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26/11/2018 | FRANCE | N°17LY03135

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre b - formation à 3, 26 novembre 2018, 17LY03135


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au président du tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du préfet de l'Isère du 7 juillet 2017 l'obligeant à quitter le territoire français, lui refusant un délai de départ volontaire, lui interdisant le retour sur le territoire français pendant un an et l'assignant à résidence.

Par un jugement n° 1703846 du 11 juillet 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cou

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Par une requête enregistrée le 11 août 2017, présentée pour M. A..., il est demandé à la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au président du tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du préfet de l'Isère du 7 juillet 2017 l'obligeant à quitter le territoire français, lui refusant un délai de départ volontaire, lui interdisant le retour sur le territoire français pendant un an et l'assignant à résidence.

Par un jugement n° 1703846 du 11 juillet 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 11 août 2017, présentée pour M. A..., il est demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 11 juillet 2017 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susmentionnées ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros, au profit de son conseil, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle a été prise en violation des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est contraire aux stipulations du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

S'agissant de la décision lui interdisant le retour sur le territoire français pendant un an :

- elle méconnaît les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

S'agissant de la décision l'assignant à résidence :

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle constitue une mesure inutile et disproportionnée.

Par un mémoire, enregistré le 17 septembre 2018, le préfet de l'Isère conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.

M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une ordonnance du président de la cour administrative d'appel de Lyon en date du 13 décembre 2017.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de M. Seillet, président assesseur, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant tunisien né le 26 janvier 1984, est arrivé en France irrégulièrement, le 22 août 2008, selon ses déclarations. Sa première demande de titre de séjour, fondée sur des motifs tenant à sa vie privée et familiale, a été rejetée par le préfet de l'Isère par une décision du 27 septembre 2013 contre laquelle il a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande d'annulation rejetée par un jugement du 28 mars 2014. Ayant ensuite sollicité son admission au séjour à titre exceptionnel, il s'est vu opposer un nouveau refus, assorti d'une nouvelle mesure d'éloignement, par un arrêté préfectoral du 17 septembre 2015. Le 7 juillet 2017, suite à l'interpellation de l'intéressé à l'occasion d'un contrôle routier, le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'un an et l'a assigné à résidence. M. A... fait appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces dernières décisions.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1 lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré (...) ".

3. M. A..., de nationalité tunisienne, s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour par des décisions des 27 septembre 2013 et 17 septembre 2015. Ainsi, à la date de l'arrêté en litige, le 7 juillet 2017, il était dans le cas prévu par les dispositions précitées du 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut faire obligation à un étranger de quitter le territoire français.

4. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de l'arrêté contesté, que le préfet de l'Isère n'aurait pas procédé à un examen de la situation familiale de M. A... avant de prendre à son encontre une obligation de quitter le territoire français.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

6. M. A... se prévaut de sa présence depuis 2008 en France où il a épousé, le 12 mai 2012, une ressortissante algérienne titulaire d'un certificat de résidence de dix ans valable jusqu'en 2019, qui travaille, et où est née leur fille, le 26 septembre 2013, et il affirme qu'il est parfaitement intégré en produisant une promesse d'embauche. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. A..., qui n'établit pas l'ancienneté de son séjour en France antérieurement à 2012, s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français en dépit de deux mesures d'éloignement prises à son encontre en 2013 et 2015, et a été interpellé, le 7 juillet 2017, alors qu'il était au volant d'un véhicule sans être titulaire d'un permis de conduire français. La promesse d'embauche qu'il produit, non datée, n'est pas à elle seule de nature à justifier de ses capacités d'insertion professionnelle en France à la date de l'arrêté contesté. Enfin, si, à la date de cet arrêté, il était marié depuis cinq ans avec une ressortissante algérienne en situation régulière avec laquelle il avait fondé un foyer, les intéressés ne pouvaient pas ignorer, dès le début de leur relation, que leurs perspectives d'installation commune en France étaient incertaines du fait de la précarité du séjour sur le territoire français de M. A... et la circonstance que le requérant et son épouse sont de nationalités distinctes est sans incidence sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Ainsi, et alors que M. A... n'est pas dépourvu d'attaches en Tunisie, où il a passé la majeure partie de sa vie, le préfet de l'Isère, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".

8. Dès lors que M. A... était marié, à la date de la décision en litige, avec une personne étrangère en situation régulière en France, il entrait dans une catégorie d'étrangers ouvrant droit au regroupement familial. Ainsi, il n'était pas en droit de prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, il a pu légalement faire l'objet d'une mesure d'éloignement.

9. En cinquième lieu, aux termes du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

10. Si M. A... est père d'une enfant, âgée de près de quatre ans à la date de l'arrêté contesté, dont la mère est titulaire d'un titre de séjour, il ne ressort pas des pièces du dossier que son foyer ne pourrait pas se reconstituer hors de France. Par suite, en faisant obligation de quitter le territoire français à M. A..., le préfet de l'Isère n'a pas méconnu les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant.

11. Enfin, il résulte des circonstances de fait énoncées ci-avant qu'en faisant obligation de quitter le territoire français à M.A..., le préfet de l'Isère n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé.

Sur la légalité de l'assignation à résidence :

12. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur : " I - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 5° fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...) Lorsqu'il apparaît qu'un étranger assigné à résidence en application du présent article ne présente plus de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque mentionné au 3° du II de l'article L. 511-1 (...) l'article L. 551-1 est applicable. (...) ".

13. En se bornant à se prévaloir d'un domicile à Grenoble avec son épouse et à contester le caractère proportionné de la mesure d'assignation à résidence, M. A... n'établit pas l'erreur d'appréciation dont serait entachée cette mesure.

Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

14. Eu égard au séjour régulier en France de son épouse, titulaire d'un emploi et d'un logement, et de leur fille mineure âgée de près de quatre ans à la date de la décision en litige, le préfet de l'Isère, en faisant interdiction à M. A... de retourner sur le territoire français durant un an, a porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis. Par suite, ladite décision a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette décision doit en conséquence être annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen soulevé contre ladite décision.

15. Il résulte de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français durant un an.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

16. L'annulation de la seule décision d'interdiction de retour sur le territoire français n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions présentées par M. A... aux fins de délivrance d'un titre de séjour ou de réexamen de sa situation administrative doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

17. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Schürmann, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 000 euros au profit de Me Schürmann, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 11 juillet 2017 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de M. A... tendant à l'annulation de la décision du 7 juillet 2017 par laquelle le préfet de l'Isère lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français durant un an.

Article 2 : La décision du préfet de l'Isère du 7 juillet 2017 faisant interdiction à M. A... de retourner sur le territoire français pendant un an est annulée.

Article 3 : L'État versera la somme de 1 000 euros à Me Schürmann, avocat de M. A..., au titre des frais prévus à l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Schürmann renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Dèche, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 novembre 2018.

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N° 17LY03135


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre b - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17LY03135
Date de la décision : 26/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : SCHURMANN

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-11-26;17ly03135 ?
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