Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au président du tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du préfet de Saône-et-Loire du 17 juillet 2018 ordonnant son transfert aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 1801960 du 10 août 2018, le président du tribunal administratif de Dijon a annulé cette décision.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 13 septembre 2018, le préfet de Saône-et-Loire demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du président du tribunal administratif de Dijon du 10 août 2018 ;
2°) de rejeter la demande de M. A... devant le président du tribunal administratif.
Il soutient que l'intéressé a demandé l'asile en Suède le 21 octobre 2015 et en Allemagne le 16 mars 2017 ; la détermination de l'État responsable a donc déjà été faite ; sa situation n'entre pas dans les cas prévus au chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, mais relève de l'article 18-1-d de ce texte , c'est donc à tort que le premier juge a estimé que la Suède est responsable de l'examen de la demande d'asile en application de l'article 13-1, figurant au chapitre III, du règlement (UE) n° 604/2013.
Par un mémoire enregistré le 26 octobre 2018, M. A..., représenté par Me Rothdiener, avocat, conclut :
- au rejet de la requête ;
- à ce qu'il soit enjoint au préfet de Saône-et-Loire de lui délivrer une attestation de demande d'asile " procédure normale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
- à la mise à la charge de l'État du paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que:
- le moyen invoqué par le préfet est infondé, son cas relevant effectivement de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- la décision en litige méconnaît les articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le préfet s'est fondé à tort sur le b du 1 de l'article 18 du règlement ;
- la décision en litige méconnaît l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 novembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 .
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Clot, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant afghan né le 24 juin 1999, est entré irrégulièrement en France le 14 avril 2018 et a demandé l'asile à la préfecture de l'Essonne le 26 avril 2018. La consultation du fichier Eurodac a révélé qu'il avait demandé l'asile en Suède le 21 octobre 2015 et en Allemagne le 16 mars 2017. Le 17 juillet 2018, le préfet de Saône-et-Loire a ordonné son transfert aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile. Ce préfet relève appel du jugement par lequel le président du tribunal administratif de Dijon a annulé cette décision.
2. Le paragraphe 2 de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit que " la détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 13 du même règlement : " Lorsqu'il est établi [...] que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière." En application du 4. de l'article 24 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, les demandeurs d'une protection internationale visés à l'article 9 paragraphe 1 dudit règlement qui font l'objet d'un relevé d'empreintes digitales, sont enregistrés dans le système central Eurodac sous la catégorie 1.
3. Il résulte clairement des dispositions de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 que la détermination de l'État membre en principe responsable de l'examen de la demande de protection internationale s'effectue une fois pour toutes à l'occasion de la première demande d'asile, au vu de la situation prévalant à cette date. Il résulte également de la combinaison des dispositions précitées, que les critères prévus à l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 ne sont susceptibles de s'appliquer que lorsque le ressortissant d'un pays tiers présente une demande d'asile pour la première fois depuis son entrée sur le territoire de l'un ou l'autre des États membres et qu'en particulier, les dispositions de cet article ne s'appliquent pas, lorsque le ressortissant d'un pays tiers présente, fût-ce pour la première fois, une demande d'asile dans un État membre après avoir déposé une demande d'asile dans un autre Etat membre, que cette dernière ait été rejetée ou soit encore en cours d'instruction.
4. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du courrier des services du ministère de l'intérieur du 26 avril 2018 communiquant au préfet le résultat positif des recherches effectuées dans le fichier Eurodac, sous la catégorie 1, que M. A... a sollicité l'asile en Suède et en Allemagne, pays où ses empreintes digitales ont été relevées, respectivement, le 21 octobre 2015 et le 16 mars 2017. Par suite, les critères précités de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 n'étaient pas applicables à la demande d'asile présentée postérieurement par M. A... en France, le 26 avril 2018, qui ne constituait pas une première demande d'asile présentée sur le territoire de l'Union Européenne. En conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut être utilement invoqué à l'encontre de la décision de transfert contestée. C'est donc à tort que, pour annuler la décision de transfert en litige, le premier juge s'est fondé sur le motif tiré de la méconnaissance de ce texte.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A....
6. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
7. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.
8. Il ressort des pièces du dossier et notamment des termes mêmes de la décision de transfert en litige que M. A... a déposé une demande d'asile à la préfecture de l'Essonne le 26 avril 2018. Dès lors, il devait, dès cette date, recevoir les informations prévues à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Selon le compte rendu de l'entretien qu'il a eu à la préfecture le 26 avril 2018 et qu'il a signé, il a reconnu avoir reçu " le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires ". Il ressort des pièces du dossier qu'il a reçu à la même date la brochure d'information B " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ". Il conteste toutefois avoir obtenu la brochure d'information A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne -quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et le préfet n'apporte aucun élément justifiant de ce que ce document lui a été remis. Dès lors que la brochure B ne contient pas des informations équivalentes à celles de la brochure A, M. A... n'a pas bénéficié, en temps utile, d'une information complète. Ainsi, le préfet ne pouvait, sans méconnaître les dispositions de l'article 4 du règlement citées ci-dessus et le priver d'une garantie, décider de le remettre aux autorités allemandes en vue de l'examen de sa demande d'asile.
9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de Saône-et-Loire n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Dijon a annulé la décision de transfert en litige.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. D'une part, aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. "
11. Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. "
12. D'autre part, aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. "
13. Par le jugement attaqué, il a été enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. A... dans le délai d'un mois, conformément aux dispositions de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le présent arrêt n'impliquant pas d'autre mesure d'exécution, les conclusions de l'intéressé à fin d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Rothdiener, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État une somme de 800 euros au titre des frais exposés à l'occasion du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de Saône-et-Loire est rejetée.
Article 2 : L'État versera à Me Rothdiener la somme de 800 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet de Saône-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Dèche, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 décembre 2018.
N° 18LY03496 6