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22/10/2018 | FRANCE | N°17LY02781

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre b - formation à 3, 22 octobre 2018, 17LY02781


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société RNFR a demandé au tribunal administratif de Lyon :

- d'annuler la décision du 3 novembre 2014 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge une contribution spéciale de 34 900 euros et une contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement de 2 309 euros, ensemble le rejet implicite de son recours contre cette décision ;

- de la décharger de ces sommes, mises à sa charge par deux titres perception

mis le 9 février 2015 ou, à titre subsidiaire, de les réduire.

Par un jugement n° 150618...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société RNFR a demandé au tribunal administratif de Lyon :

- d'annuler la décision du 3 novembre 2014 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge une contribution spéciale de 34 900 euros et une contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement de 2 309 euros, ensemble le rejet implicite de son recours contre cette décision ;

- de la décharger de ces sommes, mises à sa charge par deux titres perception émis le 9 février 2015 ou, à titre subsidiaire, de les réduire.

Par un jugement n° 1506182 du 16 mai 2017, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 17 juillet 2017, la société RNFR, représentée par Me Pochard, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 16 mai 2017 ;

2°) d'annuler les décisions susmentionnées et de lui accorder la décharge ou la réduction demandées ;

3°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du 3 novembre 2014 est insuffisamment motivée s'agissant notamment des modalités de calcul des contributions et de l'impossibilité de distinguer les sommes exigées selon les salariés concernés ;

- s'agissant de M. A..., ce n'est que le 29 novembre 2013 que son gérant a découvert que la personne qu'il avait embauchée sous le nom de B...A...était en réalité M. D... A.... Elle n'encourt aucune responsabilité du fait de cette usurpation d'identité. Il ne peut donc pas lui être reproché d'avoir employé un salarié en situation irrégulière, alors qu'elle n'a fait l'objet d'aucunes poursuites pénales ;

- la sanction prononcée méconnaît les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par la directive 2009/52/CE du 18 juin 2009 ;

- subsidiairement, elle doit bénéficier de la réduction que prévoit l'article L. 8253-1 du code du travail.

Par un mémoire enregistré le 15 mars 2018, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me Schegin, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société RNFR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code du travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-621 QPC du 30 mars 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Clot, président,

- les conclusions de M. Laval, rapporteur public,

- les observations de Me Pochard, avocate de la société RNFR ;

Considérant ce qui suit :

1. Lors d'un contrôle effectué le 28 novembre 2013, les services de la police nationale ont constaté la présence en situation de travail, dans le restaurant Le Raj Mahal exploité à Lyon par la société RNFR, de deux ressortissants étrangers, M. A... et M. C..., qui étaient dépourvus de titre les autorisant à travailler en France et, pour le premier, également démuni de titre l'autorisant à séjourner en France. Le 3 novembre 2014, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a décidé de mettre à la charge de la société RNFR une contribution spéciale de 34 900 euros sur le fondement de l'article L. 8253-1 du code du travail et une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de 2 309 euros sur le fondement de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La société a été constituée débitrice de ces sommes par deux titres perception émis le 9 février 2015. Elle interjette appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 3 novembre 2014 ainsi qu'à la décharge ou à la réduction des sommes ainsi mises à sa charge.

2. D'une part, s'agissant de la contribution spéciale, aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ". L'article L. 8253-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. /L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution. (...) ".

3. D'autre part, s'agissant de la contribution forfaitaire aux frais de réacheminement, aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. (...) ".

4. Aux termes de l'article R. 626-1 du même code : " I. - La contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 est due pour chaque employé en situation irrégulière au regard du droit au séjour. / Cette contribution est à la charge de l'employeur qui, en violation de l'article L. 8251-1 du code du travail, a embauché ou employé un travailleur étranger dépourvu de titre de séjour. (...) ".

5. En premier lieu, la décision contestée du 3 novembre 2014 fait mention du procès-verbal constatant les infractions, établi à la suite du contrôle du 28 novembre 2013, indique le montant des sommes dues et comporte, en annexe, le nom des salariés concernés et les dispositions applicables du code du travail et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ces éléments permettaient de connaître les modalités de calcul des contributions en litige. Ainsi, cette décision est suffisamment motivée.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal dressé le 28 novembre 2013 par les services de police, que M. A..., ressortissant indien et M. C..., ressortissant angolais, étaient employés au sein du restaurant Le Raj Mahal à Lyon, exploité par la société RNFR, sans être munis d'une autorisation de travail salarié. Cette société invoque sa bonne foi et la circonstance qu'elle ignorait l'irrégularité de la situation de M. A..., qui lui avait dissimulé sa véritable identité. Il lui appartenait toutefois, en application des dispositions de l'article L. 5221-8 du code du travail, d'entreprendre toutes les démarches utiles afin de vérifier la régularité de sa situation, ce dont elle ne justifie pas, alors que les contributions en litige sont exigibles dès la constatation matérielle de l'infraction. Ainsi, la matérialité des faits est établie. Si la société requérante se prévaut également du fait qu'aucune poursuite pénale n'a été engagée à son encontre, cette circonstance est sans influence sur la régularité ou le bien-fondé de la décision litigieuse, dès lors que la procédure administrative et la procédure pénale sont indépendantes.

7. En troisième lieu, si la société RNFR soutient que les dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail méconnaissent les principes de proportionnalité et de nécessité des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier la conformité de la loi au regard des principes de valeur constitutionnelle.

8. En quatrième lieu, la société RNFR ne saurait se prévaloir à l'encontre des décisions litigieuses de la violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui n'est applicable qu'aux procédures juridictionnelles. Contrairement à ce qu'elle soutient, la société RNFR n'a pas été privée du droit à un recours effectif garanti par l'article 13 de cette convention.

9. En cinquième lieu, la directive 2009/52/CE du 18 juin 2009 du Parlement européen et du Conseil prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier a été transposée en droit interne par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité. Il n'est pas soutenu que cette transposition serait incomplète ou incorrecte. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par la décision en litige, de cette directive est inopérant.

10. Enfin, aux termes de l'article R. 8253-2 du code du travail : " I.- Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. /II.- Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : /1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 ; /2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. (...) ".

11. L'article R. 8252-6 du même code ajoute que : " L'employeur d'un étranger sans titre s'acquitte par tout moyen, dans le délai mentionné à l'article L. 8252-4, des salaires et indemnités déterminés à l'article L. 8252-2. /Il remet au salarié étranger sans titre les bulletins de paie correspondants, un certificat de travail ainsi que le solde de tout compte. Il justifie, auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, par tout moyen, de l'accomplissement de ses obligations légales. ". Le délai mentionné à l'article L. 8252-4 est " un délai de trente jours à compter de la constatation de l'infraction ".

12. En l'espèce, le procès-verbal du 28 novembre 2013 mentionne, pour chacun des deux salariés concernés, les infractions de travail dissimulé, d'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail et d'aide au séjour irrégulier. Par ailleurs, la société RNFR ne justifie pas avoir, dans le délai de trente jours suivant la constatation des infractions, satisfait à l'ensemble des obligations au respect desquelles est subordonnée la réduction que prévoient les dispositions du II de l'article R. 8253-2 du code du travail, notamment en ce qui concerne l'établissement d'un certificat de travail ainsi que d'un solde de tout compte.

13. Il résulte de ce qui précède que la société RNFR n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société RNFR le paiement à l'Office français de l'immigration et de l'intégration d'une somme de 1 000 euros au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société RNFR est rejetée.

Article 2 : La société RNFR versera à l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société RNFR et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Dèche, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 octobre 2018.

N° 17LY02781 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre b - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17LY02781
Date de la décision : 22/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-06-02-02 Étrangers. Emploi des étrangers. Mesures individuelles. Contribution spéciale due à raison de l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger.


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre CLOT
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : POCHARD

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-10-22;17ly02781 ?
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