestée portant obligation de quitter le territoire français sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, c'est à tort que, pour annuler les décisions faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de renvoi, le tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de ce que la réalité et la régularité de la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile n'étaient pas établies.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... à l'encontre des décisions contestées.

Sur la légalité du refus de titre de séjour :

7. En premier lieu, le refus de titre de séjour en litige, qui énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde, est suffisamment motivé au regard des exigences qu'imposent les articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.

8. En deuxième lieu, il ressort des mentions du refus de titre de séjour que le préfet de Saône-et-Loire a procédé à un examen de la situation de M. B... et a pris en compte l'ensemble des éléments de sa situation personnelle. Par suite, le moyen tiré d'un défaut d'examen de la situation de M. B... doit être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".

10. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

11. M. B... soutient qu'il ne peut pas mener une vie privée et familiale normale en Arménie, où il a été victime de violences policières, du fait de l'acte de désobéissance à l'armée commis par son frère. Il indique également qu'il vit depuis deux ans en France avec son épouse et leur enfant et qu'ils sont bien intégrés. Toutefois, il n'est pas établi par les pièces produites qu'il serait soumis, en Arménie, à des menaces qui feraient obstacle à ce qu'il puisse y mener une vie privée et familiale normale, avec son épouse et leur enfant. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée de séjour et des conditions d'entrée et de séjour de l'intéressé en France, et eu égard aux effets d'une mesure d'éloignement, la décision de refus de titre de séjour n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Dès lors, cette décision, qui n'est entachée d'aucune erreur de fait, ne méconnaît ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

12. En quatrième lieu, le préfet n'a pas entaché sa décision de refus de titre de séjour d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle de M. B....

13. En dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent des enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur des enfants doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces dernières stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir formé contre une décision de refus de délivrance d'un titre de séjour, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

14. Si M. B... est le père d'un enfant de moins de trois ans, la décision en litige n'a ni pour objet ni pour effet de séparer cet enfant de ses parents ni d'empêcher l'enfant de vivre auprès de ses parents, notamment en Arménie, dont l'ensemble de la famille est originaire. Ainsi, la décision en litige n'a pas porté à l'intérêt supérieur de l'enfant de M. B... une atteinte contraire aux stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

15. Il résulte de ce qui vient d'être dit que M. B... n'est pas fondé à se prévaloir, contre la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français, de l'illégalité du refus de titre de séjour qui lui a été opposée.

Sur la légalité des décisions fixant un délai de départ volontaire à trente jours et fixant un pays de renvoi :

16. Il résulte de l'examen de la légalité de la décision faisant obligation à l'intéressé de quitter le territoire français que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de cette décision à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant un délai de départ volontaire et fixant le pays de renvoi.

17. Il résulte de ce qui précède que, d'une part, le préfet de Saône-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Dijon a annulé les décisions faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination. D'autre part, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de ses conclusions d'appel incident, M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce même jugement, le président du tribunal administratif a rejeté ses conclusions à fin d'annulation du refus de titre de séjour en litige.

18. Le présent arrêt n'impliquant aucune mesure d'exécution, les conclusions de M. B... à fin d'injonction doivent être rejetées.

19. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, quelque somme que ce soit au profit du conseil de M. B... au titre des frais exposés à l'occasion du litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du président du tribunal administratif de Dijon du 24 mai 2018 est annulé.

Article 2 : La demande de M. B... devant le tribunal administratif et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....

Copie en sera adressée au préfet de Saône-et-Loire et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Mâcon.

Délibéré après l'audience du 3 décembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

M. Seillet, président-assesseur,

Mme Dèche, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 janvier 2019.

4

N° 18LY02190


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre b - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY02190
Date de la décision : 07/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: Mme Pascale DECHE
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : DSC AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-01-07;18ly02190 ?
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