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30/10/2018 | FRANCE | N°17LY02366

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre - formation à 3, 30 octobre 2018, 17LY02366


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société d'exploitation (SEPE) Iris Intervent a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler deux arrêtés du 22 décembre 2015 par lesquels le préfet de la région Bourgogne, préfet de la Côte-d'or, a refusé de lui délivrer deux permis de construire en vue de l'édification de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Corpoyer-la-Chapelle et de Darcey, d'enjoindre au préfet de statuer à nouveau sur les demandes de permis de construire dans un délai

d'un mois à compter du jugement à intervenir et de mettre à la charge de l'Etat ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société d'exploitation (SEPE) Iris Intervent a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler deux arrêtés du 22 décembre 2015 par lesquels le préfet de la région Bourgogne, préfet de la Côte-d'or, a refusé de lui délivrer deux permis de construire en vue de l'édification de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Corpoyer-la-Chapelle et de Darcey, d'enjoindre au préfet de statuer à nouveau sur les demandes de permis de construire dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1600361 du 11 avril 2017, le tribunal administratif de Dijon a annulé ces deux arrêtés et enjoint au préfet de Côte-d'or, préfet de la région Bourgogne, de réexaminer la demande de permis de construire de la société d'exploitation Iris Intervent dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 750 euros à verser à SEPE Iris Intervent au titre des frais irrépétibles.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 15 juin 2017, ministre de la cohésion des territoires, demande à la cour d'annuler le jugement n° 1600361 du 11 avril 2017, du tribunal administratif de Dijon.

Il soutient que :

- le tribunal administratif de Dijon a commis une erreur d'appréciation en considérant que le secteur d'implantation des huit éoliennes se situe dans des espaces agricoles dépourvu d'attrait particulier et sans sensibilité paysagère ;

- il a commis une erreur d'appréciation concernant le risque d'atteinte à la sécurité publique ;

Par des mémoires en défense présentés par MeB..., enregistrés le 14 novembre 2017, le 15 juin 2018 et le 19 juillet 2018 ce dernier n'ayant pas été communiqué, la SEPE Iris Intervent conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de la cohésion des territoires et les intervenants volontaires ne sont pas fondés ;

Par des mémoires enregistrés le 16 janvier 2018, le 5 mars 2018 et 26 juin 2018, présentés par Me A...D..., la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) et l'association de défense de l'environnement et du patrimoine du collectif régional Bourgogne-Franche-Comté (ACBFC) ont présenté des observations et demandent qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête ;

Par des mémoires enregistrés le 11 mai 2018, et 26 juin 2018 présentés par Me A... D..., la commune de La-Villeneuve-Les-Convers, représentée par son maire en exercice a présenté des observations et demandé qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code du patrimoine ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pierre Thierry, premier conseiller,

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,

- les observations de Me D..., représentant La Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, l'association de défense de l'environnement et du patrimoine du collectif régional Bourgogne-Franche-Comté, et la commune de La Villeneuve-les-Convers et celles de MeC..., représentant la SEPE Iris Intervent.

Vu la note en délibéré enregistrée le 2 octobre 2018 présentée par Me D... pour la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), l'association de défense de l'environnement et du patrimoine du collectif régional Bourgogne-Franche-Comté (ACBFC) et la commune de La-Villeneuve-les-Convers ;

Considérant ce qui suit :

1. Par deux arrêtés du 22 décembre 2015, le préfet de la Région Bourgogne a refusé de délivrer deux permis de construire demandés par la société d'exploitation (SEPE) Iris Intervent, concernant, pour le premier, quatre aérogénérateurs et deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Darcey et, pour le second, quatre aérogénérateurs sur le territoire de la commune de Corpoyer-la-Chapelle, le tout formant un ensemble de huit éoliennes, chacune d'une hauteur de 207 mètres, pales comprises. Le ministre de la cohésion des territoires relève appel du jugement du 11 avril 2017 du tribunal administratif de Dijon qui a annulé ces deux arrêtés et enjoint au préfet de la Côte-d'Or de réexaminer la demande de permis de construire de la société d'exploitation Iris Intervent.

2. La société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, l'association de défense de l'environnement et du patrimoine du collectif régional Bourgogne-Franche-Comté, ainsi que la commune de La-Villeneuve-Les-Convers ont intérêt à l'annulation du jugement attaqué. Leur intervention est ainsi recevable.

3. Dans sa globalité, le projet de huit aérogénérateurs, situé au bord du plateau du Duesmois s'implante à plus 7 km de sites naturels comportant notamment, d'une part, le site antique d'Alesia et d'autre part, le village médiéval de Flavigny-sur-Ozerain. L'ensemble, qui comporte les plus hautes éoliennes du département de la Côte-d'Or, se déploie sur un linéaire de 2,5 km en co-visibilité avec la silhouette du village médiéval de Flavigny-sur--Ozerain situé à une altitude comparable. Par les deux arrêtés annulés par le tribunal administratif de Dijon, le préfet de Côte-d'or a fondé son refus de délivrer les deux permis de construire sollicités en considération de ce que la taille et la situation des aérogénérateurs ne permettaient aucune insertion dans le paysage existant, le projet bouleversant l'ambiance des lieux, en dénaturant le caractère emblématique, et qu'il était, ainsi, de nature à porter atteinte aux lieux environnants, aux monuments historiques, paysages et perspectives monumentales au sens de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme.

4. Le préfet de Côte-d'or a également considéré, spécifiquement au sujet de l'éolienne EL03, prévue pour être installée sur la commune de Corpoyer-la-chapelle, à une distance de 187 mètres de la route RD 19, que cette proximité engendrait un problème de sécurité pour les usagers de la route.

5. Aux termes de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. "

6. Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le site d'implantation du projet se situe sur une zone en bordure du plateau du Dumois constituée d'espaces agricoles et de bois qui ne présentent pas par eux-mêmes d'attrait particulier. La zone d'implantation des éoliennes est située à plus de 7 kilomètres du village de Flavigny-sur-Ozerain, village médiéval ayant obtenu le label " plus beaux villages de France ", et à plus de 8 kilomètres du mont d'Auxois, site présumé du camp d'Alesia et élément du patrimoine historique reconnu et notable du secteur. Toutefois cette situation ne confère pas au lieu d'implantation lui-même une valeur qu'il conviendrait de protéger par l'observation de prescriptions spéciales ou par le refus pur et simple des constructions en cause. La circonstance que se trouvent à proximité des zones naturelles d'intérêt écologique floristique et faunistique et que nichent des faucons pèlerins et des chauves-souris dans les environs, n'a pas pour effet de conférer à cet ensemble paysager un intérêt supplémentaire au sens des dispositions sus rappelées de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme.

8. En deuxième lieu, en ce qui concerne l'impact de l'implantation d'éoliennes sur le site d'Alésia, il ressort des pièces du dossier que si les aérogénérateurs prévus par le projet seront visibles depuis l'oppidum, ils ne le seront ni depuis le site de la statue de Vercingétorix, ni depuis le muséoparc. Il ne ressort pas de ces mêmes pièces que l'implantation des aérogénérateurs, à une distance de près de 8 kilomètres porterait, par leur taille, leur forme ou leur aspect une atteinte notable à la perspective des lieux.

9. En ce qui concerne le village de Flavigny-sur-Ozerain, il n'est pas contesté que le groupe des huit éoliennes sera visible depuis l'entrée sud du village par la route D9, située à une altitude légèrement supérieure à celle du lieu d'implantation des éoliennes à environ 8 kilomètres. Il ressort du volet paysager de l'étude d'impact que, bien que nettement visible depuis ce point, la modification du paysage qui en résulte ne porte pas une atteinte sensible à la perspective offerte par le village. Si la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et l'association de défense de l'environnement et du patrimoine du collectif régional Bourgogne-Franche-Comté soutiennent que les éoliennes seront encore visibles de nombreux autres points du village, entièrement inclus dans une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, les photos qu'elles produisent ne permettent pas de l'établir. Dans ces conditions, et alors que l'implantation du groupe d'aérogénérateurs est prévue en dehors de cette zone, ces associations ne sont pas fondées à soutenir que le projet en cause est de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains. Elles ne peuvent davantage se prévaloir de ce que le village serait susceptible de perdre son label " plus beaux villages de France ", perspective au demeurant simplement évoquée comme une éventualité au terme d'une nouvelle inspection sur le respect des conditions à remplir pour bénéficier de ce label.

10. Il n'est pas contesté que le volet paysager de l'étude d'impact ne contient pas de photomontages permettant d'apprécier l'impact visuel qu'auront les éoliennes litigieuses sur le paysage vu depuis le lieu-dit Epermaille, non plus que sur la voie romaine reliant Alesia à Sombernon. Toutefois, ce volet paysager comporte de nombreux photomontages réalisés à partir d'autres angles de vue et des analyses mesurant les effets du parc éolien sur la perception des paysages depuis de nombreux secteurs, permettant ainsi au public et au service instructeur des demandes de permis de construire de bénéficier d'une information suffisante. Il n'est pas établi par ailleurs que la perspective paysagère depuis le lieu-dit Epermaille en direction du parc éolien, à l'opposé de la vue sur le village médiéval de Flavigny-sur-Ozerain, présenterait une qualité ou un agrément notable qui serait dégradé par la vue sur les éoliennes.

11. La société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et l'association de défense de l'environnement et du patrimoine du collectif régional Bourgogne-Franche-Comté soutiennent que le paysage depuis la commune de La Villeneuve-les-Convers, sera fortement impacté par la présence du parc éolien. Par sa proximité des habitations de cette commune, le parc éolien, situé à moins de deux kilomètres de la plus proche d'entre elles impactera inévitablement la vue sur le paysage. Il ne ressort toutefois ni des pièces de l'étude paysagère, ni des photos produites par la commune et les associations que ce paysage présente un attrait particulier.

12. La société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et l'association de défense de l'environnement et du patrimoine du collectif régional Bourgogne-Franche-Comté soutiennent encore que les photomontages présentés par SEPE Iris Intervent minimisent l'effet visuel des éoliennes sur le paysage notamment en diminuant la hauteur réelle de celles-ci sur les représentations. Ces assertions ne sont toutefois assorties d'aucune précision permettant d'en apprécier la portée et doivent, par suite, être écartées.

13. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. "

14. Au soutien de ses conclusions en annulation, le ministre de la cohésion des territoires expose que la machine EL03, d'une hauteur de 207 mètres de hauteur (pales comprises), se trouve à une distance de 187 mètres de la route RD19. Il résulte toutefois de l'instruction que le risque d'effondrement de l'engin ou de chute de pale, dont la probabilité d'occurrence est évaluée à environ un sur un million, peut être regardé comme négligeable alors, par ailleurs, que le risque résultant de la possible formation de glace sur les installations peut être prévenu de façon suffisamment efficace pour éviter d'exposer les usagers de la route à risque lié à la projection ou à la chute de glace.

15. Enfin, le risque, évoqué par la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et l'association de défense de l'environnement et du patrimoine du collectif régional Bourgogne-Franche-Comté, selon lequel l'implantation de l'éolienne EL03 est de nature à perturber les conducteurs usagers de la RD 19 " lors de confrontation visuelle " n'est établi par aucun des éléments du dossier.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la cohésion des territoires n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé les arrêtés du 22 décembre 2015 par lesquels le préfet de la Région Bourgogne a refusé de délivrer deux permis de construire à la société Iris Intervent.

17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge l'Etat une somme de 1 500 euros au profit de la SEPE Iris Intervent ;

D E C I D E :

Article 1er : Les interventions de la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, l'association de défense de l'environnement et du patrimoine du collectif régional Bourgogne-Franche-Comté ainsi que de la commune de La-Villeneuve-Les-Convers sont admises.

Article 2 : La requête du ministre de la cohésion des territoires est rejetée

Article 3 : L'Etat versera à la SEPE Iris Intervent une somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens que cette dernière a exposés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la cohésion des territoires, à la SEPE Iris Intervent, à la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, à l'association de défense de l'environnement et du patrimoine du collectif régional Bourgogne-Franche-Comté et à la commune de La-Villeneuve-Les-Convers.

Copie en sera délivrée au préfet de la région Bourgogne.

Délibéré après l'audience du 2 octobre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Jean-François Alfonsi, président,

Mme Virginie Chevalier-Aubert, président-assesseur,

M. Pierre Thierry, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 octobre 2018.

Le rapporteur,

Pierre ThierryLe président,

Jean-François Alfonsi

La greffière,

Marie-Thérèse Pillet

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 17LY02366

mg


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