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10/12/2018 | FRANCE | N°18LY02691

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre b - formation à 3, 10 décembre 2018, 18LY02691


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 29 mai 2018 par lequel le préfet de Saône-et-Loire a décidé son transfert en Italie pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1801432 du 19 juin 2018, le président du tribunal administratif de Dijon a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 16 juillet 2018, le préfet de Saône-et-Loire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du prési

dent du tribunal administratif de Dijon du 19 juin 2018 ;

2°) de rejeter la demande de Musa C... devant...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 29 mai 2018 par lequel le préfet de Saône-et-Loire a décidé son transfert en Italie pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1801432 du 19 juin 2018, le président du tribunal administratif de Dijon a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 16 juillet 2018, le préfet de Saône-et-Loire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du président du tribunal administratif de Dijon du 19 juin 2018 ;

2°) de rejeter la demande de Musa C... devant le président du tribunal administratif.

Il soutient que contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, il a justifié de la réalité de la saisine des autorités italiennes.

Par un mémoire enregistré le 17 septembre 2018, M. A... C..., représenté par Me D..., conclut :

- au rejet de la requête ;

- à ce qu'il soit enjoint au préfet de Saône-et-Loire, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

- à la mise à la charge de l'État du paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le préfet n'établit pas l'existence d'une demande de reprise en charge faite à l'Italie, ainsi que d'une décision d'acceptation tacite des autorités italiennes et de la notification de l'accord tacite à l'Italie ;

- eu égard à la présence de son frère et de trois oncles en France, le préfet a méconnu l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que les paragraphes 15 à 18 du préambule de ce règlement ;

M. A... C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 septembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le règlement (UE) n 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté du 20 octobre 2015 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'État responsable de leur traitement;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Dèche, premier conseiller ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., né le 1er janvier 1987, de nationalité soudanaise, a déclaré être entré irrégulièrement en France le 20 décembre 2017. Il a présenté une demande d'asile auprès des services de la préfecture de police de Paris le 8 janvier 2018. Par arrêté du 29 mai 2018, le préfet de Saône-et-Loire a prononcé son transfert vers l'Italie pour l'examen de sa demande d'asile. Ce préfet fait appel du jugement par lequel le président du tribunal administratif de Dijon a annulé cette décision.

2. D'une part, aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...) 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".

3. Il résulte de ces dispositions que le réseau de communication DubliNet permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile et que les accusés de réception émis par un point d'accès national sont réputés faire foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse.

4. D'autre part, aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier et notamment de l'accusé de réception électronique émanant de la cellule française chargée du réseau de communication électronique DubliNet du 14 février 2018 et du formulaire de demande de prise en charge, puis du courriel du 17 avril 2018 de constat d'un accord implicite que les autorités italiennes ont été effectivement saisies par le préfet de Saône-et-Loire d'une demande visant à la prise en charge de M. A... C... pour l'examen de sa demande d'asile. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision de transfert en litige, le président du tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de l'absence d'une telle demande de prise en charge ayant fait naître une acceptation tacite.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... C....

7. En premier lieu, l'arrêté attaqué est signé de M. Jean-Claude Geney, secrétaire général de la préfecture de Saône-et-Loire qui a reçu délégation de signature par arrêté du préfet en date du 28 août 2017, régulièrement publié au recueil n° 71-2017-074 des actes administratifs du département publié le 29 août 2017. Cet arrêté du préfet donne délégation permanente à M. B... à l'effet de signer tous arrêtés, décisions et circulaires relevant des attributions de l'État dans le département, à l'exception de la réquisition du comptable public et des arrêtés de conflit. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision en cause manque en fait.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'État responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. (...) ".

9. L'article R. 741-1 dudit code prévoit que : " I.- Lorsqu'un étranger, se trouvant à l'intérieur du territoire français, demande à bénéficier de l'asile, l'enregistrement de sa demande relève du préfet de département et, à Paris, du préfet de police. / Un arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de l'asile peut donner compétence à un préfet de département et, à Paris, au préfet de police pour exercer cette mission dans plusieurs départements. (...) ". Aux termes de l'article R. 742-1 de ce code : " L'autorité compétente pour procéder à la détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile, assigner à résidence un demandeur d'asile en application de l'article L. 742-2 et prendre une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 est le préfet de département et, à Paris, le préfet de police. (...) Un arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de l'asile peut donner compétence à un préfet de département et, à Paris, au préfet de police, pour exercer ces missions dans plusieurs départements. ".

10. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 20 octobre 2015 susvisé, pris en application des dispositions de l'article R. 741-1 précité : " I. - L'annexe au présent arrêté fixe la liste des préfets compétents pour enregistrer la demande d'asile d'un étranger se trouvant sur le territoire métropolitain et procéder à la détermination de l'État membre responsable de l'examen de cette demande. Elle précise en outre les départements dans lesquels chacun de ces préfets est compétent. II. - Le préfet compétent reçoit de l'étranger sollicitant l'enregistrement de sa demande les pièces prévues par l'article R. 741-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si l'étranger remplit les conditions pour l'obtenir, le préfet lui délivre l'attestation de demande d'asile prévue par l'article L. 741-1 du même code. Le renouvellement de cette attestation est sollicité auprès du préfet du département dans lequel son détenteur réside ou est domicilié. "

11. Selon l'annexe à cet arrêté, le préfet de Saône-et-Loire (Mâcon) est compétent pour effectuer les démarches pour déterminer l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile pour le département de Saône-Loire, dans lequel résidait l'intéressé à compter du 16 janvier 2018, ayant été pris en charge au CAO de Digoin.

12. Il ressort des pièces du dossier et de ce qui a été dit précédemment que le préfet de Saône-et-Loire a effectué l'ensemble de ces démarches. Ainsi, le moyen tiré de ce que la procédure d'instruction de la demande d'asile présentée par l'intéressé aurait été menée par une autorité incompétente manque en fait.

13. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) ; (...) f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".

14. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.

15. Il ressort des pièces du dossier que M. A... C... s'est vu remettre, le 8 janvier 2018, date de dépôt de sa demande d'asile, les brochures d'information A et B en langue arabe qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 de ce même règlement, et figurant en annexe au règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.

16. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".

17. Il ressort des pièces du dossier, que M. A... C... a bénéficié, le 8 janvier 2018, d'un entretien individuel assuré par un agent de la préfecture de police de Paris. Aucune disposition du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'implique que cet agent devait mentionner son nom sur la fiche relatant cet entretien. Par ailleurs, aucun élément du dossier n'établit que ledit agent n'aurait pas été " qualifié en vertu du droit national " pour tenir l'entretien ci-dessus.

18. En cinquième lieu, les dispositions de l'article 10 du règlement CE n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 relatives au " transfert suite à une acceptation implicite ", portent sur l'organisation matérielle du transfert. De telles dispositions, qui concernent l'exécution de la mesure de transfert, sont sans incidence sur la légalité de cette décision. Par suite, M. A... C... ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions pour contester la légalité de la décision de transfert prise à son encontre.

19. En dernier lieu, aux termes de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. ". Cet article 9 met en oeuvre les principes énoncés aux points 15 à 18 du préambule du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, dont l'intéressé se prévaut.

20. Si les dispositions précitées retiennent comme critère de détermination de l'Etat responsable d'une demande d'asile la qualité de " membre de la famille " du demandeur d'asile, ce critère ne peut viser que les membres de la famille définis au g) de l'article 2 de ce règlement. Les enfants majeurs ou membres majeurs d'une même fratrie ne figurent pas parmi les membres de la famille tels que définis à cet article. Par suite, M. A... C... n'est pas fondé à soutenir qu'en raison de la présence en France de son frère et de trois de ses oncles, le préfet de Saône-et-Loire aurait méconnu les dispositions précitées du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 en prenant la décision de le remettre aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile par ces dernières.

21. Il résulte de ce qui précède que le préfet de Saône-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Dijon a annulé la décision en litige.

22. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme au conseil de M. A... C... au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1801432 du président du tribunal administratif de Dijon du 19 juin 2018 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. A... C... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... C.... Copie en sera adressée au préfet de Saône-et-Loire et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Mâcon.

Délibéré après l'audience du 19 novembre 218 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

M. Seillet, président-assesseur,

Mme Dèche, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 décembre 2018.

2

N° 18LY02691


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre b - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY02691
Date de la décision : 10/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: Mme Pascale DECHE
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : ROTHDIENER

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-12-10;18ly02691 ?
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