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13/12/2018 | FRANCE | N°17LY00284

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre a - formation à 3, 13 décembre 2018, 17LY00284


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Lyon la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes auxquelles il a été assujetti au titre des années 2009 et 2010.

Par un jugement n° 1406012 du 22 novembre 2016, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 20 janvier 2017, le 5 juillet 2018 et le 16 novembre 2018, ce dernier mémoire n'ayant

pas été communiqué, M. D..., représenté par la SELARLA..., Pappini et associés, demande à la cour...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Lyon la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes auxquelles il a été assujetti au titre des années 2009 et 2010.

Par un jugement n° 1406012 du 22 novembre 2016, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 20 janvier 2017, le 5 juillet 2018 et le 16 novembre 2018, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. D..., représenté par la SELARLA..., Pappini et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 22 novembre 2016 ;

2°) de le décharger de ces impositions et des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de condamner l'Etat aux entiers dépens.

M. D... soutient que :

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

- l'administration fiscale a procédé, sous couvert de l'exercice du droit de visite et de saisie et de l'examen de sa situation fiscale personnelle, à une vérification de comptabilité de l'entreprise individuelle D...Entreprise sans lui accorder de garanties, et qu'en usant de ces procédures au lieu d'une vérification de comptabilité, alors qu'elle allait redresser des revenus professionnels, elle a commis un détournement de procédure ;

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne le redressement fondé sur l'article 155 A du code général des impôts :

- l'administration fiscale ne pouvait, sans méconnaître la Constitution et le droit communautaire, appliquer l'article 155 A du code général des impôts à sa situation dans la mesure où la création de la société Harucci Limited ne poursuivait pas un objectif d'évasion fiscale ;

- les conditions de l'article 155 A du code général des impôts n'étaient pas réunies car la société Harucci Ltd exerçait une activité économique effective, elle n'était pas un intermédiaire dissimulé, les prestations n'ont pas été réalisées en France et n'ont pas été rendues par un résident fiscal français, la société Harucci Ltd n'était pas contrôlée par l'entreprise D... et même si le siège social de la société Harucci Ltd était implanté dans un Etat à fiscalité privilégiée, l'article 155 A du code général des impôts ne pouvait trouver à s'appliquer dés lors que la société Harucci Ltd a reversé toutes les sommes versées par les sociétés commanditaires aux sous-traitants ;

- à supposer que l'article 155 A du code général des impôts trouve à s'appliquer, seule la somme de 50 279,36 euros correspondant à des prestations facturées par la société Harucci Ltd pour des missions qu'il a réalisées en 2009, pourrait être imposée, les autres prestations ayant été réalisées par d'autres intervenants ;

- il a été soumis à une double imposition dès lors qu'il avait déclaré l'ensemble des sommes perçues par l'intermédiaire de la société Harucci Ltd ;

- les factures de 19 800 euros et 9 400 euros qu'il a produites, ainsi que les contrats s'y rapportant, doivent être déduites du chiffre d'affaires de l'exercice 2010 de la société Harucci Ltd ; leur non déduction conduit à une double imposition ;

- l'administration ne pouvait prendre en compte au titre de l'année 2009 des sommes encaissées sur le compte bancaire de la société Harucci Ltd mais correspondant à des factures émises en 2008 pour un montant de 64 441 euros ;

En ce qui concerne le redressement de son bénéfice industriel et commercial :

- l'administration fiscale ne pouvait réintégrer les frais de mission que la société D... Entreprise lui avait versés dans le bénéfice de cette société car elle n'a pas démontré que ces charges étaient excessives ou étrangères à l'intérêt de l'entreprise ; ces charges pouvaient être calculées de façon forfaitaire en application du décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnes civils de l'Etat à l'étranger et ont été suffisamment justifiées ;

Sur les pénalités :

- la société Harucci Ltd ayant toujours reversé les sommes qu'elle percevait des sociétés commanditaires à ses sous-traitants, l'administration fiscale n'a pas démontré que la création de cette société à Gibraltar poursuivait un but d'évasion fiscal justifiant que lui soit appliquée la pénalité de 80 % pour manoeuvres frauduleuses.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 20 juin 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 10 juillet 2018, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative. La communication le 17 juillet 2018 au ministre de l'action et des comptes publics du mémoire de M. D... enregistré le 5 juillet 2018 a rouvert l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de MmeE..., première conseillère,

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., représentant M. D... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B... D...exerce à titre individuel, sous la dénomination D... Entreprise, des prestations de service d'ingénierie consistant à assurer le démarrage et la vérification du bon fonctionnement d'usines construites par la société Air Liquide ou sa filiale Soxal. A la suite d'un droit de visite et de saisie, exercé sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales le 24 février 2011 au domicile de M.D..., à celui de ses parents, au siège de son entreprise individuelle et au siège de son expert comptable, de l'examen de la situation fiscale personnelle de M. D... et de la vérification de la comptabilité de la société Harucci Limited, société implantée à Gibraltar, au titre de l'établissement stable qu'elle exploite en France à l'adresse de l'entreprise individuelle de M. D..., l'administration fiscale a décidé, au titre des années 2009 et 2010, d'une part, d'imposer entre les mains de M. D..., dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, sur le fondement de l'article 155 A du code général des impôts, les revenus perçus par la société Harucci Ltd et, d'autre part, de réintégrer dans les bénéfices industriels et commerciaux de M. D... réalisés au titre de son activité individuelle des frais de missions qui lui avaient été forfaitairement alloués. L'administration fiscale a adressé à M. B... D...deux propositions de rectification du 19 juillet 2012, l'une portant sur le redressement de ses bénéfices industriels et commerciaux, l'autre tirant les conséquences de ces redressements sur son revenu global. Elle a assorti ces redressements d'intérêts de retard et, s'agissant des redressements fondés sur l'article 155 A du code général des impôts, de la pénalité de 80 % prévue au c de l'article 1729 du code général des impôts. M. D... relève appel du jugement du 22 novembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 12 du livre des procédures fiscales : " Dans les conditions prévues au présent livre, l'administration des impôts peut procéder à l'examen contradictoire de la situation fiscale des personnes physiques au regard de l'impôt sur le revenu. / A l'occasion de cet examen, l'administration peut contrôler la cohérence entre, d'une part les revenus déclarés et, d'autre part, la situation patrimoniale, la situation de trésorerie et les éléments du train de vie des membres du foyer fiscal (...) ". Aux termes de l'article L. 13 du même livre : " I- Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables ". Aux termes de l'article L. 47 du même livre : " Un examen contradictoire de l'ensemble de la situation fiscale personnelle au regard de l'impôt sur le revenu ou une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification. / Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix (...) ".

3. L'administration procède à la vérification de comptabilité d'une entreprise lorsqu'elle contrôle sur place la sincérité des déclarations fiscales souscrites par cette entreprise en les comparant, au terme d'un examen critique, avec les écritures comptables ou les pièces justificatives dont elle prend alors connaissance et dont, le cas échéant, elle peut remettre en cause l'exactitude.

En ce qui concerne le redressement fondé sur l'article 155 A du code général des impôts :

4. Il résulte de l'instruction que l'administration a procédé à la vérification de comptabilité de la société Harruci Ltd et a obtenu des renseignements sur le fonctionnement de cette société et de ses liens avec l'entreprise individuelle de M. D... dans le cadre d'un droit de visite et de saisie, exercé sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales. L'administration a reconstitué le chiffre d'affaires de cette société et a imposé, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, le résultat ainsi reconstitué entre les mains de M. D... en application de l'article 155 A du code général des impôts. L'administration fiscale, qui ne s'est pas livrée dans ce cadre au contrôle des déclarations fiscales souscrites par M. D... en les comparant, au terme d'un examen critique, avec les écritures comptables ou les pièces justificatives de son entreprise individuelle, n'a pas procédé à une vérification de comptabilité déguisée de l'entreprise individuelle de M. D.ou établie hors de France Compte tenu de l'objet des revenus imposés sur le fondement de l'article 155 A, l'administration pouvait, dés lors qu'elle avait procédé à la vérification de comptabilité de la société Harruci Ltd, procéder au redressement du bénéfice industriel et commercial de M. D... sans procéder à une vérification de comptabilité de son entreprise individuelle. Par suite, le moyen tiré de ce que, s'agissant du redressement fondé sur l'article 155 A du code général des impôts, la procédure suivie serait irrégulière, doit être écarté.

En ce qui concerne le redressement des frais de mission :

5. Il résulte de l'instruction que l'administration a demandé, dans le cadre de l'examen de sa situation fiscale personnelle, à M. D... de justifier de la nature des virements figurant sur ses comptes bancaires, provenant de son entreprise individuelle et qualifiés de remboursements de " frais de mission ". M. D... n'ayant apporté aucun justificatif à ces virements, l'administration les a, ainsi que cela ressort des termes de la proposition de rectification, réintégrés, sur le fondement du 1 de l'article 39 du code général des impôts, dans les bénéfices industriels et commerciaux que M. D... a réalisés au titre de son activité individuelle au motif que faute d'apporter la moindre justification à ces frais, ils ne pouvaient être regardés comme ayant été engagés dans l'intérêt de l'entreprise. Si, en procédant de la sorte, l'administration fiscale ne s'est pas livrée à un examen critique de l'ensemble de la comptabilité de M. D..., elle a nécessairement entendu confronter les pièces qu'elle a réclamées, et qui constituent pour l'entreprise individuelle des justificatifs comptables, à la sincérité des déclarations fiscales de M. D... sur le montant des bénéfices industriels et commerciaux réalisés par cette entreprise. Par suite, l'administration fiscale a procédé à une vérification de comptabilité qui, faute d'avoir été entourée des garanties légales prévues en faveur du contribuable vérifié, et notamment l'envoi d'un avis de vérification, est entachée d'irrégularité. Ainsi, M. D... est fondé à demander, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens relatifs à ce chef de redressement, la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes résultant de la réintégration, dans le bénéfice industriel et commercial réalisé par son entreprise individuelle, de ses frais de mission à hauteur de 28 490 euros au titre de l'année 2009 et de 49 932 euros au titre de l'année 2010.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

En ce qui concerne le principe de l'imposition de M. D... sur le fondement de l'article 155 A :

6. Aux termes de l'article 155 A du code général des impôts : " I. Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de Franceen rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : / - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; / - soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; / - soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie hors de Franceoù elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A. / II. Les règles prévues au I ci-dessus sont également applicables aux personnes domiciliées hors de France pour les services rendus en France (...) ".

7. Il résulte de ces dispositions que les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une autre personne domiciliée ou établie hors de Francene trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte.

8. Pour justifier de l'application de l'article 155 A du code général des impôts à M. D..., l'administration fiscale s'est fondée dans la proposition de rectification sur le fait que la société Harucci Ltd a permis de recevoir des sommes versées en rémunération de services rendus par l'entreprise RobinD..., domiciliée.ou établie hors de France L'entreprise individuelle de M. D... exerce une activité de démarrage d'unités de séparation des gaz de l'air avec installation d'équipements électriques et fabrication d'instruments, essentiellement développée à l'étranger et dont le client principal était le groupe Air Liquide, en ayant recours pour certaines missions à des " ingénieurs tiers ". A compter de l'année 2008, la société Harucci Ltd a traité la conclusion des contrats avec le groupe Air Liquide, puis a conclu des contrats de prestation avec l'entreprise D...ou avec d'autres ingénieurs pour la réalisation des prestations vendues, sans disposer d'aucune structure administrative ou commerciale propre lui permettant d'exercer ces missions. L'administration a fait valoir à ce titre que la société Harucci Ltd fonctionnait au travers de la structure de l'entreprise D...dans la mesure où elle reposait sur l'administration, la direction et les moyens matériels de cette entreprise. Les pièces inhérentes au fonctionnement de la société Harucci Ltd ont été saisies chez M. D..., ses parents et à l'adresse de son entreprise. Il a été établi que l'entreprise D...avait, malgré la création de la société Harucci Ltd, continué à traiter les contrats avec le client, les employés et les autres sous-traitants, et assuré les facturations et les suivis des paiements. L'entreprise D...disposait des codes de connexion au compte bancaire de la société Harucci Ltd et gérait les mouvements financiers portés sur ce compte. Si certains documents étaient signés de la main du directeur de la société Harucci Ltd, un certain M.C..., celui-ci ne percevait aucune rémunération de cette société et les contrats étaient préparés et négociés par l'entrepriseD..., seule compétente dans le domaine de l'ingénierie et disposant seule des moyens intellectuels et techniques utiles. Eu égard à ces différents éléments, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve que l'entrepriseD..., domiciliée..., a réalisé, en lieu et place de la société Harucci Ltd, établie hors de France, la vente de prestations d'ingénierie à la société Air Liquide.

9. Si M. D... fait valoir que les prestations d'ingénierie n'ont pas, pour l'essentiel, été réalisées par l'entreprise D...elle-même, puisqu'elles étaient sous-traitées à d'autres ingénieurs, et que ces ingénieurs n'étaient pas résidents fiscaux français, il résulte de l'instruction que l'administration fiscale, qui a déduit du chiffre d'affaires de la société Harucci Ltd les frais de sous-traitance supportés par cette dernière, n'a entendu imposer sur le fondement de l'article 155 A du code général des impôts entre les mains de M. D... que la vente des prestations d'ingénierie à la société Air Liquide. Par suite, contrairement à ce que soutient M. D..., l'administration a bien limité l'imposition entre les mains de M. D... à l'imposition de la rémunération correspondant à un service rendu pour l'essentiel par son entreprise individuelle et pour lequel la facturation par la société Harucci Ltd, domiciliée..., ne trouvait aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière.

10. La circonstance que les prestations d'ingénierie ont été réalisées à l'étranger est, en tout état de cause, sans incidence sur le bien-fondé de l'imposition dès lors que le I de l'article 155 A du code général des impôts qui fonde le redressement litigieux ne prévoit pas que les services doivent être rendus en France.

11. Compte tenu de ce qui a été indiqué au point 8, l'administration fiscale établit que la société Harucci Ltd était contrôlée par l'entrepriseD.ou établie hors de France M. D... se borne à affirmer, sans apporter aucun commencement de preuve au soutien de ses allégations et sans contredire les faits sur lesquels l'administration s'est fondée, à faire valoir que tel ne serait pas le cas.

12. M. D... ne conteste pas non plus que, comme l'a indiqué l'administration, la société Harucci Ltd était située dans un pays à régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du code général des impôts, la société Harucci Ltd bénéficiant localement d'une imposition forfaitaire de 200 livres, ce qui constitue, avec le contrôle effectif de l'entreprise, une condition alternative à la mise en oeuvre de l'article 155 A du code général des impôts. M. D... se contente d'indiquer, sur ce point, que même si le siège social de la société Harucci Ltd était implanté dans un Etat à fiscalité privilégiée, l'article 155 A du code général des impôts ne pouvait trouver à s'appliquer dés lors qu'elle a reversé toutes les sommes versées par les sociétés commanditaires aux sous-traitants. Toutefois, outre que ces faits ne sont pas établis, ils permettraient au mieux, non de contester le principe de l'imposition sur le fondement de l'article 155 A du code général des impôts des sommes litigieuses, mais d'en contester le montant.

13. L'administration ayant ainsi apporté la preuve que l'entrepriseD..., domiciliée..., a réalisé les prestations de services en cause et qu'elle contrôle la société Harucci Ltd qui est, en outre, établie dans un Etat où elle est soumise à un régime fiscal privilégié, il incombe à M. D... d'apporter des éléments permettant d'établir que la facturation de ces prestations par la société Harucci Ltd aurait trouvé une contrepartie réelle dans une intervention qui lui aurait été propre et de regarder le service ainsi rendu comme l'ayant été pour son compte. Toutefois, M. D... n'apporte pas ces éléments en se bornant, sans l'établir, à affirmer, d'une part, que la société Harucci Ltd présentait une utilité commerciale, ses clients ne souhaitant pas commercer avec une société française et, d'autre part, que la société Harucci Ltd exerçait une activité économique effective et ne constituait pas un intermédiaire dissimulé.

En ce qui concerne l'atteinte aux principes de libre prestation de service et de liberté d'établissement :

14. Les dispositions précitées de l'article 155 A du code général des impôts, telles qu'interprétées au point 7, visent uniquement l'imposition des services essentiellement rendus par une personne établie ou domiciliée ou établie hors de Franceet ne trouvant aucune contrepartie réelle dans une intervention propre d'une personne établie ou domiciliée.ou établie hors de France En l'absence, en l'espèce, d'une telle contrepartie permettant de regarder les services concernés comme rendus pour le compte de la société Harucci Ltd, les dispositions de l'article 155 A du code général des impôts ne sauraient porter atteinte à la libre prestation de services à l'intérieur de l'Union européenne ou à la liberté d'établissement.

En ce qui concerne le montant des sommes imposées sur le fondement de l'article 155 A du code général des impôts :

15. Il résulte de ce qui a été indiqué au point 8 que l'administration fiscale a entendu imposer entre les mains de M. D... sur le fondement de l'article 155 A les sommes perçues en rémunération de l'apport de prestations d'ingénierie à la société Air Liquide. Si la réalisation de ces prestations a été sous-traitée à différents ingénieurs, dont M. D... lui-même, il résulte de l'instruction que l'administration a entendu déduire du chiffre d'affaires de la société Harucci Ltd les frais supportés par cette dernière pour l'emploi de ces ingénieurs et les frais de sous-traitance. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a pris en compte l'ensemble des prestations facturées par la société Harucci pour déterminer les sommes imposables sur le fondement de l'article 155 A du code général des impôts et ne s'est pas bornée à prendre en compte les prestations facturées par la société Harucci Ltd au groupe Air Liquide et qui ont été sous-traitées à M. D... lui-même.

16. Aux termes du 2 bis de l'article 38 du code général des impôts : " (ou établie hors de France) les produits correspondant à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont rattachés à l'exercice au cours duquel intervient la livraison des biens pour les ventes ou opérations assimilées et l'achèvement des prestations pour les fournitures de services. / Toutefois, ces produits doivent être pris en compte : / a. Pour les prestations continues rémunérées notamment par des intérêts ou des loyers et pour les prestations discontinues mais à échéances successives échelonnées sur plusieurs exercices, au fur et à mesure de l'exécution (ou établie hors de France) ".

17. En l'absence de la production de pièces issues de la comptabilité de la société Harucci Ltd, l'administration a évalué son chiffre d'affaires et ses charges, pour les rattacher à la comptabilité de l'entreprise individuelleD..., à partir de ses relevés de comptes bancaires. Elle a ainsi pris en compte, au titre des recettes, des crédits bancaires de 216 684 euros au titre de l'année 2009 et de 399 987 euros au titre de l'année 2010. M. D... conteste le rattachement à l'exercice 2009 de 64 441 euros encaissés en 2009 au motif que ces encaissements se rapportent à des factures émises en 2008. Toutefois, dès lors que les encaissements en cause se rapportent au paiement de prestations de service, dont il ne résulte pas de l'instruction, et notamment pas des contrats passés entre la société Harucci Ltd et la société Air Liquide, qu'il s'agirait de prestations discontinues à échéances successives, ces produits doivent se rattacher à l'exercice au cours duquel intervient l'achèvement des prestations. M. D... ne faisant pas valoir que les prestations en cause n'étaient pas achevées en 2009, le moyen tiré de l'erreur d'année de rattachement de ces produits doit être écarté.

18. L'administration fiscale a pris en compte, au titre des charges, les informations figurant sur les relevés de compte de la société Harucci Ltd. Elle a ainsi pris en compte des charges à hauteur de 58 597 euros au titre de 2009 et de 309 112 euros au titre de 2010. Elle a également pris en compte, au titre de l'année 2009 une facture de 35 500 euros de l'entreprise D... au titre de la sous-traitance. M. D...demande la déduction du bénéfice net de la société Harucci Ltd pour 2010 le montant de deux factures de sous-traitance de son entreprise individuelle établies le 28 décembre 2010. M. D... produit, outre ces deux factures, le livre journal de son entreprise individuelle faisant état de ces deux créances pour des montants respectifs de 19 800 euros et 9 400 euros inscrits en comptabilité le 28 décembre 2010 ainsi que les contrats passés entre la société Harucci Ltd et l'entreprise individuelleD.ou établie hors de France Ces contrats, respectivement datés du 15 janvier 2010 et du 15 avril 2010, sont relatifs à des prestations de conseil en ingénierie confiées par la société Harucci Ltd à l'entreprise individuelle D... de mars 2010 à juin 2010 en Pologne et d'avril 2010 à mai 2010 au Brésil. Les montants figurant sur ces contrats sont ceux apparaissant sur les factures. Ils se rapportent à l'exécution de prestations de services vendues par la société Harucci Ltd à la société Air Liquide, et dont les produits ont été pris en compte par l'administration fiscale au titre de l'exercice 2010. L'administration fiscale s'est bornée dans ses écritures devant la cour à faire valoir que M. D... ne produisait pas les justificatifs des charges qu'il entendait déduire du bénéfice net de la société Harucci Ltd. Elle ne conteste pas la valeur probante de ces documents et ne soutient pas qu'ils auraient un caractère frauduleux. Par suite, M. D... est fondé à soutenir que ces charges devaient venir en déduction du bénéfice net de la société Harucci Ltd au titre de l'année 2010 et réduire d'autant son bénéfice industriel et commercial établi sur le fondement de l'article 155 A du code général des impôts. Par voie de conséquence, les bases de l'imposition supplémentaire de M. D... au titre de l'année 2010 doivent être réduites de 29 200 euros.

En ce qui concerne la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel de l'article 155 A du code général des impôts :

19. Il résulte de la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010 que, pour l'application de l'article 155 A du code général des impôts, " dans le cas où la personne domiciliée ou établie hors de Franceau contribuable tout ou partie des sommes rémunérant les prestations réalisées par ce dernier, la disposition contestée ne saurait conduire à ce que ce contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d'un même impôt ". Il résulte de l'instruction que l'administration a déduit des sommes imposées sur le fondement de l'article 155 A les sommes reversées par la société Harucci Ltd à M. D... en rémunération des prestations d'ingénierie qui lui ont été sous-traitées au titre de l'année 2009 et pour lesquelles il a été imposé en France. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été soumis à une double imposition au titre de cette année. S'agissant de l'année 2010, compte tenu de la décharge en base résultant du point 18, le contribuable n'a pas été soumis à une double imposition contraire à l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel de l'article 155 A du code général des impôts.

Sur les pénalités :

20. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts, " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt (...) entraînent l'application d'une majoration de : (...) / c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses ou de dissimulation d'une partie du prix stipulé dans un contrat ou en cas d'application de l'article 792 bis. ".

21. Pour appliquer la pénalité de 80 % prévue au c de l'article 1729 du code général des impôts aux redressements fondés sur l'application de l'article 155 A du code général des impôts, l'administration fiscale a fait valoir que M. D... s'est adressé à un cabinet spécialisé dans les montages permettant de défiscaliser les revenus, pour évaluer les avantages et les risques fiscaux de facturer une partie des prestations via une société localisée à Gibraltar. Cette étude mentionnait l'article 155 A du code général des impôts et indiquait que localiser un bénéfice à Gibraltar n'est intéressant que s'il est réutilisé ou " dans l'éventualité de distributions occultes, les pouvoirs de l'administration étant limités du fait de l'absence de contrôle de comptes à Gibraltar et de l'absence de convention internationale France-Gibraltar ". Contrairement à ce que soutient M.D..., il ne résulte pas de l'instruction que la société Harucci Ltd aurait toujours reversé l'intégralité des sommes qu'elle percevait des sociétés commanditaires à ses sous-traitants. Ainsi, l'administration fiscale apporte la preuve, qui lui incombe, de l'existence d'agissements de M. D... de nature à l'égarer dans l'exercice de son pouvoir de contrôle et donc de l'existence de manoeuvres frauduleuses. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que l'administration a appliqué à tort aux impositions litigieuses la majoration de 80 % prévue par le c) de l'article 1729 du code général des impôts.

22. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la réduction de ses bases d'imposition à hauteur de 28 490 euros au titre de l'année 2009 et de 79 132 euros au titre de l'année 2010, ainsi qu'à la décharge des droits et pénalités correspondants.

Sur les frais liés au litige :

23. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. D... et non compris dans les dépens. En l'absence de dépens, les conclusions tendant au remboursement de frais qui auraient été exposés dans ce cadre ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les bases des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à la charge de M. D... sont réduites de 28 490 euros au titre de l'année 2009 et de 79 132 euros au titre de l'année 2010.

Article 2 : M. D... est déchargé des droits et pénalités correspondant à cette réduction en base.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 22 novembre 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. D... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 22 novembre 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Fischer-Hirtz, présidente de chambre,

M. Souteyrand, président-assesseur,

MmeE..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 13 décembre 2018.

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N° 17LY00284


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