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15/11/2018 | FRANCE | N°18LY02082

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre b - formation à 3, 15 novembre 2018, 18LY02082


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 24 avril 2018 par lequel le préfet de la Drôme a ordonné son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1802832 du 28 mai 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 6 juin 2018, le préfet de la Drôme demande à la cour :
>1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 24 avril 2018 par lequel le préfet de la Drôme a ordonné son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1802832 du 28 mai 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 6 juin 2018, le préfet de la Drôme demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 28 mai 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. A... B... devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- compte tenu des pièces qu'il a produites, c'est à tort que le premier juge, qui de plus s'est mépris sur la date de l'accusé de réception, s'est fondé sur le motif tiré de ce que la preuve de la saisine des autorités portugaises n'était pas établie ;

- pour les motifs invoqués devant le tribunal administratif, les autres moyens de la demande de première instance sont infondés.

Par un mémoire enregistré le 19 septembre 2018, M. A... B..., représenté par Me Albertin, avocat, conclut au rejet de la requête, à l'annulation de la décision en litige, à ce qu'il soit enjoint au préfet compétent d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et à la mise à la charge de l'État du paiement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le signataire de la décision était incompétent ;

- la requête aux fins de reprise en charge a été adressée, non pas le 8 janvier 2018 comme l'indique le préfet mais le 13 mars 2018 comme l'indique l'accusé de réception versé au débat, soit après l'expiration du délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac fixé par le 2 de l'article 23 du règlement du 26 juin 2013,

- les autorités italiennes ne sont pas à même de traiter sa demande d'asile ; dès lors, la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Par un mémoire enregistré le 4 octobre 2018, M. A... B..., représenté par Me Albertin, avocat, conclut :

- au rejet de la requête ;

- à ce qu'il soit enjoint au préfet compétent, à titre principal, de le convoquer, d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour pendant l'examen de sa demande d'asile, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de juger que la requête est devenue sans objet, la France étant devenue responsable de sa demande d'asile en application de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- à la mise à la charge de l'État du paiement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que la France est devenue compétente pour examiner sa demande d'asile, le délai de six mois fixé par l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 étant aujourd'hui expiré.

M. A... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 septembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Clot président,

- les conclusions de M. Laval, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant soudanais né le 1er février 1993, a déposé une demande d'asile à la préfecture de la Drôme le 10 novembre 2017. Le préfet de la Drôme relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé sa décision du 24 avril 2018 ordonnant le transfert de l'intéressé vers l'Italie en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Sur les conclusions de M. A... B... à fin de non lieu à statuer sur la requête du préfet :

2. Le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 fixe, à ses articles 7 et suivants, les critères à mettre en oeuvre pour déterminer, de manière claire, opérationnelle et rapide ainsi que l'ont prévu les conclusions du Conseil européen de Tempere des 15 et 16 octobre 1999, l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile. La mise en oeuvre de ces critères peut conduire, le cas échéant, à une demande de prise ou reprise en charge du demandeur, formée par l'État membre dans lequel se trouve l'étranger, dénommé " Etat membre requérant ", auprès de l'État membre que ce dernier estime être responsable de l'examen de la demande d'asile, ou " État membre requis ". En cas d'acceptation de ce dernier, l'État membre requérant prend, en vertu de l'article 26 du règlement, une décision de transfert, notifiée au demandeur, à l'encontre de laquelle ce dernier dispose d'un droit de recours effectif, en vertu de l'article 27, paragraphe 1, du règlement. Aux termes du paragraphe 3 du même article : " Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national : / a) le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l'État membre concerné en attendant l'issue de son recours ou de sa demande de révision (...) ". Aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement, le transfert du demandeur vers l'État membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant ".

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". En vertu du II du même article, lorsque la décision de transfert est accompagnée d'un placement en rétention administrative ou d'une mesure d'assignation à résidence notifiée simultanément, l'étranger dispose d'un délai de quarante-huit heures pour saisir le président du tribunal administratif d'un recours et ce dernier dispose d'un délai de soixante-douze heures pour statuer. Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article L. 742-6 du même code prévoit que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'État requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. L'appel n'a pas pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'État requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale

5. Si le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 a recommencé à courir à compter de la date de notification du jugement attaqué, du 28 mai 2018, ce délai n'est pas expiré à la date du présent arrêt. Dès lors, contrairement à ce que soutient M. A... B..., la France n'est pas devenue responsable de sa demande d'asile et la requête du préfet contre ce jugement n'est pas devenue sans objet.

Sur le bien-fondé du motif d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif :

6. D'une part, aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...) 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".

7. Il résulte de ce qui précède que le réseau de communication " DubliNet " permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile et que les accusés de réception émis par un point d'accès national sont réputés faire foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse.

8. D'autre part, aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. /Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif ("hit") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement. (...) ".

9. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de Drôme a eu connaissance le 10 novembre 2017 de ce que les empreintes de M. A... B... avaient été relevées par les autorités italiennes le 2 septembre 2017. Il ressort également des pièces du dossier et notamment des copies de l'accusé de réception " DubliNet " des 8 janvier et 13 mars 2018, produits par le préfet devant le tribunal administratif, que les autorités italiennes ont effectivement été saisies, le 8 janvier 2018, d'une demande de prise en charge de l'intéressé et qu'en l'absence de réponse, elles doivent être regardées comme ayant implicitement accepté leur responsabilité. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision en litige, le premier juge s'est fondé sur le motif tiré de ce qu'aucun élément ne permettait de justifier de la date à laquelle une demande de prise en charge avait été adressée aux autorités italiennes.

10. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... B....

Sur les moyens invoqués par M. A... B... :

11. En premier lieu, par arrêté du 4 septembre 2017, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Drôme le même jour, le préfet a donné délégation à M. Frédéric Loiseau, secrétaire général de la préfecture, pour signer " tous actes et documents administratifs relevant des services de la préfecture et de la fonction de direction des services déconcentrés de l'État (...) ", à l'exception de certains actes précisément énumérés parmi lesquels ne figurent pas les décisions relatives à la police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige est infondé.

12. En deuxième lieu, comme il a été dit ci-dessus, la requête aux fins de prise en charge de M. A... B... a été adressée aux autorités italiennes le 8 janvier 2018, soit dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac, fixé par l'article 21 du règlement du 26 juin 2013.

13. En troisième et dernier lieu, aux termes du 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". La faculté laissée à chaque État membre, par le 1. de l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

14. Si M. A... B... fait valoir que les autorités italiennes, submergées par un afflux de migrants, ne sont pas en mesure d'assurer son accueil et l'instruction de sa demande d'asile dans des conditions conformes aux exigences du droit de l'Union européenne, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il y serait privé du respect des garanties accordées par le droit d'asile en termes d'accueil et d'examen particulier de sa demande. Dès lors, le préfet de la Drôme n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage, en l'espèce, de la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

15. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Drôme est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision en litige. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de M. A... B... à fin d'injonction et celles de son conseil tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 28 mai 2018 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. A... B... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C... B....

Copie en sera adressée au préfet de la Drôme et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Valence.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Dèche, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 novembre 2018.

N° 18LY02082 7


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre b - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY02082
Date de la décision : 15/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre CLOT
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : ALBERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-11-15;18ly02082 ?
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