Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme D... B...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 16 juin 2017 par laquelle le préfet de la Haute-Savoie a refusé d'enregistrer sa demande de titre de séjour.
Par un jugement n° 1703828 du 17 octobre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision (article 1er), a enjoint au préfet de la Haute Savoie d'enregistrer la demande de titre de séjour de Mme B... dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, ceci sous astreinte de 50 euros par jour de retard (article 2) et a condamné l'Etat à verser à Me A... une somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 3).
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 13 novembre 2017 et le 12 février 2018, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 17 octobre 2017 et de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal.
Le préfet de la Haute-Savoie soutient que :
- le jugement du tribunal est irrégulier car le sens des conclusions du rapporteur public n'a pas été communiqué de façon précise et complète avant l'audience ;
- la fin de non-recevoir qu'il a opposée devant le tribunal était fondée, son courrier du 16 juin 2017 ne constituant pas une décision faisant grief ;
- il pouvait refuser d'enregistrer la demande de Mme B... au motif que cette nouvelle demande était dilatoire dans la mesure où l'intéressée avait fait l'objet d'un précédent refus de titre de séjour et qu'elle ne présentait aucun élément nouveau à l'appui de sa demande ;
- le tribunal a méconnu l'autorité de la chose jugée qui s'attachait au jugement du tribunal administratif de Lyon du 29 décembre 2016 ;
- le tribunal administratif a méconnu les dispositions de l'article L. 513-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile quant au caractère exécutoire de la décision d'éloignement du 2 juin 2016 du préfet du Rhône.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 janvier 2018, Mme B..., représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 300 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
Sur le motif retenu par le tribunal :
- contrairement à ce qu'indique pour la première fois le préfet, sa demande n'était pas dilatoire, preuve en est la circonstance que le préfet du Rhône lui a délivré un récépissé de demande de titre de séjour postérieurement ;
- le tribunal n'a pas méconnu l'autorité de la chose jugée ;
Sur la légalité du refus d'enregistrement de sa demande :
- en méconnaissance de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, aucune motivation n'indique les motifs pour lesquels la demande d'admission au séjour n'a pas été enregistrée ;
- en indiquant que la décision portant obligation de quitter le territoire français pouvait faire l'objet d'une exécution d'office sans limitation de durée, le préfet a commis une erreur de droit ;
- en s'estimant en situation de compétence liée pour refuser d'enregistrer sa demande de titre de séjour, le préfet a commis une erreur de droit ;
- dès lors que son dossier était complet, le préfet ne pouvait refuser d'enregistrer sa demande ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen personnel de sa situation dans la mesure où sa demande de titre de séjour était présentée sur un fondement nouveau et au regard d'éléments nouveaux.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 décembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de MmeC..., première conseillère,
- et les observations de Me A..., représentant Mme B... ;
Vu la note en délibéré produite le 13 juillet 2018 par le préfet de la Haute-Savoie ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., née le 20 février 1975, de nationalité kosovare, déclare être entrée irrégulièrement en France le 23 novembre 2010. Elle a présenté une demande d'asile qui a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile le 26 avril 2011 et le 7 février 2012. Sa demande de réexamen a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile par décisions du 19 novembre 2012 et du 27 août 2013. Dans le même temps, le préfet du Rhône a refusé le 15 octobre 2012 de lui délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Il a refusé de nouveau de lui délivrer un tel titre par décision du 27 janvier 2014 et a assorti ce dernier refus d'une obligation de quitter le territoire français. Par un jugement du tribunal administratif de Lyon du 26 avril 2014, ces décisions du 15 octobre 2012 et du 27 janvier 2014 ont été annulées. En exécution du jugement, Mme B... a obtenu un titre de séjour valable jusqu'au 25 juin 2015. Par décision du 2 juin 2016, le préfet du Rhône a refusé de renouveler ce titre de séjour et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français. Par jugement du 29 décembre 2016, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de ces décisions. Le préfet de la Haute-Savoie relève appel du jugement en date du 17 octobre 2017, par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 16 juin 2017 par laquelle il a refusé d'enregistrer sa nouvelle demande de titre de séjour sur le fondement des articles L. 313-11 7°et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire ". Aux termes de l'article L. 7 de ce code : " Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent ". L'article R. 711-2 du même code indique que l'avis d'audience mentionne les modalités selon lesquelles les parties ou leurs mandataires peuvent prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public. Le premier alinéa de l'article R. 711-3 du même code dispose que : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ".
3. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions précitées de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, en termes précis, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions aux fins d'injonction ne présentent pas un caractère accessoire au sens des dispositions précitées de l'article R. 711-3 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.
4. Il ressort des pièces du dossier que s'agissant des conclusions aux fins d'annulation, le rapporteur public a seulement indiqué aux parties qu'il conclurait à l'annulation totale ou partielle de cette décision. Il appartenait au rapporteur public d'indiquer précisément s'il entendait conclure à l'annulation totale ou partielle de cette décision. En outre, le rapporteur public n'a pas indiqué s'il ferait droit aux conclusions aux fins d'injonction. En l'absence de telles précisions, le préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que le jugement est entaché d'une irrégularité et, par suite, à en demander l'annulation.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Grenoble.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Haute-Savoie :
6. La décision du 16 juin 2017 par laquelle le préfet de la Haute-Savoie a refusé d'enregistrer la demande de séjour présentée par Mme B... sur le fondement des dispositions des articles L. 313-11 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a ni pour objet ni pour effet de confirmer la décision du 2 juin 2016 par laquelle le préfet du Rhône lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11° du même code et l'a obligée à quitter le territoire français. Le préfet n'est ainsi pas fondé à soutenir qu'au motif que cette décision serait purement confirmative, elle ne présenterait pas le caractère d'une décision faisant grief susceptible d'être déférée devant le juge de l'excès de pouvoir. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le préfet de Haute-Savoie, doit être écartée.
Sur la légalité du refus d'enregistrer la nouvelle demande de titre de séjour :
7. L'autorité relative de chose jugée qui s'attache au jugement du 29 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation des décisions du 2 juin 2016 par lesquelles le préfet du Rhône a refusé de renouveler le titre de séjour en qualité d'étranger malade de Mme B... et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que Mme B... présente une nouvelle demande de titre de séjour.
8. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans ou qui sollicite un titre de séjour (...) est tenu de se présenter (...) à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de titre de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient (...) ". Aux termes de l'article R. 311-4 du même code : " Il est remis à tout étranger admis à souscrire une demande de première délivrance ou de renouvellement de titre de séjour un récépissé qui autorise la présence de l'intéressé sur le territoire pour la durée qu'il précise (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'en dehors du cas d'une demande à caractère abusif ou dilatoire, l'autorité administrative chargée d'instruire une demande de titre de séjour ne peut refuser de l'enregistrer, et de délivrer le récépissé y afférent, que si le dossier présenté à l'appui de cette demande est incomplet. Le caractère abusif ou dilatoire de la demande doit s'apprécier compte tenu d'éléments circonstanciés. Le simple fait que l'étranger soit sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français exécutoire ne suffit pas à le caractériser.
9. Pour refuser d'enregistrer la demande de titre de séjour présentée par Mme B..., le préfet de la Haute-Savoie s'est fondé sur la circonstance que, dès lors qu'elle n'avait pas exécuté l'obligation de quitter le territoire française prise à son encontre le 2 juin 2016 par le préfet du Rhône qui pouvait être exécutée d'office sans limitation de durée dès lors qu'elle n'avait pas été contestée dans les délais impartis ou qu'elle n'avait pas fait l'objet d'une annulation, il ne pouvait enregistrer sa nouvelle demande de titre de séjour. En se fondant sur un tel motif, sans rechercher si la nouvelle demande de titre de séjour présentait un caractère abusif ou dilatoire, le préfet de la Haute-Savoie a commis une erreur de droit.
10. Toutefois l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
11. Le préfet de la Haute-Savoie fait valoir que la demande de Mme B... présentait un caractère dilatoire et était destinée à se maintenir à tout prix sur le territoire français, malgré l'édiction de la mesure d'éloignement. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la demande de titre de séjour présentée par Mme B... était une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 7° et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que le précédent refus de titre de séjour du 2 juin 2016 avait été pris sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Mme B... se prévalait, à l'appui de sa demande, d'éléments pertinents pour en apprécier le bien-fondé à savoir son intégration socioprofessionnelle, les sévices subis au Kosovo, son état de santé et les liens avec sa famille dans son pays. Par suite, sa demande n'avait pas, malgré le caractère exécutoire de l'obligation de quitter le territoire français dont elle faisait l'objet, un caractère abusif ou dilatoire. Ainsi, le nouveau motif opposé par le préfet de la Haute-Savoie en cours d'instance ne peut pas plus fonder le refus d'enregistrer la demande de titre de séjour.
12. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens présentés par Mme B... devant le tribunal et devant la cour, que Mme B... est fondée à demander l'annulation de la décision du 16 juin 2017 par laquelle le préfet de la Haute-Savoie a refusé d'enregistrer sa demande de titre de séjour.
Sur les conclusions aux fins d'injonction présentées par Mme B...devant le tribunal :
13. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé ".
14. Il résulte de l'instruction que le préfet du Rhône a, postérieurement au jugement du tribunal administratif de Grenoble, en exécution de ce jugement, enregistré la demande de titre de séjour présentée par Mme B.... Il y a lieu, eu égard aux motifs de l'arrêt, et malgré l'annulation du jugement, d'enjoindre à l'autorité compétente de poursuivre l'instruction de la demande de titre de séjour de l'intéressée.
Sur les frais d'instance :
15. Mme B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A... de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés en première instance comme en appel.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1703828 du 17 octobre 2017 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La décision du 16 juin 2017 par laquelle le préfet de la Haute-Savoie a refusé d'enregistrer la demande de séjour présentée par Mme B... est annulée.
Article 3 : L'Etat versera à Me A... la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés en première instance comme en appel au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Il est enjoint à l'autorité compétente de poursuivre l'instruction de la demande de titre de séjour de Mme B....
Article 5 : Le surplus des conclusions du préfet de la Haute-Savoie et de Mme B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...B..., au ministre de l'intérieur, au préfet du Rhône et à MeA.... Copie en sera adressée au préfet de la Haute Savoie et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon.
Délibéré après l'audience du 10 juillet 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
MmeC..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 30 août 2018.
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N° 17LY03866