Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions, en date du 8 septembre 2016, par lesquelles le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure.
Par un jugement n° 1607458, en date du 11 juillet 2017, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 1er août 2017, Mme A..., représentée par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 11 juillet 2017 ;
2°) d'annuler les décisions du 8 septembre 2016, du préfet du Rhône refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et désignant le pays de destination de cette mesure d'éloignement ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de lui délivrer le titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée.
Mme A...soutient que :
- en s'abstenant de saisir la commission du titre de séjour, le préfet a méconnu les dispositions des articles L. 313-14, L. 312-2, R. 312-5 et R. 312-8 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la valeur probante des pièces produites pour justifier de sa résidence habituelle n'a pas été contestée par le préfet et les années passées en France sous une identité usurpée doivent être prises en compte pour apprécier la durée de cette résidence ;
- compte tenu de la durée de sa présence en France et des liens qu'elle entretient avec les enfants qu'elle a pris en charge, le préfet du Rhône a méconnu le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article L. 313-14 du même code et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire enregistré le 5 octobre 2018, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Le préfet du Rhône soutient que :
- Mme A... ne soulève aucun moyen nouveau en appel ;
- elle n'établit toujours pas sa présence continue sur le territoire français pendant une durée de dix ans.
Le courrier de Mme A... informant le bureau d'aide juridictionnelle de son intention de solliciter le bénéfice de l'aide juridictionnelle a fait l'objet d'une décision de classement sans suite du 3 octobre 2017.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B..., première conseillère,
- et les observations de Me D..., représentant Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., de nationalité comorienne, née le 5 mars 1966, est entrée en France selon ses dires en 2000, où elle a sollicité le 8 janvier 2016 la délivrance d'un titre de séjour. Par des décisions du 8 septembre 2016, le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné un pays de destination. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a quitté Mayotte pour la France métropolitaine le 16 octobre 2000. Pour établir sa présence continue sur le territoire français depuis lors, elle se prévaut notamment de documents établis au nom de Mme C... F..., identité qu'elle a usurpée entre 2003 et 2013, ce qui a donné lieu à sa condamnation, en dernier lieu par une décision définitive rendue par la cour d'appel de Lyon le 23 octobre 2013.
4. Si la condamnation d'un étranger pour usurpation d'identité ne signifie pas que tous les actes accomplis par cet étranger sous la fausse identité l'ont été par lui, il ne peut être exclu pour autant que les actes accomplis sous la fausse identité l'aient été par la personne condamnée pour usurpation d'identité. Dans une telle hypothèse, le juge administratif doit apprécier l'ensemble des pièces produites par l'intéressé, en tenant compte de la nature particulière des documents produits sous couvert d'une usurpation d'identité.
5. En l'espèce, Mme A... a produit des pièces établies sous sa véritable identité pour l'année 2002, qui attestent de ce qu'elle était alors employée à Marseille. Les pièces produites sous l'identité usurpée de Mme F... et qui attestent de sa présence dans la famille G...à compter de 2009, doivent être également regardées comme concernant Mme A..., dans la mesure où il est constant que la requérante a été désignée subrogée tutrice des enfants de cette famille sous cette fausse identité. Si la même force probante ne peut être reconnue aux pièces produites pour les années 2003 à 2008 et se rapportant à Mme F..., il ressort toutefois des pièces du dossier, non sérieusement contestées par le préfet, lequel se borne à opposer le caractère irrecevable des pièces établies sous une identité usurpée, que Mme A... n'a pas quitté le territoire français pendant cette période, pendant laquelle elle a vécu dans différentes familles de la communauté comorienne en France, en contrepartie d'une aide ménagère et de la prise en charge des enfants. Ainsi Mme A... doit être regardée comme établissant la réalité de sa résidence habituelle depuis plus de dix années en France à la date de la décision lui refusant le séjour. Dès lors, le préfet du Rhône était tenu de saisir la commission du titre de séjour en application des dispositions précitées et, à défaut, a entaché sa décision d'une irrégularité devant entraîner son annulation, de même que, par voie de conséquence, celle de la décision l'obligeant à quitter le territoire français et celle fixant le pays de destination de cette mesure.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, un délai d'exécution ".
8. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement mais seulement qu'il soit enjoint au préfet du Rhône de saisir la commission du titre de séjour et de statuer à nouveau sur la situation de Mme A... à l'issue de cette saisine dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et dans l'attente de délivrer à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu de prononcer une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Mme A... au titre des frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du préfet du Rhône en date du 8 septembre 2016 et le jugement du tribunal administratif de Lyon du 11 juillet 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de saisir la commission du titre de séjour et de statuer à nouveau sur la situation de Mme A... à l'issue de cette saisine dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et dans l'attente de délivrer à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A..., au préfet du Rhône et au ministre de l'intérieur. Copie du présent arrêt sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 9 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique le 6 novembre 2018.
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N° 17LY02985