Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 23 avril 2014 par lequel le préfet de la Loire l'a réquisitionné en qualité de salarié de l'institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP) " la Rose des Vents " à Saint-Galmier (42330), pour la nuit du 24 au 25 avril 2014.
Par un jugement n° 1405504 du 30 décembre 2016, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de M. C....
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 28 février 2017, M. C..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 30 décembre 2016 et la décision du 23 avril 2014 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Loire du 23 avril 2014 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
* l'arrêté du 23 avril 2014 est insuffisamment motivé ;
* il porte gravement atteinte au droit de grève qui est une liberté fondamentale, dès lors que :
o le principe de continuité du service public ne pouvait s'imposer en l'espèce, les salariés de " la rose des vents " relevant du droit privé et ne déposant pas de préavis de grève, l'ITEP ne disposant pas de prérogative de puissance publique et ne remplissant pas une mission d'intérêt général ;
o d'autres solutions existaient qui permettaient de respecter le droit de grève, les salariés non grévistes étant en nombre suffisant pour prendre les enfants en dehors des temps scolaires ;
o ces réquisitions sont manifestement abusives, seuls 30 % des 80 salariés étant en grève et les enfants ayant été pris en charge la journée même en l'absence de réquisition ; le service minimum ne nécessitait pas les réquisitions, le nombre de surveillants de nuit non grévistes étant suffisant pour la nuit du 24 au 25 avril 2014.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2018 le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
* la décision en litige est suffisamment motivée ;
* il disposait d'un pouvoir de réquisition en application du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales ;
* l'ITEP est soumis au principe de continuité du service dès lors qu'il exerce des missions d'intérêt général ;
* il n'y avait pas d'autre moyen d'assurer les besoins des enfants accueillis par l'établissement que la réquisition, laquelle était proportionnée aux nécessités, à savoir un surveillant de nuit par pôle, et ne conduisait pas à permettre d'assurer un service normal.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
* la Constitution ;
* le code général des collectivités territoriales ;
* le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
* le rapport de M. Pierre Thierry, premier conseiller,
* et les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C... est surveillant de nuit à l'institut " la rose des vents ", qui accueille des enfants âgés de 8 à 20 ans présentant des troubles du comportement, soit en externat soit en internat avec une prise en charge scolaire par des enseignants de l'éducation nationale. Cet institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP), dont le siège est à Saint-Galmier, est un organisme de droit privé géré par une association. Alors qu'une partie de son personnel était en grève, le préfet de la Loire, à la demande de la directrice de l'institut, par un arrêté du 23 avril 2014, a réquisitionné M. C... pour participer à la prise en charge des enfants accueillis dans la nuit du 24 au 25 avril 2014 de 22 h 30 à 7 h 30. M. C... relève appel du jugement du 30 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. La reconnaissance du droit de grève par la Constitution du 4 octobre 1958, qui constitue une liberté fondamentale, ne saurait avoir pour conséquence d'exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d'en éviter un usage abusif ou bien contraire aux nécessités de l'ordre public ou aux besoins essentiels du pays.
3. Aux termes du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales : " En cas d'urgence, lorsque l'atteinte au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d'entre elles, réquisitionner tout bien et service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l'usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin. (...) " .
4. Il résulte de ce qui précède que si le préfet, dans le cadre des pouvoirs qu'il tient du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, peut légalement requérir les agents en grève d'un établissement de santé ou médico-social, même privé, dans le but d'assurer le maintien d'un effectif suffisant afin d'en assurer le fonctionnement, il ne peut toutefois prendre que les mesures imposées par l'urgence et proportionnées aux nécessités du maintien de l'ordre public.
5. En l'espèce, si le ministre des solidarités et de la santé indique que l'internat de l'institut devait accueillir au cours de la nuit du 24 au 25 avril 2014 une vingtaine d'enfants présentant des troubles du comportement, il n'apporte de précision ni sur la gravité du handicap de ces enfants ni sur leur situation personnelle et familiale ni sur le caractère impératif de leur accueil en internat pour la nuit en cause. Il ne justifie pas dès lors, que la grève d'une partie du personnel de l'institut caractérisait un cas d'urgence d'atteinte au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et la sécurité publique qui exigeait la réquisition de M. C..., dont il n'est, en outre, pas établi que la présence était nécessaire pour l'accueil des enfants dans des conditions de sécurité minimale. Par suite, l'arrêté du préfet de la Loire du 23 avril 2014 est illégal.
6. Dans ces conditions, M. C..., sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 avril 2014.
Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Aux termes de ces dispositions : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ". Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge l'Etat une somme de 1 000 euros qu'il paiera à M. C..., au titre des frais non compris dans les dépens que ce dernier a exposés.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1405504 du tribunal administratif de Lyon du 30 décembre 2016 et l'arrêté du 23 avril 2014 du préfet de la Loire sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à M. C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C... et au ministre des solidarités et de la santé. Copie en sera délivrée au préfet de la Loire.
Délibéré après l'audience du 20 novembre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Virginie Chevalier-Aubert, président assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
M. Pierre Thierry premier conseiller,
Mme D... A..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 11 décembre 2018.
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N° 17LY00845