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26/11/2018 | FRANCE | N°18LY02431

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre b - formation à 3, 26 novembre 2018, 18LY02431


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 9 avril 2018 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a décidé son transfert en Espagne pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1802877 du 30 mai 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 29 juin 2018, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :

1°)

d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 30 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 9 avril 2018 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a décidé son transfert en Espagne pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1802877 du 30 mai 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 29 juin 2018, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 30 mai 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. A... devant le président du tribunal administratif.

Il soutient que contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, il a justifié de la réalité de la saisine des autorités espagnoles.

Par un mémoire enregistré le 13 novembre 2018, M. A..., représenté par Me Djinderedjian, avocate, conclut au non-lieu à statuer sur la requête du préfet et à ce que soit mis à la charge de l'État le paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que le préfet a pris un nouvel arrêté de transfert vers les autorités espagnoles, le 21 juin 2018, ce qui prive d'objet la requête du préfet.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 septembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté du 20 octobre 2015 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'État responsable de leur traitement ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Dèche, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 27 juillet 1995, de nationalité guinéenne (Conakry), a déclaré être entré irrégulièrement en France le 28 novembre 2017. Il a présenté une demande d'asile auprès des services de la préfecture de l'Isère le 22 décembre 2017. Par arrêté du 9 avril 2018, le préfet de la Haute-Savoie a prononcé son transfert vers l'Espagne pour l'examen de sa demande d'asile. Ce préfet relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

Sur l'exception de non-lieu à statuer invoquée par M. A... :

2. Lorsque l'autorité administrative, en exécution d'un jugement d'annulation, prend une nouvelle décision qui n'est motivée que par le souci de se conformer à ce jugement d'annulation, cette nouvelle décision ne prive pas d'objet l'appel dirigé contre ce jugement.

3. Pour tirer les conséquences de l'annulation de son arrêté du 9 avril 2018 prononcée par le jugement attaqué du 30 mai 2018, le préfet de la Haute-Savoie, par arrêté du 21 juin 2018, a prescrit à nouveau le transfert de M. A... vers l'Espagne pour l'examen de sa demande d'asile. Cette nouvelle décision du préfet n'a pas privé d'objet l'appel dirigé par cette autorité contre le jugement d'annulation. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer invoquée par M. A... ne saurait être accueillie.

Sur la légalité de l'arrêté du 9 avril 2018 :

4. D'une part, aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...) 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".

5. Il résulte de ces dispositions que le réseau de communication " DubliNet " permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile et que les accusés de réception émis par un point d'accès national sont réputés faire foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse.

6. D'autre part, aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. (...) ".

7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est présenté à la préfecture de l'Isère pour déposer une demande d'asile le 22 décembre 2017. Le même jour, ses empreintes digitales ont été relevées et un contrôle du fichier européen Eurodac a donné un résultat positif, révélant que M. A... avait déjà vu ses empreintes digitales relevées par les autorités espagnoles le 24 novembre 2017. Une requête aux fins de prise en charge de l'intéressé a été adressée le 9 février 2018 aux autorités espagnoles, comme le confirme l'accord explicite de ces mêmes autorités, du 19 février 2018, qui fait référence à la demande du 9 février 2018. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision de transfert en litige, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de l'absence d'une demande de prise en charge dans les délais requis.

8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A....

9. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) ; (...) f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.

11. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre, le 22 décembre 2017, date de dépôt de sa demande d'asile, les brochures d'information A et B en langue française qu'il a déclarée comprendre, qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 de ce même règlement, et figurant en annexe au règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.

12. En second lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) " et aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".

13. La faculté laissée à chaque État membre, par le 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

14. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en s'abstenant de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui permet à un État d'examiner la demande d'asile d'un demandeur même si cet examen ne lui incombe pas en application des critères fixés dans ce règlement, le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation.

15. D'autre part, le requérant soutient, sans apporter aucun justificatif à l'appui de ses allégations, qu'il encourt des risques sérieux dans son pays d'origine où il prétend avoir subi des violences sexuelles du fait de son intention d'organiser une " soirée gay ". Le moyen tiré des risques auxquels M. A... pourrait être exposé en cas de retour en Guinée est inopérant à l'encontre de la décision contestée, par laquelle le préfet de la Haute-Savoie a décidé son transfert en Espagne en vue de l'examen de sa demande d'asile par cet État. Par suite, le requérant ne peut utilement invoquer ni un défaut d'examen des risques qu'il encourt en Guinée ni une méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au regard de ces mêmes risques.

16. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision en litige.

DÉCIDE

Article 1er : Le jugement du président du tribunal administratif de Grenoble du 30 mai 2018 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. A... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A.... Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie et au procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Annecy.

Délibéré après l'audience du 19 novembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Dèche, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 novembre 2018.

2

N° 18LY02431


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre b - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY02431
Date de la décision : 26/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: Mme Pascale DECHE
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : DJINDEREDJIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-11-26;18ly02431 ?
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